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© SARAH BOUILLAUD / HANS LUCAS

Adopte une mamie : l'association Manou Partages créé du lien inter­gé­né­ra­tion­nel via ses "grands-​parents de cœur"

L’association Manou Partages met en lien des enfants et des per­sonnes âgées. Ces grands-​parents de cœur ne sont pas un pis-​aller, mais des figures de réfé­rence lorsque les liens entre les géné­ra­tions sont rom­pus ou distendus.

« Je me sou­viens de cette petite fille avec son bou­quet de fleurs dans les esca­liers… » À
61 ans, Véronique Cancouet est la mamie de cœur d’Hapsatou, qui vit seule avec sa mère ori­gi­naire du Sénégal, dans la ban­lieue de Nantes. « Elle était un peu timide, un peu per­due, au début. C’est un peu comme un enfant qu’on emmène pour la pre­mière fois à l’école et qui ne connaît pas sa maî­tresse. » Leur pre­mière ren­contre a eu lieu un same­di. Des livres, des
cahiers de colo­riage et une trousse atten­daient l’enfant qui s’est vite détendue.

Véronique avait invi­té à déjeu­ner chez elle la mère et la fille. « J’avais pré­pa­ré des lasagnes au thon, un plat que j’adore cui­si­ner. Hapsatou a dit à sa mère qu’elle n’avait jamais rien man­gé de meilleur ! » Puis, elles ont fait un tour au square, en bas de l’immeuble. Deux ans plus tard, la confiance s’est ins­tau­rée. Avec sa petite-​fille d’adoption, elles ont leurs rituels : le mar­ché de Noël, les pro­me­nades en ville, les courses… « Sa maman tra­vaille comme femme de ménage toute la semaine, alors le week-​end elle a besoin de se repo­ser. » Et pour la ren­trée au CP de la fillette, la « mamie de cœur » a tenu à être présente.

Un pro­jet généreux

C’est l’association Manou Partages qui les a mises en rela­tion. Une struc­ture fon­dée en 2013 par Sophie Charteau, qui accom­pagne aujourd’hui une cen­taine de familles. À l’époque, cette mère céli­ba­taire habite Rezé, une com­mune popu­laire de Loire-​Atlantique, au sud de Nantes : « En arri­vant dans cette ville, je me suis enga­gée dans une asso­cia­tion de quar­tier où j’ai ren­con­tré une femme de 75 ans très iso­lée, qui est deve­nue la mamie de cœur de mes deux enfants en bas âge. » Une belle rela­tion s’est tis­sée entre elles deux, faite d’écoute bien­veillante, témoigne cette femme de 44 ans : « Comme ce ne sont pas des liens du sang, il n’y a pas le poids de l’histoire fami­liale, juste l’envie de construire quelque chose sur le long terme. » Elle se fixe alors une mis­sion : mettre en contact des enfants avec des per­sonnes âgées pour favo­ri­ser la trans­mis­sion entre générations. 

Un pro­jet géné­reux qui répond, à ce moment-​là, à un double fléau : selon les chiffres de l’Insee de l’époque, son quar­tier abrite 50 % de familles mono­pa­ren­tales et 44 % des per­sonnes âgées vivant seules. Grâce aux réseaux sociaux, au relais de la muni­ci­pa­li­té, ain­si qu’au bouche-​à-​oreille, les demandes affluent au-​delà de ses attentes. Il en vient de Loire-​Atlantique mais aus­si de Bretagne, de Gironde, de région pari­sienne, d’Ille-et-Vilaine… Au sor­tir du confi­ne­ment, un pic est atteint, comme s’il s’agissait de répa­rer des liens abî­més par la pandémie.

Arrivée du Gabon en 2018, Gisèle Owanga a ain­si contac­té Manou Partages en pleine vague de Covid. « Je vou­lais don­ner un coup de main… et je n’en pou­vais plus de res­ter toute la jour­née sur place », confie cette femme de 58 ans. De son côté, Azélie Osouf cherche une mamie d’adoption pour sa fille. « Les deux grands-​mères de Lisa sont décé­dées. Elle n’a qu’un grand-​père qu’elle ne voit pas beau­coup. J’ai com­men­cé à me ren­sei­gner sur Internet quand elle n’avait que 18 mois et je suis tom­bée sur cette asso­cia­tion. Nous avons ensuite atten­du que ma fille ait 3 ans », explique-​t-​elle. La ren­contre a lieu dans les locaux de l’association. Elle en garde un sou­ve­nir miti­gé : « C’était un peu étrange, comme sen­sa­tion. Gisèle était cen­sée deve­nir la mamie de cœur de Lisa, mais en même temps je ne la connais­sais pas. Ce n’est pas aus­si natu­rel qu’on l’imagine, c’est du “fabri­qué”, entre guille­mets. Je n’avais pas anti­ci­pé que j’aurais besoin de temps pour lui faire confiance. Au début, je ne me voyais pas confier ma fille à une inconnue. »

Des liens choisis

Il aura fal­lu plus d’un an à Azélie pour par­ve­nir à s’éclipser. Aux der­nières vacances de Pâques, elle a enfin réus­si à lais­ser Lisa à Gisèle, qui vit avec sa propre fille et ses quatre
petits-​enfants. « C’est comme des cou­sins et des cou­sines ! », sourit-​elle. Un rap­port par­le­men­taire, publié en juin 2021 – Les Grands-​Parents, des seniors comme les autres ? –, confirme l’engouement pour ces liens choi­sis : « On observe de plus en plus de seniors qui déve­loppent des rela­tions pri­vi­lé­giées avec des petits-​enfants “de cœur”. Ils passent avec eux des moments pri­vi­lé­giés, apportent affec­tion, aide et atten­tion », constatent les dépu­tés auteurs du texte. Et d’ajouter : « Les asso­cia­tions spé­cia­li­sées dans ces “grands-​parrainages” se mul­ti­plient et répondent à la fois aux besoins de familles, pri­vées ou éloi­gnées des grands-​parents, et aux aspi­ra­tions de seniors, pour qui il est essen­tiel d’exercer ce rôle de grands-parents. »

De fait, il n’est pas rare que les liens soient rom­pus ou dis­ten­dus au sein des familles. Souvent parce qu’elles sont dis­per­sées, mais pas seule­ment. « De nom­breux enfants sont pri­vés de grands-​parents, que ces der­niers soient décé­dés, trop âgés pour assu­mer leur
grand-​parentalité, éloi­gnés géo­gra­phi­que­ment ou que les liens aient été cou­pés à cause de frac­tures fami­liales. Inversement, 20 % des seniors de 75 ans sont pri­vés de petits-​enfants, sans évo­quer ceux qui sont tenus à l’écart de leur des­cen­dance en rai­son de dif­fé­rends fami­liaux »
, résume le rap­port. Et de conclure : « Le besoin de créer de la “grand-​parentalité sym­bo­lique” en dehors des liens du sang témoigne de l’importance des grands-​parents dans la famille moderne. »

Mais plus encore que les liens bio­lo­giques, ces affi­ni­tés élec­tives témoignent d’une ouver­ture à l’autre. « Avec la maman d’Hapsatou, on parle beau­coup de l’Afrique et de nos reli­gions res­pec­tives – elle est musul­mane, je suis chré­tienne », confie Véronique Cancouet, qui a pré­vu d’emmener pro­chai­ne­ment Lisa au musée. Et aus­si à Pornic, pour voir la mer. Qui a dit qu’on ne choi­sis­sait pas sa famille ?

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