people sitting on green grass field during daytime
© Mael Balland

Tribune : «#MeTooAnimation doit être une chance pour chan­ger le modèle pédagogique »

Jean-​Michel Bocquet est ensei­gnant en sciences de l’éducation et direc­teur du Mouvement rural de la jeu­nesse chré­tienne. Causette l'avait inter­viewé pour son article sur le déclin des colo­nies de vacances. À la suite du mou­ve­ment #MeTooAnimation, qui libère la parole sur les vio­lences sexistes et sexuelles au sein de ces struc­tures, Jean-​Michel Bocquet a sou­hai­té par­ta­ger ses réflexions avec nos lecteur·rices sur la néces­si­té de trans­for­mer le modèle d'encadrement des colonies.

Tribune

"Face au déni orga­ni­sé du sec­teur des colos concer­nant les vio­lences sexuelles et sexistes, #MeTooAnimation doit être une chance pour chan­ger le modèle pédagogique"

Par Jean-​Michel Bocquet, péda­gogue, char­gé de cours à l’université Sorbonne Paris Nord.

En mars 2022, Anissa, influen­ceuse sur TikTok dénonce des actes pédo­cri­mi­nels dans les colo­nies de vacances avec 400 témoi­gnages et un hash­tag MeTooAnimation. Son appel est relayé par une péti­tion signée par plus 50 000 per­sonnes qui demandent que les per­son­nels sai­son­niers des colos soient formé·es et accompagné·es et que les per­sonnes signa­lées pour des infrac­tions sexuelles soient inter­dites dans les séjours. Ce #MeTooAnimation inter­roge en pro­fon­deur le sec­teur, mais celui-​ci résiste et refuse d’y voir le moment pour (re)construire en pro­fon­deur les fina­li­tés et les péda­go­gies des colos.

Plusieurs acteurs impor­tants du sec­teur affichent leur refus de chan­ger et de tra­vailler les ques­tions de vio­lences sexuelles et sexistes par leur silence ou en affir­mant (par ex : l’article du 13 août publié dans La Croix) à tort que les orga­ni­sa­teurs de colos sont pré­cur­seurs sur le sujet et qu’ils font déjà beau­coup pour garan­tir la sécu­ri­té de enfants. Cette posi­tion per­met de ne pas abor­der le pro­blème cen­tral : le modèle péda­go­gique uti­li­sé dans la très grande majo­ri­té des colos est un modèle qui sys­té­ma­ti­que­ment per­met les vio­lences sexuelles et sexistes.

Lire aus­si l #MeTooAnimation : Anissa, l'animatrice en lutte contre la pédo­cri­mi­na­li­té dans les colos

Le modèle péda­go­gique ultra-​majoritaire dans les colos s’appelle le modèle colo­nial, il est construit autour de l’adulte, par l’adulte et pour les enfants. Il s’appuie sur des tra­vaux psy­cho­pé­da­go­giques des années 60–70 et sur la théo­rie des besoins. Dans ce modèle, le loi­sir est le moyen de satis­faire les besoins les plus fon­da­men­taux des enfants. La colo est un espace édu­ca­tif struc­tu­ré par la métho­do­lo­gie de pro­jet, orga­ni­sé par une suc­ces­sion immuable de temps qui s’alterne entre vie quo­ti­dienne et acti­vi­tés, des groupes d’âge et de sexe, des acti­vi­tés à la carte que les enfants peuvent choi­sir, une cou­pure entre enfants et milieu ordi­naire de vie par­ti­cu­liè­re­ment les parents et des règles de vie uniques et uni­formes pour tous.

Le moni­teur de colo, figure charismatique

La figure cen­trale de ce modèle péda­go­gique est un homme cis­genre, drôle, spor­tif et cha­ris­ma­tique. Cette figure se construit sur l’idée essen­tia­liste que l’homme détient l’autorité et que les femmes sont ren­voyées à tout ce qui n’est pas l’activité, le cadrage et le jeu, autre­ment dit la vie quo­ti­dienne et le mater­nage. Les thèmes, les acti­vi­tés, la consti­tu­tion des équipes, le cou­chage… tout ren­voie à une sépa­ra­tion des gar­çons et des filles à laquelle s’ajoute un incroyable déni de l’homosexualité notam­ment dans la vie des chambres non-mixtes.

Si les équipes imposent dans les règle­ments inté­rieurs une inter­dic­tion de toute rela­tion sexuelle, la sexua­li­sa­tion des enfants est pour­tant loin d’être absente. La tra­di­tion­nelle boum est le lieu, par excel­lence, de la mise en scène de l’intérêt des adultes pour les rela­tions amou­reuses des enfants au point de les orga­ni­ser et/​ou de repro­duire des normes hété­ro­sexuelles. Deux exemples : le trous­seau où des orga­ni­sa­teurs demandent une tenue de boom, jupe ou robe pour les filles et chaussures-​pantalons pour les gar­çons, la boite aux lettre interne per­met­tant aux adultes de lire les mes­sages avant de les dis­tri­buer et de déte­nir des secrets. Interdiction de toute sexua­li­té, mais mise en scène orga­ni­sées par les enca­drants des amours hété­ro­sexuels enfantins.

Quid du lien après le séjour ?

Dans ce contexte de séparation/​sexualisation des rela­tions garçon/​fille, l’animateur cha­ris­ma­tique est celui qui va, en même temps, cadrer, écou­ter les confi­dences, aider, auto­ri­ser les sor­ties du cadre rigide et cou­pé des parents, pour faire rire, jouer, diver­tir et per­mettre aux enfants de pas­ser des bonnes vacances. Cet ani­ma­teur marche sur du velours s’il sou­haite abu­ser et/​ou vio­len­ter un enfant. Les orga­ni­sa­teurs pour­suivent leur déni du pro­blème puisqu’après le séjour, alors qu’ils ont orga­ni­sé la ren­contre entre l’animateur et l’enfant, rien n’est pré­ci­sé sur l’interdiction ou pas de res­ter en rela­tion, sur le fait de col­lec­ter des adresses et numé­ros de télé­phone per­met­tant de main­te­nir des liens. Comme l’explique un orga­ni­sa­teur dans l'article de La Croix cité plus haut : « Il n’est pas ques­tion d’avoir des rela­tions per­son­nelles avec des jeunes dans le cadre du séjour, du début à la fin de celui-​ci ». Quant à l’après-séjour, il n’existe pas pour l’organisateur de colo, la colo est ter­mi­née, il n’est plus res­pon­sable de rien. Se pro­té­ger plu­tôt que pro­té­ger les enfants ou les ados vulnérables.

Lire aus­si l Colonies de vacances : la fin d’un temps béni ?

Anissa demande que les animateur·ices reçoivent une for­ma­tion d’une jour­née sur le sujet, mais que repré­sente cette jour­née, si les orga­ni­sa­teurs ne font rien et ren­force, via le modèle colo­nial, le silence sur les fonc­tion­ne­ments per­met­tant à des adultes de com­mettre des actes de pédo­cri­mi­na­li­té. C’est bien d’une prise de conscience puis d’un tra­vail en pro­fon­deur dont les colos ont besoin pour rem­pla­cer ce modèle colo­nial cen­tré sur l’homme cha­ris­ma­tique par des péda­go­gies dont les fina­li­tés sont le care, l’attention por­té aux vul­né­rables. Faire des colos une ins­ti­tu­tion inclu­sive et uni­ver­selle qui prend soin de chaque enfant et de la Terre, qui per­met à chaque enfant de prendre soin de lui/​elle et des autres enfants. Faire des colos un lieu « safe » où chaque enfant sera accom­pa­gné, enten­du et res­pec­té dans sa sin­gu­la­ri­té. Ces colos « sécures » ne sont pos­sible qu’en reje­tant le modèle colo­nial et en ame­nant tous les orga­ni­sa­teurs de colos à ouvrir les yeux sur les vio­lences qu’ils font ou ont fait vivre à de nom­breux enfants et adolescents.

Pour aller plus loin, lire l'analyse de Jean-​Michel Bocquet sur le trai­te­ment média­tique de #MeTooAnimation, publiée dans Le Journal de l'Animation.

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