Dystopie, thriller, familial et même… préhistorique : quatre variations de polars aux préoccupations féministes.
Obsolète, de Sophie Loubière
En 2019, Yann Moix avait claironné ça : “Un corps de femme de 25 ans, c’est extraordinaire. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extraordinaire du tout.” Dans l’esprit de Sophie Loubière, cette phrase a été l’élément déclencheur de son douzième roman : Obsolète. C’est d’abord une dystopie, qui nous envoie en 2224. Après deux siècles de tempêtes, l’humanité a admis la sobriété : fini l’hyperconsommation, on ne pille plus la planète, l’autosuffisance est la règle. Mais cette sobriété a formé une société policée, surveillée. Surtout pour les femmes : dès la naissance, on leur greffe un “Bracelet modérateur d’humeur”, qui régule envies et hormones. Et dès leurs 50 ans, on les envoie au “Grand recyclage” : forcées de quitter leur famille, pour laisser la place à une nouvelle épouse, plus jeune, qui donnera d’autres enfants au monsieur. Elles sont alors reprogrammées. Mais dans le nord de la France, un recyclage a déraillé, jusqu’à provoquer un triple meurtre qu’il va falloir dissimuler. C’est parti pour une fiction qui mêle polar et dystopie, ruses et colères. Une mise à feu des régimes de servitude volontaire et un pavé contre les idées à ne pas recycler.
![Quatre polars féministes à dévorer 2 © Belfond](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/©-Belfond.jpg)
Obsolète, de Sophie Loubière. Belfond/Romans noirs, 528 pages, 21 euros.
Les Doigts coupés, d’Hannelore Cayre
“Un nouveau jalon dans l’histoire de l’humanité, et plus précisément dans celle de la femme, la grande oubliée du récit de nos origines” : voilà ce que s’apprête à révéler, ce jour-là, la paléontologue Adrienne Célarier. Voilà aussi ce que vous allez lire dans Les Doigts coupés. Tout commence sur un chantier en Dordogne : en voulant creuser un trou pour sa piscine, une néo-propriétaire ne découvre rien moins que l’entrée… d’une grotte. Avec des os. Puis une sépulture datant du Paléolithique. Les parois sont recouvertes d’empreintes de mains, faites au pochoir, des mains aux doigts coupés, voire manquants. Il se pourrait bien que ce soit la première scène de crime de l’Histoire. Alors, Adrienne Célarier rapplique. C’est l’un des deux fils de l’intrigue. L’autre vous conduit 35 000 ans avant notre ère, au cœur d’une tribu où les hommes chassent les bêtes et ont droit de cuissage sur toutes les filles. Elles, elles n’ont le droit que de se taire, sauf à se faire couper une phalange. Oli est jeune et va défier ce patriarcat. Archéologues et historien·nes ont démontré que des tribus féministes avaient bien existé durant la préhistoire, Hannelore Cayre en tire un polar aussi pédago que dingo.
![Quatre polars féministes à dévorer 3 © Editions Metailie](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/©-Editions-Metailie-667x1024.jpg)
Les Doigts coupés, d’Hannelore Cayre. Métailié, 192 pages, 18 euros.
Furies, de Meagan Jennett
C’est un premier roman, et c’est une découverte de ce printemps. Meagan Jennett est née en Virginie, dont elle a fait le décor de Furies. On arpente ici cet État d’Amérique hanté par son passé esclavagiste et raciste. On arpente aussi la psyché de Sophie Braam, barmaid dans un bled paumé, devenue tueuse en série par vengeance contre les hommes qui, trop longtemps, ont voulu lui mettre une main aux fesses derrière le comptoir. Par vengeance aussi contre ceux qui, par ici et depuis toujours, harcèlent ou violent des femmes. Bientôt, les autorités confient l’affaire à une officière fraîchement mutée dans le coin : Nora Martin. Celle-ci souffre également du comportement des hommes dans son métier. Nos deux femmes vont finir par se croiser, et nous n’en révélerons pas davantage. Tout en racontant les crimes (sans lésiner sur les détails… tranchants) et l’enquête, Furies dévoile la sororité unissant deux femmes que tout oppose, au regard de la loi. Un suspense qui unit la forme (celle du thriller) à un fond historique (le passé de son État) autant qu’actuel et féministe.
![Quatre polars féministes à dévorer 4 © Les Arenes](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/©-Les-Arenes-722x1024.jpg)
Furies, de Meagan Jennett. Les Arènes, traduit de l’anglais (États-Unis) par Yoko Lacour, 464 pages, 24 euros.
Fille de, de Christian Roux
Christian Roux a plusieurs fois évoqué les enfants (soldats dans Kadogos, ou maltraités dans Placards) ainsi que les braquages (c’était même le titre de son premier roman, en 2002). Fille de porte sur une femme qui renoue avec la figure d’un père… ex-braqueur. Samantha (appelez-là Sam, elle préfère), 26 ans, tient son garage sur les hauteurs de Cassis. Ce matin-là, elle reçoit la visite d’un type qui sort de prison et vient réclamer sa part du butin : Franck, vieil ami du père de Sam. Celui-ci, Antoine, a perdu la boule et la mémoire à la suite du dernier casse. Depuis, pour des raisons légales et pour d’autres motifs bien plus personnels, Sam a tourné la page. Car jusqu’à ses 20 ans, Sam opérait avec les deux hommes. Que s’est-il passé dans sa jeunesse ? Quelle dette et quel butin vient exactement réclamer le fameux Franck ? Personne ne le sait vraiment. Ni Antoine, qui a perdu la mémoire, ni Sam, qui décide malgré tout de récupérer son père à l’Ehpad et de l’emmener sur la route de ses souvenirs. Une histoire de femme dans un monde mâle, un polar qui émeut, qui tranche, qui fait feu et fait sens.
![Quatre polars féministes à dévorer 5 © Rivages](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/09/©-Rivages.jpg)
Fille de, Christian Roux. Rivages, 160 pages, 18 euros.