BEYONCE COWBOY
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Beyoncé n’a pas encore sor­ti son album coun­try que tout le monde a déjà un avis dessus

Mercredi, Beyoncé révé­lait sur Instagram la cou­ver­ture de son nou­vel album, Cowboy Carter, qui sor­ti­ra le 29 mars. L’artiste y explore lar­ge­ment le style coun­try, un genre musi­cal que les per­sonnes blanches s’étaient jusqu’ici appro­prié. Le pro­jet sus­cite d’ores et déjà des débats essen­tiels, de l’appropriation à la réap­pro­pria­tion du patri­moine musi­cal, en pas­sant par la charge raciale de l’histoire américaine. 

Leave Beyoncé alone ! S’il y a bien quelques avan­tages à être l’une des artistes les plus popu­laires et influentes du XXIe siècle, le sta­tut de Queen B a aus­si son lot d’inconvénients. L’un d’eux étant que le monde entier aime à com­men­ter vos péré­gri­na­tions artis­tiques comme s’il s’agissait d’une affaire d’État.

Il n’aura donc échap­pé à per­sonne que Beyoncé va sor­tir un nou­vel album, inti­tu­lé Cowboy Carter, le 29 mars pro­chain. L’artiste amé­ri­caine a d’ores et déjà dévoi­lé deux singles issus de ce der­nier opus – Texas Hold ‘Em et 16 Carriages –, ain­si que sa pochette, sur laquelle on peut la voir bran­dir un dra­peau amé­ri­cain sur un éta­lon, cha­peau wes­tern vis­sé sur la tête. Autant d’indices qui – si le titre n’était pas assez lim­pide – annoncent l’ère Dolly Parton de Queen B. Malheureusement, la coun­try est une affaire de blanc·hes, affirment avec leurs gros sabots les plus réacs des commentateur·rices, qui ne sup­portent pas de voir une artiste raci­sée s’emparer du genre. D’autres observateur·rices fus­tigent pour leur part qu’une artiste noire se réap­pro­prie une musique asso­ciée à un pas­sé colonialiste.

Santiags et misogynoire 

En atten­dant, avec Texas Hold ‘Em, Beyoncé est deve­nue la pre­mière femme noire à atteindre la pre­mière place du clas­se­ment amé­ri­cain Hot Country Songs, soit des mor­ceaux coun­try les plus écou­tés. Il n’en aura pas fal­lu davan­tage aux Rednecks et aux conservateur·rices états-unien·nes pour crier à l’appropriation cultu­relle. En Amérique, la coun­try est tra­di­tion­nel­le­ment asso­ciée à un héri­tage patrio­tique rural et sur­tout blanc. Un ima­gi­naire musi­cal qui sent bon les cordes de band­jo gra­touillées sur un porche en Alabama (sud), tige de blé entre les dents, mais dont les ori­gines sont en réa­li­té bien plus complexes. 

La musique coun­try “appar­tient à tout le monde”, affirme au Guardian Rhiannon Giddens, musi­cienne noire amé­ri­caine qui joue du band­jo et de l’alto sur Texas Hold 'Em. Plus encore, elle doit son exis­tence à la créa­ti­vi­té des “esclaves de la dia­spo­ra afri­caine [qui] ont créé le ban­jo dans les Caraïbes dans les années 1600”, pour­suit Rhiannon Giddens, avant d’ajouter : “Il s’agit d’un fait his­to­rique.” Cette der­nière livre un éclai­rage pré­cieux sur la contri­bu­tion majeure des per­sonnes racisé·es à la tra­di­tion musi­cale coun­try et sou­ligne les res­sorts capi­ta­listes et racistes qui ont mené à son appro­pria­tion par des per­sonnes blanches. 

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Ce mono­pole racial, Beyoncé en a déjà fait les frais. Dans le texte qui accom­pagne la pre­mière image de la cou­ver­ture de ce nou­vel album, la chan­teuse raconte que Cowboy Carter – sur lequel elle tra­vaille depuis cinq ans – est “né d’une expé­rience [qu’elle a] vécue il y a des années, où [elle] ne s’est pas sen­tie la bien­ve­nue et où il était clair [qu’elle] ne l’était pas”. Beaucoup voient dans ce com­men­taire de l’artiste une réfé­rence à sa per­for­mance lors des CMAs (Country Music Association), soi­rée de remise de prix de la musique coun­try, en 2016. Venue inter­pré­ter son pre­mier titre coun­try Daddy Lessons (issu de son album Lemonade), Beyoncé n’avait pas ensuite été men­tion­née sur le site offi­ciel des CMAs. Certain·es inter­nautes avaient par ailleurs affir­mé vou­loir boy­cot­ter l’émission en rai­son de sa pré­sence. Une démons­tra­tion de miso­gy­noire [une double dis­cri­mi­na­tion, à la fois sexiste et raciste] en bonne et due forme, qui sou­li­gnait déjà à l’époque la supré­ma­tie des hommes et des per­sonnes blanches dans le milieu country.

Amerikkka

Cowboy Carter appa­raît ain­si comme une réap­pro­pria­tion (et une revanche au pas­sage) qui n’a que trop tar­dé. Carter est par ailleurs le nom de famille de Beyoncé, du patro­nyme de son mari Sean Carter, alias Jay‑Z, mais aus­si le nom de la famille Carter, répu­tée pour avoir mon­té le pre­mier groupe de musique coun­try en 1927. Tout est lié, donc, mais il ne faut pas crier vic­toire trop vite. Dans les com­men­taires sous le post Instagram de Queen B, on retrouve – par­mi les mes­sages de fans conquis·es par le band­jo – de viru­lentes cri­tiques sur l’ambition de la chan­teuse de mettre ain­si à l’honneur la country.

De nombreux·euses inter­nautes consi­dèrent le genre comme por­teur d’un pas­sé hon­teux de colo­nia­lisme. Le dra­peau amé­ri­cain bran­dit par l’artiste fait en ce sens tache, selon ces cri­tiques, qui l’accusent de célé­brer un pays bâti sur un modèle escla­va­giste, d’autant plus dans le sud des États-​Unis, où le style coun­try est encore par­ti­cu­liè­re­ment repré­sen­té et popu­laire. “Amerikkka is nothing to be proud of” (“Il n’y a pas de quoi être fière de l’Amérikkke”), peut-​on notam­ment lire dans ces com­men­taires, qui réfé­rencent, avec ces trois K, le tris­te­ment célèbre KluKluxKlan, groupe ter­ro­riste supré­ma­ciste blanc.

"Cosplay de femme blanche"

Au sein du milieu musi­cal, la contro­ver­sée rap­peuse noire amé­ri­caine Azealia Banks a elle aus­si fait connaître sur Instagram sa désap­pro­ba­tion du tour­nant coun­try de Beyoncé. La chan­teuse pointe notam­ment du doigt la cou­ver­ture de l’album, où Queen B appa­raît, selon elle, dans un “cos­play [dégui­se­ment, ndlr] de femme blanche”. L’imagerie amé­ri­caine telle que repré­sen­tée sur cette pochette tend par ailleurs à ren­for­cer “la fausse rhé­to­rique selon laquelle la musique coun­try est une forme d’art blanche pos­té­rieure à la guerre de Sécession [1861–1865]”, d’après la rap­peuse. “Elle ren­force ain­si l’idée que le racisme, la ségré­ga­tion, l’esclavage, la vio­lence, le vol, les mas­sacres (…) ne forment pas le socle d’épithètes telles que ‘fier d’être amé­ri­cain’ ou ‘que Dieu bénisse les États-​Unis’”, pour­suit l’artiste.

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Cette der­nière a par ailleurs éga­le­ment fait réfé­rence à la per­for­mance aux CMAs de Beyoncé en 2016, à laquelle la chan­teuse avait convié le groupe de coun­try The Dixie Chicks. “Des femmes blanches qui se veulent noires”, selon Azealia Banks, qui affirme par ailleurs que Beyoncé “par­tage tou­jours sa pla­te­forme avec des femmes blanches si jalouses [d’elle] et qui tendent à sabo­ter les car­rières d’autres femmes artistes noires”. Si la forme qu’y met la rap­peuse est dis­cu­table, elle énonce néan­moins l’injonction qui pèse sur les per­sonnes raci­sées de com­po­ser et inter­agir avec les codes de la nor­ma­ti­vi­té blanche pour que leur art soit recon­nu et vali­dé. “Je ne com­prends pas toute l’attention por­tée par l’une des plus grandes stars de l’époque à un club de blancs volon­tai­re­ment iso­lé, dont les membres ne vous accor­de­raient jamais aucune légi­ti­mi­té”, déplore ain­si Azealia Banks.

Bien qu’il ne soit même pas encore sor­ti, le pro­chain album de Beyoncé sus­cite d’ores et déjà des débats essen­tiels, de l’appropriation à la réap­pro­pria­tion du patri­moine musi­cal, en pas­sant par la charge raciale de l’histoire amé­ri­caine. Quoique l’on en pense, il est évident que Queen B détient en ce sens une influence cultu­relle indé­niable et savam­ment culti­vée pour créer l’effervescence autour de ses pro­jets. Son album pré­cé­dent, Renaissance, une ode à la culture noire et queer de la house musique sor­tie en 2022, fut un pre­mier volet accla­mé de cette réap­pro­pria­tion des genres. Cowboy Carter en est le second acte, la preuve que Taylor Swift n’a pas le mono­pole de la coun­try dans le monde des reines de la pop. Puis, dans les mots de l’artiste (qui ne se lais­se­ra pas pour autant enfer­mer dans une case) : “Ce n’est pas un album de coun­try. C’est un album de Beyoncé.” Yeehaw !

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