Série « Nouveaux départs » – « Avant ce déclic, j’étais en couple avec la bou­teille et Sophie était la spec­ta­trice impuis­sante de cette relation »

Série d’été « Nouveaux Départs », 6/9

Cet été, Causette s'intéresse aux nouveaux départs et aux tournants que peut prendre la vie. À 34 ans, Julie Hamez souffre d’une addiction à l’alcool depuis l’âge de 15 ans. Après avoir touché le fond il y a deux ans, elle a pris un nouveau départ avec sa compagne, Sophie, restée auprès d’elle en dépit des souffrances et des difficultés. Si la dépendance de Julie aurait pu maintes fois les séparer, elle les a au contraire soudées pour toujours.

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Julie Hamez (à gauche) et Sophie Baudouin ©DR

"La première fois que j’ai bu une goutte d’alcool, j’avais à peine 15 ans. Je venais d’apprendre que mon père voulait divorcer. Du jour au lendemain, notre foyer aimant a explosé. Le soir-même, j’ai attendu que mes parents et mon petit frère dorment pour descendre et ouvrir le placard où étaient rangées les bouteilles. À la maison, l’alcool n’était pas le bienvenu. Ma mère avait grandi avec un père alcoolique, elle ne supportait pas ça. À 15 ans, je n’avais jamais posé mes lèvres sur un verre d’alcool, pas même lors d’une fête de famille. 

Ce soir-là, tapie dans l’ombre, je jette mon dévolu sur une bouteille de rhum brun dont on se sert pour cuisiner. Une fois le dégoût de la première gorgée passé, je me souviens avoir éprouvé un profond soulagement et m'être endormie, apaisée. J’ai recommencé ma combine de nombreuses fois, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’alcool dans le placard. Mes parents n’ont jamais rien su. Avec le recul, je pense que c’était davantage un acte de rébellion. L’alcool était tellement tabou dans notre famille que c’était une façon d’exprimer ma souffrance. C’est aussi à cette époque que j’ai commencé à me scarifier. J’étais mal dans ma peau. Un an plus tôt, je m'étais rendu compte de mon attirance pour les filles mais j’ai refoulé mon homosexualité pendant cinq ans.

Ma consommation d’alcool est devenue quasi quotidienne quand j’ai pris mon indépendance à l’âge de 19 ans. En parallèle de mes études de lettres, j’ai pris un petit boulot pour payer mon loyer. Cet argent me servait aussi à acheter de l’alcool. Presque chaque soir, je buvais des bières et plusieurs verres de martini rouge. Je n’avais pas vraiment conscience de l’addiction, pour moi ça restait dans la norme. Par contre je buvais toujours seule. C’était un peu mon truc à moi. Je sortais avec des amis, mais je préférerais être chez moi pour pouvoir boire en toute liberté. Là-encore, personne ne s’en est rendu compte. Sur le coup, il y avait la grisante sensation de garder un secret. Aujourd’hui, je pense qu’il y avait surtout une forme de honte et de culpabilité. L'alcoolisme au féminin est mal vu, c'est plutôt une addiction solitaire. Il y a aussi le fait qu'une femme qui boit est renvoyée à ses pulsions sexuelles. J'avais aussi cette crainte d'être considérée comme une fille facile.

Si je ne voyais pas l'addiction, j’ai constaté assez rapidement les conséquences de l'alcool sur ma santé, surtout mentale. Il a amplifié mes angoisses. C’est aussi à ce moment-là que j’ai pris goût aux psychotropes. Je prenais des somnifères pour pouvoir dormir et comme leur effet était agréable, ça me faisait délirer et perdre pied, j’en prenais pour ressentir ces moments de plaisir. J’éprouvais ce besoin de ne plus être dans la réalité, de m’enfuir dans un monde différent.

Petit à petit, l’alcool s’est invité de plus en plus tôt dans ma journée et à l’âge de 22 ans, ça a commencé à vraiment dérailler. À l’époque, j’étudiais dans une école de journalisme à Lille. Dans mon groupe d’amis, les soirées étaient fréquentes. Puis dans la rédaction où j’ai travaillé, les apéros étaient presque quotidiens. La gueule de bois, c’était une normalité. Après une déception amoureuse, je plonge complètement dans l’alcool et les médicaments.

Régulièrement, je m'évanouis, saoule, et me réveille couverte de bleus, l’appartement sens dessus dessous et sans aucun souvenir. Je me suis ouvert l’arcade sourcilière et cassée un orteil, une fois. J’ai aussi perdu énormément de poids. Malgré les conséquences sur ma santé, je vivais avec le besoin de me procurer de l’alcool en permanence. Au travail, je ne pensais qu'à une chose : aller acheter de l’alcool avant de rentrer chez moi. Tous les soirs, on prenait l’apéro puis quand je rentrais, je continuais, seule. Boire était devenu une obsession. Et puis, tard dans la nuit, venait le cocktail infernal : alcool et médicament avant de sombrer presque inconsciente jusqu'au lendemain matin.

Je me suis fait hospitaliser pour la première fois à l’âge de 26 ans. Pour l’anecdote, mon abstinence a débuté un soir de nouvel an. Je me disais que si j’arrivais à tenir et à ne pas boire un 31 décembre, j’y arriverais ensuite. J’ai tenu pendant onze mois. Des craquages et une nouvelle rupture amoureuse ont fait céder la digue et j’ai replongé. Je ne me sentais plus capable de vivre seule, alors je suis retournée chez ma mère en 2018. J’ai aussi commencé un suivi psychiatrique.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Sophie. L’alcool, je lui en ai parlé très tôt. Je devais être de nouveau hospitalisée et je ne me voyais pas lui mentir. Mais je ne me suis pas trop étalée sur l’ampleur de l’addiction. Elle m’a soutenu tout de suite. À mon retour de l’hôpital et sans élément déclencheur, l’addiction est pourtant revenue progressivement. Pour la première fois depuis longtemps, j’étais pleinement heureuse, mais l’addiction était toujours là, tapie en moi. J’avais toujours ce besoin de fuir la réalité. J’étais en couple avec la bouteille et Sophie était la spectatrice impuissante de notre relation.

On faisait chambre à part. Je passais mes journées à boire, à manger et à prendre des médicaments. J’enchaînais les arrêts de travail et j’ai fait plusieurs tentatives de suicide. Je crois que, parce que Sophie me démontrait son amour, j’ai imaginé que je ne pouvais pas la perdre. Donc je m’autorisais à pousser mes limites toujours plus loin. J’avais tort, Sophie a commencé à chercher un appartement pour partir. Pas pour me quitter, mais pour quitter ce quotidien de souffrances que je lui faisais subir. Ce fut mon déclic. J’ai eu un instinct de survie, ou plutôt de vie. J’ai compris que si elle partait, ce serait sûrement la fin pour moi.

J’ai de nouveau été hospitalisée, je suis sortie la veille du confinement en mars 2020. Pendant mon hospitalisation, j’ai compris que les choses pourraient être différentes cette fois. J’ai commencé à vivre. En fait, j’ai réalisé que je n’avais jamais vraiment vécu par le passé. À la sortie, j’ai repris mon travail d’art thérapeute avec beaucoup plus d’envie. Je me suis impliquée dans des projets et j’ai appris à prendre du plaisir au quotidien. Nous avons déménagé il y a un an pour une petite maison dans les Pyrénées. Le cadre est magnifique.

J’ai le sentiment qu’on a passé un cap ensemble : par exemple, quand j’ai envie de consommer, je lui en parle tout de suite. J'ai appris à dépasser mon sentiment de honte, de culpabilité. Ensemble, nous avons publié un livre sur notre parcours, pour parler des aidants dont on parle peu et qui souffrent tout autant, mais aussi pour montrer que de belles histoires peuvent sortir de situations très sombres. Pour montrer qu'on peut avoir une belle vie malgré l'alcoolisme.

On a vraiment touché le fond ensemble et on est remonté à la surface ensemble. Aujourd’hui, nous apprenons encore à nager. Je sais que je devrais me battre toute ma vie contre ma dépendance à l’alcool. Finalement, je suis un peu comme une équilibriste qui doit faire attention à ne pas tomber. Le fil de ma vie est fin certes, mais le fait que Sophie soit là, qu’elle ait confiance en moi, ça m’aide à garder l'équilibre."

Ensemble, jusqu’à la lie : l’amour plus fort que l’alcool, Julie Hamez et Sophie Baudouin, mai 2022.

Épisode 1 – Refaire sa vie en famille à plus de 5500 km

Épisode 2 – « J’ai envie de transmettre à ma fille que le bonheur est un choix et qu’on a le droit de tout quitter pour être libre et heureuse »

Épisode 3 – Marie Gervais, ancienne victime de violences conjugales : « On peut construire une autre histoire sur les cendres de la première »

Épisode 4 – « Je suis devenu celui qu'enfant j'avais toujours voulu être » : le comédien trans Amir Baylly nous raconte sa transition

Épisode 5 - Série « Nouveaux départs » – « Au début, la musique n'était qu'un hobby » : comment la chanteuse Silly Boy Blue a fait de sa passion son métier

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