Du péché originel à aujourd’hui, les femmes ont appris à dompter leur estomac, mesurer les quantités, compter les calories, préparer pour les autres tout en s’affamant en cuisine. Dans son essai Mangeuses, Lauren Malka, collaboratrice régulière de Causette, tente de comprendre à travers des exemples piochés dans l’histoire, l’art, la religion comment on a déréglé l’appétit des femmes. Interview.
Causette : Dans Mangeuses, vous parlez des femmes comme d’une communauté d’affamées. Qu’entendez-vous par là ?
Lauren Malka : Au départ, l’idée de considérer les femmes du passé et d’aujourd’hui comme un « monde d’affamées » me paraissait un peu osée. C’était comme ça que je voyais le monde, mais je ne me sentais pas autorisée à le dire ainsi. Et puis j’ai interrogé des femmes et des jeunes filles de différents âges et milieux sociaux. J’ai lu Simone de Beauvoir en y cherchant des confidences sur son rapport intime à l’acte de manger, ainsi que George Sand, Colette, Marguerite Duras… ces écrivaines qu’on qualifie habituellement de « gourmandes » pour vérifier si elles l’étaient vraiment. J’ai été sidérée de constater que, tout en se disant « gourmandes » ou en garnissant allègrement les pages des anthologies culinaires, ces femmes que je rencontrais ou que je lisais avaient un rapport tourmenté à l’acte de « manger ». Ensuite, je suis tombée sur cette phrase magnifique de Roland Barthes qui dit tout : « Dans l’immense mythologie que les hommes ont élaborée autour de l’idéal féminin, la nourriture est systématiquement oubliée ; on voit communément la femme en état d’amour ou d’innocence ; on ne la voit jamais manger : c’est un corps glorieux, purifié de tout besoin. Mythologiquement, la nourriture est affaire d’hommes ; la femme n’y prend part qu’à titre de cuisinière ou de servante ; elle est celle qui prépare[…]