Du rock explosif et nostalgique avec le groupe légendaire Gossip, de l'électro-pop engagée avec la jeune artiste Thérèse et de la folk mélancolique avec l'Américaine Adrianne Lenker… Voici trois albums à écouter en ce début de printemps.
Real Power, de Gossip
Dès les premières notes du sixième album studio de Gossip Real Power, la voix puissante, gorgée de soul et si particulière de la chanteuse Beth Dito nous attrape. Retour quinze en arrière, à une époque d'adolescence insouciante, où l'on découvrait avec excitation la série britannique Skins, suivant une bande d'ados fêtard·es qui se déhanchait sur Standing in the Way of Control, l'un des premiers tubes à l'énergie follement punk du groupe américain. Elle nous transporte aussi à une époque moins insouciante pour les personnes LGBTQIA+, en manque criant de droits et de représentations. La tornade Beth Dito, incorrigiblement queer, venait alors secouer l'ordre établi, sans s'excuser d'être qui elle est : une femme, grosse et lesbienne. Bien seule à l'époque : force est de constater que douze ans après son dernier disque avec ses acolytes Nathan Howdeshell et Hannah Blilie, la scène musicale a heureusement bien changé. De Sam Smith à Kim Petras, un nombre grandissant d'artistes brandit haut et fort les couleurs du drapeau arc-en-ciel. Mais malgré ces nouveaux·elles venu·es, l'énergie rock et punk de Gossip reste sans égale. En atteste le psychédélique morceau d'ouverture Act of God, ou l'entraînant Real Power, qui célèbre celles et ceux qui battent le pavé pour leurs droits. Un certain spleen pointe aussi le bout de son nez dans ce disque, composé après que Beth Dito a divorcé puis retrouvé l'amour. Un cocktail d'émotions qui produit de magnifiques chansons plus épurées (Turn The Car Slowly, Light It Up, Peace and Quiet…) et acte une réinvention bienvenue et prometteuse de Gossip.
L'Attente, de Thérèse
Avec son EP Rêvalité, paru en 2021, Thérèse déboulait avec force sur la scène musicale française, avec des titres puissants et engagés, sur le racisme anti-asiatique notamment, teintés d'une électro-pop originale. Trois ans après, la chanteuse mêle toujours son intimité à son art, dans L'Attente, un premier album introspectif. Ce titre, et la chanson éponyme qui l'accompagne, font référence à une période de plusieurs mois au cours de laquelle Thérèse était dans l'attente d'une greffe de foie. L'artiste souffre d'une polykystose hépato-rénale héréditaire, qui développe des kystes bénins au sein de ses organes. L'un d'eux s'était logé dans son foie, qui pesait alors plus de 7 kilos. "L'attente s'étire comme un chewing gum/Le temps s'étiole, j'ai le fomo, j'ai l'seum/Le cœur sur la détente j'ai oublié le sol", chante-t-elle dans ce très beau morceau aux accents mélancoliques. Sur ce disque cathartique, donc, elle s'attaque aussi aux addictions qui nous empêchent de vivre (No Right Time), à l'obsession maladive de la perfection (M'Autosaboter, en duo avec la géniale Louisadonna) et au manque de confiance en soi (Jealous), avec une modernité dans les sonorités et un lâcher-prise dans l'écriture rafraîchissants.
Brigh Future, d'Adrianne Lenker
Si le nom d’Adrianne Lenker ne vous dit rien, vous connaîtrez peut-être celui de Big Thief. Tête d'affiche du groupe folk américain, Lenker s’autorise régulièrement des pérégrinations en solitaire. Bright Future est son sixième album solo et resplendit de toute la pudique ardeur qui transparaît dans chacun des projets de l’artiste. Prenez Sadness as a gift, par exemple. Ce second morceau de l’album est empli de toute la mélancolie folk dont Adrianne Lenker a le secret. “Nous pourrions voir la tristesse comme un cadeau, et toujours nous sentir trop lourds à porter”, y déclame la musicienne sur des airs de guitare acoustique qui s'élèvent comme des tulipes perçant la couche de neige qui les sépare du ciel. “Les saisons passent si vite”, poursuit l’artiste avec nostalgie. L’entièreté de Bright Future apparaît comme un devoir de mémoire. Attachée à saisir les morceaux sous la forme qu'ils prennent dans la pièce où elle les a enregistrés, au moment où elle les a enregistrés – ils sonneront peut-être différemment la prochaine fois qu'ils seront joués -, Adrianne Lenker a capté tous les titres de cet album directement sur une bonne vieille cassette. Elle ne laisse ainsi aucune respiration entre le son live et celui restitué par l’appareil. Sur plusieurs titres – comme Free Treasure ou Fool par exemple – on peut donc entendre quelques secondes les instruments distordus par l’enregistreur qui peine à trouver sa vitesse exacte. Ces deux chansons, comme Evol ou Ruined, sont empreintes de tout le génie littéraire et sentimental de Lenker, qui joue sur les cordes de sa guitare acoustique comme sur les cordes de nos cœurs. “Tu t’approches, je suis en ruines”, chante-elle de sa voix craintive sur Ruined.
Artiste prolifique, la musicienne dévoilait le 11 mars un autre album – ou plutôt une collection de chansons – intitulé i won’t let go of your hand - “je ne lâcherai pas ta main” – dont les recettes sont reversées au Fonds de secours pour les enfants palestiniens (Palestinian Children’s Relief Fund). L’artiste n’hésite pas par ailleurs à s’emparer de la musique qu’elle crée avec son quatuor de groupe pour en présenter sa propre version : une œuvre nouvelle telle que Vampire Empire, sorti sous forme de single en juillet 2023 par Big Thief. Adrianne Lenker en livre une interprétation toute différente sur Bright Future, rappelant toutes les formes que l'on peut prendre en différentes saisons.
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