© Melania Avanzato
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Dans “Post-​romantique”, la jour­na­liste Aline Laurent-​Mayard appelle à mettre fin à l’injonction au couple romantique

La journaliste indépendante Aline Laurent-Mayard vient de publier aux éditions JC Lattès son nouvel essai, Post-romantique. Un manuel très personnel pour sortir du couple romantique et apprendre à revaloriser toutes nos autres relations (amicales, familiales…).

Lorsqu’elle avait 35 ans, Aline Laurent-Mayard, alors célibataire et avec un enfant, a souhaité se mettre en collocation avec sa sœur, fraîchement séparée. Une décision qui a laissé leurs proches circonspects : comment cette dernière allait-elle retrouver quelqu’un dans cette configuration ? Deux sœurs célibataires pouvaient-elles vraiment vivre ensemble ? Ce sont ces interrogations qui ouvrent le nouvel essai de la journaliste indépendante, Post-romantique (JC Lattès). Après un premier podcast sur l’asexualité (Free From Desire), un autre sur l’éducation non genrée (Bienvenu·e Bébé) et deux essais, dont un sur le genre (Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es), Aline Laurent-Mayard se propose ici d’explorer toutes les configurations alternatives au couple romantique, impensées dans notre société.

Causette : Dans notre société où le couple romantique est au centre de tout, vous évoluez en tant que personne asexuelle et aromantique. A-t-il été difficile pour vous de vous assumer ?
Aline Laurent-Mayard : Au fond, j’ai toujours su que j’étais asexuelle et aromantique. Je me suis pratiquement toujours imaginée célibataire et élevant un enfant seule. Mais je voyais bien que c’était mal vu, qu’il s’agissait d’un impensé d’arriver à vivre en dehors du couple, de ne pas être concerné par les coups de foudre amoureux, par la passion amoureuse… C’était tellement un impensé que je n’avais pas les mots pour le conscientiser. Plus j’avais l’impression d’être en retard, plus la pression sociale augmentait : il y a cette idée que ça va forcément arriver. Je fais partie des personnes qui se sont forcées, qui ont essayé de tout donner pour tomber amoureuse, avoir du désir sexuel. Quand j’ai remarqué que ça ne fonctionnait pas, les identités LGBTQIA+ avaient plus de visibilité. J’ai alors réussi à formuler vraiment ma réalité.

Vous êtes également célibataire, ce qui est, encore aujourd’hui, largement pointé du doigt dans notre société. Vous avez souffert des remarques à ce propos.
A.L-M. : Oui, et j’ai noté, ces dernières années, que l’on trouve toujours ce stigmate du célibat, même dans les milieux qui se pensent au-dessus de tout ça, ouverts d’esprit, qui prônent l’existence de différentes formes de familles ou façons de vivre sa vie. Ma famille ne m’a jamais fait de remarques, ni mon entourage proche. Mais j’en ai entendu lorsque, au moment où ma sœur s’est séparée, on a souhaité vivre ensemble. D’un coup, on passe à quelque chose d’autre. Deux célibataires, deux sœurs : on ravivait les clichés des vieilles filles qui n’arrivent pas à se marier et restent dans la maison familiale à la mort de leurs parents ! Quand on a commencé à chercher un bien immobilier, on a également senti des regards interloqués. C’est comme si ça ne se faisait pas, que ça allait nuire à notre bonheur, nous enterrer vivantes. La grande inquiétude était de savoir si ma sœur allait pouvoir retrouver quelqu’un en emménageant avec moi. Dès que quelqu’un est célibataire, la première chose qu'on attend de lui c’est de se remettre en couple. J’ai également observé qu’on avait interrogé ma mère à ce sujet, peu de temps après la mort de mon père…

La pression ressentie par les célibataires provient de cette obsession autour du couple, selon votre ouvrage. Vous comparez même l’amour romantique à une religion !
A.L-M. : Il s’agit, en effet, d’une comparaison qui a déjà été théorisée. On peut le voir comme un culte, dans le sens où il représente un objectif de vie, qu’il permettrait de se réaliser, d’atteindre le bonheur… Un peu comme le fait de croire en Dieu permettrait d’atteindre le paradis. La grande majorité de la société pense que le couple romantique constitue une étape obligatoire dans la vie, qu’il est dans l’ordre des choses. Ces personnes-là sont des convaincues. Et à côté, il y a les hérétiques, qui sont moqués, mis au ban de la société… Tout un univers entoure le couple romantique et rappelle la religion. Les comédies romantiques sont des évangiles. Les chansons d’amour correspondent aux chants religieux. La Saint-Valentin fait partie des jours sacrés. Le mariage est un peu l’équivalent de la communion. Il s’agit d’une grande organisation, d’une célébration qui réunit tous les proches. Lors d’une demande en public, tout le monde félicite le couple. Il y a un élan collectif.

Comment l’expliquer, alors même que le couple romantique et l’amour romantique sont des inventions récentes, dites-vous dans votre livre ?
A.L-M. :
En fouillant, j’ai remarqué que cette idée que l’on tomberait amoureux ou amoureuse au moins une fois dans sa vie, que ce serait incroyable, que ça permettrait de nous réaliser, était extrêmement récente. Elle date de l’époque romantique, entre le XVIIIe et le XIXe siècle et suit la création de l’idée d’individu. Avant, on pouvait évidemment tomber amoureux, mais ce n’était pas quelque chose qui était nécessairement bien vu : on avait même l’impression que ça pouvait apporter des problèmes. La passion est perçue négativement, comme n’allant pas de soi. Absolument pas comme un épanouissement pouvant structurer notre vie. Lorsque la notion d’individu apparaît, le sentiment amoureux est alors possible. Les romantiques remettent le sentiment au centre de la société et inventent tout le langage autour de la passion amoureuse, des chagrins d’amour, du sacrifice… Tout ce qui alimente, aujourd’hui, les violences conjugales.
Les chercheurs et chercheuses estiment que ce mythe romantique s’est imposé car le patriarcat battait de l’aile. Plus les femmes apparaissaient indépendantes, avaient du pouvoir, moins elles avaient besoin des hommes et du mariage. Le patriarcat s’est donc réinventé. On est passé de l’idée que le mariage était dans l’ordre des choses à celle qu’il allait nous rendre heureux. Cela a permis de redonner de la puissance au couple amoureux.

Cette obsession pour l’amour romantique nous empêche de voir l’amour ailleurs, au sein de nos relations avec les membres de nos familles, de nos amis… Il faudrait, selon vous, revaloriser ces autres relations ?
A.L-M. : En mettant un amour, l’amour romantique, au-dessus des autres, cela dévalorise forcément tous les autres types [d’amour, ndlr]. On se concentre dessus et on se coupe de tous les autres. Des études montrent que lorsqu’on se marie ou qu’on se met en couple, il y a toute une période où on va s’isoler. On va également observer toutes nos relations sous le prisme de notre recherche pour l’amour romantique. Dès que l’on va s’entendre bien avec quelqu’un, on va penser qu’il s’agit d’amour. En tout cas, on a envie d’y croire. On s’empêche de penser qu’il peut s’agir d’une amitié. Il faut arrêter de parler autant d’amour romantique, de se mettre une certaine pression, mais plutôt explorer toutes ces autres relations. Par exemple, lorsqu’on est en couple hétéro, plein de personnes vont s’empêcher d’avoir des relations avec des personnes de l’autre sexe, par peur de créer de la jalousie chez son partenaire. Beaucoup d’hétéros arrêtent parfois aussi de voir leurs ex, comme si c’était interdit, que ça ne se faisait pas, que le sentiment amoureux existait pour toujours. Dans les milieux queer, c’est très peu le cas. On a tendance à rester potes avec nos ex. Pour moi, ça fait partie de certaines de mes plus belles relations.

Justement, les personnes de la communauté LGBTQIA+ ont, pendant longtemps, étaient exclues de ces modèles traditionnels. Doit-on s’inspirer de ceux qu’elles ont créés?
A.L-M. : On a été forcés de ne pas suivre les modèles existants, ce qui nous a donné énormément de liberté pour imaginer qui on veut être. Il existe, bien entendu, des schémas et des normes au sein de la communauté LGBTQIA+, mais de fait, en tant que groupe, on fait preuve de plus d’imagination. Prenons l’exemple le plus cliché, mais un homme gay peut avoir différents chemins de vie. Un homme gay peut rester célibataire, se marier, être en couple libre, en trouple. En tant que société, tout le monde gagnerait à se laisser de l’espace pour penser sa vie autrement. Pour se demander quel est le schéma qui fonctionne le mieux pour soi. Pour voir chaque personne qu’on rencontre comme étant potentiellement un ou une amante, un ou une amie, une sorte de famille choisie, un ou une mentor. Il faut vraiment arrêter de penser selon les clichés et aborder les gens avec des yeux grands ouverts, pour se laisser la possibilité de créer sa propre relation.

Quel est votre modèle de société idéal ?
A.L-M. : Une société dans laquelle on n’a pas cette injonction d’être en couple et dans laquelle on revalorise tous les sentiments. Il faut s’ouvrir collectivement et restructurer son organisation afin de permettre à tout le monde de vivre selon le mode de vie qui lui convient le mieux. C’est-à-dire qu’il faut repenser la taxation, l’immobilier, les jours de congé… Être célibataire aujourd’hui est un modèle très compliqué car extrêmement cher. Se mettre en colloc à un certain âge, avec une personne qui n’est pas notre amoureux, est un parcours du combattant. Si on décide que le couple romantique n’est plus le centre de tout, il faut penser à toutes les autres manières de faire famille. Vivre en dehors du couple romantique a été la norme pendant pratiquement toute l’histoire humaine. Fermer les yeux sur cette réalité ne fait que mettre des gens en précarité.

Post Romantique

Post-romantique, d’Aline Laurent-Mayard. JC Lattès, 304 pages, 20 euros.

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