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Photo : Supersex / Netflix

Faut-​il regar­der “Supersex”, le bio­pic de Netflix sur Rocco Siffredi ?

Supersex, le bio­pic en sept épi­sodes sur Rocco Siffredi qui débarque sur Netflix, a été créé et écrit par une autrice fémi­niste. Question : la réa­li­sa­trice parvient-​elle à por­ter un female gaze sur ce per­son­nage pro­blé­ma­tique ? Nous sommes allées voir.

C’est peu dire que la sor­tie de la série Supersex est pré­cé­dée d’une répu­ta­tion sul­fu­reuse. Et pour cause. Drôle d’idée, dans une époque post #MeToo, de consa­crer sept épi­sodes à cette star du por­no des années 1980, qui incarne le pire de l’industrie por­no­gra­phique et son lot de vio­lences et d’humiliations à l’égard des femmes. Rappelons que l’une des scènes les plus célèbres de sa car­rière et les plus carac­té­ris­tiques de son style est celle dans laquelle il plon­geait la tête d’une actrice dans les toi­lettes en tirant la chasse pen­dant qu’il la sodomisait.

Rappelons éga­le­ment que hors des pla­teaux, le com­por­te­ment violent de “l’étalon ita­lien” posait éga­le­ment pro­blème. En 2006, l’acteur avait, ain­si, agres­sé sexuel­le­ment et humi­lié en direct Cécile de Ménibus sur le pla­teau télé de Cauet.

Causette ne se serait pas inté­res­sée à cette série, si Netflix, flai­rant pro­ba­ble­ment le poten­tiel bad buzz, n’avait pas mis lar­ge­ment en avant le choix de sa show-​runneuse notoi­re­ment fémi­niste… De quoi nous don­ner envie d’aller voir cela de plus près.

De fait, Francesca Manieri est une scé­na­riste répu­tée en Italie, qui tra­vaille avec la fine fleur du ciné­ma d’auteur depuis une dizaine d’années. Coautrice de films et séries remar­qués (Vierge sous, de Laura Bispuri ; L’Immensita, d’Emanuele Crialese ; We Are Who We Are, de Luca Guadagnino), elle n’a ces­sé d’y épin­gler la toxi­ci­té de la famille ita­lienne tra­di­tion­nelle et du patriar­cat. En clair, la brune Francesca est une fémi­niste éclai­rée, et même affir­mée. Pas for­cé­ment de celles aux­quelles on pense, donc, pour chan­ter les exploits érec­tiles d’un com­pa­triote qui reven­dique cinq cents films por­no et plus de cinq mille par­te­naires sexuelles !

Elle-​même le recon­naît dans le dos­sier de presse (acca­pa­rée par le lan­ce­ment mon­dial de son show, elle n’a pas don­né suite à nos demandes d’interviews) : elle a d’abord écla­té de rire lorsque la pla­te­forme amé­ri­caine l’a appro­chée. Avant de se ravi­ser : racon­ter la mas­cu­li­ni­té en par­tant d’un homme qui, “indu­bi­ta­ble­ment, est deve­nu l’emblème de la mas­cu­li­ni­té occi­den­tale”, voi­là qui pour­rait être inté­res­sant ! De fait, s’est-elle dit très vite, ce n’est pas tant l’industrie du por­no qu’elle va dépeindre, pour mieux appâ­ter un public d’ores et déjà connais­seur, que “ses men­songes”. Déconstruire “la mas­cu­li­ni­té toxique” à tra­vers le par­cours de Rocco Tano alias Siffredi, petit môme pauvre des Abruzzes par­ti conqué­rir gloire et argent tout sexe dehors, tel sera donc l’enjeu de son récit en sept épi­sodes… Et bas­ta cosi !

Enfin, c’est vite dit… Car la série de Francesca Manieri se révèle davan­tage ban­cale que cin­glante. Hésitant entre le mélo­drame latino-​sirupeux (avec moult scènes de larmes, de rup­tures et de retrou­vailles exu­bé­rantes) et la chro­nique fron­tale (avec moult scènes de sexe crues, méca­niques et bru­tales…), Supersex ne tient pas vrai­ment sa pro­messe de female gaze sur un per­son­nage pour­tant inté­res­sant à pas­ser au crible du fémi­nisme tant il incarne le monde d’avant. Mais aus­si parce qu’il dit beau­coup de la construc­tion de la viri­li­té dans les années 1980.

Certes, aller pio­cher dans l’enfance tes­to­sté­ro­née de Rocco pour iden­ti­fier les sources du “mâle” (et du mal) n’est pas idiot au départ. Tout y est, en effet, de la fra­trie de gar­çons bagar­reurs à la mam­ma stoïque, croyante et ado­rée, en pas­sant par un grand frère beau gosse, voyou et ido­lâ­tré. Fort de cette ambiance sévè­re­ment bur­née, Rocco le bam­bi­no ne peut guère per­ce­voir “la” femme autre­ment que comme sainte ou putain, nous explique en creux cette pre­mière par­tie. Une repré­sen­ta­tion confor­tée par Supersex, un maga­zine qui donne tout pou­voir au pénis for­mi­dable de son héros et que le jeune Rocco lit et relit dans la pénombre avan­ta­geuse de son lit… Ici, on com­prend bien que la réa­li­sa­trice tente de com­prendre com­ment le patriar­cat, notam­ment en Italie, a fabri­qué de toute pièce un monstre de machisme. Soit. Le pro­blème c’est que ces épi­sodes ini­tiaux, qui s’appuient sur un fil­mage chro­mo, versent dans le sen­ti­men­ta­lisme et créent néces­sai­re­ment de l’empathie avec le per­son­nage. En soi, ce n’est pas inin­té­res­sant, bien au contraire. Mais on atten­dait donc le regard cri­tique dans la suite des épi­sodes. Et la suite – l’arrivée à Paris, les pre­mières expé­riences sexuelles, les tour­nages, la gloire, l’addiction au sexe, etc. – ne tient pas vrai­ment cette pro­messe. Alessandro Borghi fait un sans-​faute dans le rôle de Rocco adulte, mais si la réa­li­sa­trice tente quand même d’instiller une dimen­sion plus sombre, plus tra­gique, la forme, elle reste plate et terne. Et le pro­pos bien lisse…

À croire que la “pro­fon­deur” annon­cée du récit a peu à peu dilué le point de vue fémi­niste de Francesca Manieri. Rattrapée, comme nous le disions, par une forme d’empathie pour son per­son­nage (c’est sou­vent le cas dans les bio­pics), elle fini­rait presque par lui trou­ver des excuses et ça, c’est encore plus gênant… Dommage, car l’entreprise en elle-​même était intéressante. 

Supersex, de Francesca Manieri. Série de 7 épi­sodes de 50 min. Netflix.

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