Dans sa BD Amour, sexe et Terre promise, Salomé Parent-Rachdi et le dessinateur Deloupy révèlent seize témoignages, d’Israélien·nes et de Palestinie·nes, de musulman·es et de juif·ves qui, pour un jour ou pour toujours, ont bravé l’interdit : aimer ou désirer quelqu’un de l’autre religion, de l’autre nationalité, de l’autre côté du mur.
Entamée en 2018, avant les attaques du 7 octobre, l’enquête réalisée par la journaliste indépendante Salomé Parent-Rachdi aborde sous un angle inédit ce conflit qui dure depuis des décennies. Comment aime-t-on dans un territoire meurtri par la guerre ? Un reportage dessiné qui raconte “l’amour sous le joug de la géopolitique” à travers l’histoire d’un couple mixte composé d’un acteur israélien et d’une journaliste arabo-musulmane ; de Jean-Marc, un célibataire juif en coparentalité, ou encore d’une peintre russophone de Tel-Aviv…Causette a rencontré son autrice Salomé Parent-Rachdi.
Causette : Comment vous avez eu l’idée de cette BD ?
Salomé Parent-Rachdi : Ça m’est venu de plusieurs choses. Tout d’abord, j’étais correspondante là-bas en presse écrite pour plusieurs médias français. Au début, quand je faisais des papiers ou au cours de mes rencontres personnelles, j’entendais régulièrement les gens me parler de leurs histoires intimes, qui étaient souvent hyper intéressantes. On me le racontait toujours sur le ton de l’anecdote, mais c’était bien plus que ça, au fond. Parler d’amour sur ces territoires raconte le conflit d’une manière décalée. J’y ai réfléchi et comme chacun sait, surtout les féministes, “l’intime est politique”. À la fois, ça parle d’amour, donc de quelque chose de léger, mais en fait, les tensions géopolitiques viennent s’infiltrer jusque dans les lits. Ça permet aussi d’aborder le conservatisme, la présence des religions qui est très forte et la séparation de deux sociétés par un mur.
Comment avez-vous sélectionné les seize témoins qui ont contribué à votre enquête intime pour la BD ?
S.P.R. : Mon idée, c’était vraiment de faire un casting de gens avec des histoires qui me semblaient marquantes. Je voulais raconter des histoires de transgression et comment ces gens-là, pour vivre leur désir, devaient passer une frontière. Une frontière physique, c’est-à-dire passer le mur, ou une frontière sociale, communautaire ou religieuse. Évidemment, je voulais interroger un couple juif-arabe. Mais quelque part, je cherchais toutes les combinaisons : il me fallait un juif ultra-orthodoxe, une Israélienne qui vit à Ramallah avec un Palestinien, des personnes queer… et puis des gens qui viennent d’un peu partout pour pouvoir représenter la complexité du territoire à travers les dessins de Deloupy. En fait, je voulais montrer sa diversité : il n’y a pas une manière d’être israélien, les gens sont extrêmement différents et ils n’ont souvent rien à voir à part, pour la plupart, le fait d’être juif. Et côté Palestiniens, c’est pas du tout la même chose d’habiter et d’être jeune à Ramallah que d’habiter à Naplouse ou à Hébron.
Quel impact concret ce conflit a‑t-il sur les relations amoureuses ou intimes entre Israéliens et Palestiniens ?
S.P.R. : Les jeunes qui ont à peu près une trentaine d’années ne se connaissent pas, ne se croisent plus parce qu’ils ont grandi avec la construction du mur, ont vécu deux intifadas, les guerres à Gaza. Donc, il y a vraiment un éloignement physique et géographique qui est particulièrement fort depuis trente ans entre Israéliens et Palestiniens.
Mais je pense que ça va aussi de pair avec une certaine forme de désir et de fantasme pour l’autre qui est renforcé par l’“interdit”. C’est notamment ce que raconte Lana [personnage de la BD, jeune femme Arabe israélienne, ndlr] quand elle dit que les Juifs israéliens fantasment sur elle, mais qu’en même temps le fait qu’elle soit arabe fait d’elle un repoussoir à leurs yeux. De manière plus concrète, sur les couples plus officiels, je pense qu’il faut vraiment être très fort et très sûr de son amour, car ce n’est pas facile là-bas d’assumer la mixité de son couple. Et une fois ce pas passé, il y a les galères administratives qui arrivent avec les demandes de visa, la preuve que vous êtes vraiment en couple qui nécessite d’accepter des pratiques hyper intrusives comme monter ses messages… et puis après, ça continue. Je pense notamment à l’implication des enfants, quelle religion lui donner ? Quel nom ? Quelle nationalité ?
Est-ce que vous pensez qu’il est encore possible de s’aimer entre Juif·ves et Palestinien·nes ?
S.P.R. : Oui, oui, j’espère. Je pense qu’aujourd’hui évidemment que les gens vont continuer à s’aimer. Je pense que l’amour va continuer, mais ce qui est vrai, c’est qu’aujourd’hui les tensions et le besoin de repli sur soi entre Israéliens et Palestiniens est extrêmement fort, donc ce n’est clairement pas l’année où il va célébrer le plus de couples mixtes. Mais en tout cas, j’ose espérer qu’il va y en avoir et je pense que ça sera d’autant plus précieux.
![“Amour, sexe et Terre promise” : une BD sur l’amour en Israël et Palestine 3 CV AMOUR SEXE EN T PROMISE Plat1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/CV_AMOUR-SEXE-EN-T-PROMISE_Plat1-731x1024.jpg)
Amour, sexe et terre promise, de Salomé Parent-Rachdi et Deloupy. Les Arènes BD, 24 euros, 160 pages.