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© Mélanie These / Unsplash

Quatre polars fémi­nistes à dévorer

Dystopie, thril­ler, fami­lial et même… pré­his­to­rique : quatre varia­tions de polars aux pré­oc­cu­pa­tions féministes.

Obsolète, de Sophie Loubière

En 2019, Yann Moix avait clai­ron­né ça : “Un corps de femme de 25 ans, c’est extra­or­di­naire. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extra­or­di­naire du tout.” Dans l’esprit de Sophie Loubière, cette phrase a été l’élément déclen­cheur de son dou­zième roman : Obsolète. C’est d’abord une dys­to­pie, qui nous envoie en 2224. Après deux siècles de tem­pêtes, l’humanité a admis la sobrié­té : fini l’hyperconsommation, on ne pille plus la pla­nète, l’autosuffisance est la règle. Mais cette sobrié­té a for­mé une socié­té poli­cée, sur­veillée. Surtout pour les femmes : dès la nais­sance, on leur greffe un “Bracelet modé­ra­teur d’humeur”, qui régule envies et hor­mones. Et dès leurs 50 ans, on les envoie au “Grand recy­clage” : for­cées de quit­ter leur famille, pour lais­ser la place à une nou­velle épouse, plus jeune, qui don­ne­ra d’autres enfants au mon­sieur. Elles sont alors repro­gram­mées. Mais dans le nord de la France, un recy­clage a déraillé, jusqu’à pro­vo­quer un triple meurtre qu’il va fal­loir dis­si­mu­ler. C’est par­ti pour une fic­tion qui mêle polar et dys­to­pie, ruses et colères. Une mise à feu des régimes de ser­vi­tude volon­taire et un pavé contre les idées à ne pas recycler.

© Belfond

Obsolète, de Sophie Loubière. Belfond/​Romans noirs, 528 pages, 21 euros. 

Les Doigts cou­pés, d’Hannelore Cayre

“Un nou­veau jalon dans l’histoire de l’humanité, et plus pré­ci­sé­ment dans celle de la femme, la grande oubliée du récit de nos ori­gines” : voi­là ce que s’apprête à révé­ler, ce jour-​là, la paléon­to­logue Adrienne Célarier. Voilà aus­si ce que vous allez lire dans Les Doigts cou­pés. Tout com­mence sur un chan­tier en Dordogne : en vou­lant creu­ser un trou pour sa pis­cine, une néo-​propriétaire ne découvre rien moins que l’entrée… d’une grotte. Avec des os. Puis une sépul­ture datant du Paléolithique. Les parois sont recou­vertes d’empreintes de mains, faites au pochoir, des mains aux doigts cou­pés, voire man­quants. Il se pour­rait bien que ce soit la pre­mière scène de crime de l’Histoire. Alors, Adrienne Célarier rap­plique. C’est l’un des deux fils de l’intrigue. L’autre vous conduit 35 000 ans avant notre ère, au cœur d’une tri­bu où les hommes chassent les bêtes et ont droit de cuis­sage sur toutes les filles. Elles, elles n’ont le droit que de se taire, sauf à se faire cou­per une pha­lange. Oli est jeune et va défier ce patriar­cat. Archéologues et historien·nes ont démon­tré que des tri­bus fémi­nistes avaient bien exis­té durant la pré­his­toire, Hannelore Cayre en tire un polar aus­si péda­go que dingo.

© Editions Metailie

Les Doigts cou­pés, d’Hannelore Cayre. Métailié, 192 pages, 18 euros.

Furies, de Meagan Jennett

C’est un pre­mier roman, et c’est une décou­verte de ce prin­temps. Meagan Jennett est née en Virginie, dont elle a fait le décor de Furies. On arpente ici cet État d’Amérique han­té par son pas­sé escla­va­giste et raciste. On arpente aus­si la psy­ché de Sophie Braam, bar­maid dans un bled pau­mé, deve­nue tueuse en série par ven­geance contre les hommes qui, trop long­temps, ont vou­lu lui mettre une main aux fesses der­rière le comp­toir. Par ven­geance aus­si contre ceux qui, par ici et depuis tou­jours, har­cèlent ou violent des femmes. Bientôt, les auto­ri­tés confient l’affaire à une offi­cière fraî­che­ment mutée dans le coin : Nora Martin. Celle-​ci souffre éga­le­ment du com­por­te­ment des hommes dans son métier. Nos deux femmes vont finir par se croi­ser, et nous n’en révé­le­rons pas davan­tage. Tout en racon­tant les crimes (sans lési­ner sur les détails… tran­chants) et l’enquête, Furies dévoile la soro­ri­té unis­sant deux femmes que tout oppose, au regard de la loi. Un sus­pense qui unit la forme (celle du thril­ler) à un fond his­to­rique (le pas­sé de son État) autant qu’actuel et féministe.

© Les Arenes

Furies, de Meagan Jennett. Les Arènes, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Yoko Lacour, 464 pages, 24 euros.

Fille de, de Christian Roux

Christian Roux a plu­sieurs fois évo­qué les enfants (sol­dats dans Kadogos, ou mal­trai­tés dans Placards) ain­si que les bra­quages (c’était même le titre de son pre­mier roman, en 2002). Fille de porte sur une femme qui renoue avec la figure d’un père… ex-​braqueur. Samantha (appelez-​là Sam, elle pré­fère), 26 ans, tient son garage sur les hau­teurs de Cassis. Ce matin-​là, elle reçoit la visite d’un type qui sort de pri­son et vient récla­mer sa part du butin : Franck, vieil ami du père de Sam. Celui-​ci, Antoine, a per­du la boule et la mémoire à la suite du der­nier casse. Depuis, pour des rai­sons légales et pour d’autres motifs bien plus per­son­nels, Sam a tour­né la page. Car jusqu’à ses 20 ans, Sam opé­rait avec les deux hommes. Que s’est-il pas­sé dans sa jeu­nesse ? Quelle dette et quel butin vient exac­te­ment récla­mer le fameux Franck ? Personne ne le sait vrai­ment. Ni Antoine, qui a per­du la mémoire, ni Sam, qui décide mal­gré tout de récu­pé­rer son père à l’Ehpad et de l’emmener sur la route de ses sou­ve­nirs. Une his­toire de femme dans un monde mâle, un polar qui émeut, qui tranche, qui fait feu et fait sens.

© Rivages

Fille de, Christian Roux. Rivages, 160 pages, 18 euros.

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