L’association Manou Partages met en lien des enfants et des personnes âgées. Ces grands-parents de cœur ne sont pas un pis-aller, mais des figures de référence lorsque les liens entre les générations sont rompus ou distendus.
« Je me souviens de cette petite fille avec son bouquet de fleurs dans les escaliers… » À
61 ans, Véronique Cancouet est la mamie de cœur d’Hapsatou, qui vit seule avec sa mère originaire du Sénégal, dans la banlieue de Nantes. « Elle était un peu timide, un peu perdue, au début. C’est un peu comme un enfant qu’on emmène pour la première fois à l’école et qui ne connaît pas sa maîtresse. » Leur première rencontre a eu lieu un samedi. Des livres, des
cahiers de coloriage et une trousse attendaient l’enfant qui s’est vite détendue.
Véronique avait invité à déjeuner chez elle la mère et la fille. « J’avais préparé des lasagnes au thon, un plat que j’adore cuisiner. Hapsatou a dit à sa mère qu’elle n’avait jamais rien mangé de meilleur ! » Puis, elles ont fait un tour au square, en bas de l’immeuble. Deux ans plus tard, la confiance s’est instaurée. Avec sa petite-fille d’adoption, elles ont leurs rituels : le marché de Noël, les promenades en ville, les courses… « Sa maman travaille comme femme de ménage toute la semaine, alors le week-end elle a besoin de se reposer. » Et pour la rentrée au CP de la fillette, la « mamie de cœur » a tenu à être présente.
Un projet généreux
C’est l’association Manou Partages qui les a mises en relation. Une structure fondée en 2013 par Sophie Charteau, qui accompagne aujourd’hui une centaine de familles. À l’époque, cette mère célibataire habite Rezé, une commune populaire de Loire-Atlantique, au sud de Nantes : « En arrivant dans cette ville, je me suis engagée dans une association de quartier où j’ai rencontré une femme de 75 ans très isolée, qui est devenue la mamie de cœur de mes deux enfants en bas âge. » Une belle relation s’est tissée entre elles deux, faite d’écoute bienveillante, témoigne cette femme de 44 ans : « Comme ce ne sont pas des liens du sang, il n’y a pas le poids de l’histoire familiale, juste l’envie de construire quelque chose sur le long terme. » Elle se fixe alors une mission : mettre en contact des enfants avec des personnes âgées pour favoriser la transmission entre générations.
Un projet généreux qui répond, à ce moment-là, à un double fléau : selon les chiffres de l’Insee de l’époque, son quartier abrite 50 % de familles monoparentales et 44 % des personnes âgées vivant seules. Grâce aux réseaux sociaux, au relais de la municipalité, ainsi qu’au bouche-à-oreille, les demandes affluent au-delà de ses attentes. Il en vient de Loire-Atlantique mais aussi de Bretagne, de Gironde, de région parisienne, d’Ille-et-Vilaine… Au sortir du confinement, un pic est atteint, comme s’il s’agissait de réparer des liens abîmés par la pandémie.
Arrivée du Gabon en 2018, Gisèle Owanga a ainsi contacté Manou Partages en pleine vague de Covid. « Je voulais donner un coup de main… et je n’en pouvais plus de rester toute la journée sur place », confie cette femme de 58 ans. De son côté, Azélie Osouf cherche une mamie d’adoption pour sa fille. « Les deux grands-mères de Lisa sont décédées. Elle n’a qu’un grand-père qu’elle ne voit pas beaucoup. J’ai commencé à me renseigner sur Internet quand elle n’avait que 18 mois et je suis tombée sur cette association. Nous avons ensuite attendu que ma fille ait 3 ans », explique-t-elle. La rencontre a lieu dans les locaux de l’association. Elle en garde un souvenir mitigé : « C’était un peu étrange, comme sensation. Gisèle était censée devenir la mamie de cœur de Lisa, mais en même temps je ne la connaissais pas. Ce n’est pas aussi naturel qu’on l’imagine, c’est du “fabriqué”, entre guillemets. Je n’avais pas anticipé que j’aurais besoin de temps pour lui faire confiance. Au début, je ne me voyais pas confier ma fille à une inconnue. »
Des liens choisis
Il aura fallu plus d’un an à Azélie pour parvenir à s’éclipser. Aux dernières vacances de Pâques, elle a enfin réussi à laisser Lisa à Gisèle, qui vit avec sa propre fille et ses quatre
petits-enfants. « C’est comme des cousins et des cousines ! », sourit-elle. Un rapport parlementaire, publié en juin 2021 – Les Grands-Parents, des seniors comme les autres ? –, confirme l’engouement pour ces liens choisis : « On observe de plus en plus de seniors qui développent des relations privilégiées avec des petits-enfants “de cœur”. Ils passent avec eux des moments privilégiés, apportent affection, aide et attention », constatent les députés auteurs du texte. Et d’ajouter : « Les associations spécialisées dans ces “grands-parrainages” se multiplient et répondent à la fois aux besoins de familles, privées ou éloignées des grands-parents, et aux aspirations de seniors, pour qui il est essentiel d’exercer ce rôle de grands-parents. »
De fait, il n’est pas rare que les liens soient rompus ou distendus au sein des familles. Souvent parce qu’elles sont dispersées, mais pas seulement. « De nombreux enfants sont privés de grands-parents, que ces derniers soient décédés, trop âgés pour assumer leur
grand-parentalité, éloignés géographiquement ou que les liens aient été coupés à cause de fractures familiales. Inversement, 20 % des seniors de 75 ans sont privés de petits-enfants, sans évoquer ceux qui sont tenus à l’écart de leur descendance en raison de différends familiaux », résume le rapport. Et de conclure : « Le besoin de créer de la “grand-parentalité symbolique” en dehors des liens du sang témoigne de l’importance des grands-parents dans la famille moderne. »
Mais plus encore que les liens biologiques, ces affinités électives témoignent d’une ouverture à l’autre. « Avec la maman d’Hapsatou, on parle beaucoup de l’Afrique et de nos religions respectives – elle est musulmane, je suis chrétienne », confie Véronique Cancouet, qui a prévu d’emmener prochainement Lisa au musée. Et aussi à Pornic, pour voir la mer. Qui a dit qu’on ne choisissait pas sa famille ?