L’énigme du Sphinx
Le nouveau roman de Jodi Picoult commence fort, façon Netflix. Dawn, mère de famille dont le métier, « doula de fin de vie », consiste à accompagner les mourants dans leurs derniers instants, vient de survivre miraculeusement à un accident d’avion. Contre toute attente, elle ne rentre pas chez elle auprès de ses proches. Direction Le Caire, où elle retrouve son premier amour – et rival – qu’elle a connu quinze ans auparavant, à l’époque où elle se destinait, comme lui, à une carrière d’égyptologue. Entre les vallées d’Al-Minya, de Deir el-Bersha, les villages anciens de la Moyenne Égypte, elle s’interroge. Comment en est-elle arrivée là ? Qu’a‑t-elle loupé ? Bien sûr, il y a la crise de la quarantaine, l’effroi d’avoir frôlé la mort. Mais il y a bien plus. Entre explorations philosophiques sur la fin de la vie, le corps, les mondes parallèles, les jeux de séduction entre anciens amants, Jodi Picoult, foudroyante de style et d’intelligence, nous offre un vertige littéraire et l’envie de croire qu’en cultivant le « jardin des peut-être », une deuxième chance est possible.
Le prix d’être femme
Tout·e écrivain·e n’a qu’un pays : celui de sa langue. On connaît l’adage. Depuis Je viens d’ailleurs (2002), Chahdortt Djavann le crie et l’écrit. Née à Téhéran, vivant en France depuis 1993, elle est devenue une voix intellectuelle des plus puissantes. Ce nouveau livre alterne deux récits personnels et quatre microfictions tirées de faits réels survenus dans l’Iran actuel. Nous lirons une histoire d’amour fatal entre deux jeunes femmes. Nous lirons l’histoire d’un féminicide au sommet du pouvoir [survenu en 2019, ndlr]. Nous en lirons deux autres, aussi subjuguantes et tragiques. Si Djavann les raconte, c’est parce qu’elle se revendique écrivaine politique. Mais aussi parce que née juste après un frère mort-né, elle se vit inculquer très tôt la culpabilité d’« être née sans pénis ». Elle est toutes ces femmes contre les mollahs. Grâce à elle, nous pouvons l’être aussi. H. A.
Noblesse du e‑love
Comment rester romantique quand il faut optimiser le moindre date ? À quels discours, à quels canons doit-on se conformer lorsqu’on veut persévérer dans l’amour courtois ? À 28 ans, Arthur est perdu dans ses histoires et dans ses applis. Le jeune Lillois multiplie les rendez-vous et les plans via Tinder, Bumble ou Happn. Autour de lui, tout le monde swipe, like, couche, puis ghoste. Il n’en veut plus. Pour lui, au contraire, les matchs par appli sont la drague « noble » comme la boxe est « l’art noble » : un face-à-face égalitaire, fait de feintes et d’intelligence du placement. C’est pourquoi il y cherche celle qui sera « la plus stylée de la Terre ». Avec panache et brio, La Nouvelle Éducation sentimentale – premier roman – raconte cette quête. Avant et après la pandémie actuelle, qui a tellement modifié notre rapport au temps et aux applis de plans. H. A.
Cocktail déjanté
Vous avez envie de rire quatre cents fois en autant de pages ? De rire jaune, de rire noir, de rire fort ? Prenez et lisez Un dernier ballon pour la route. C’est un polar comme on aime : dur, mais tendre. Viré de l’armée puis de la police, Freddie manie les armes aussi bien que la bouteille. Idem pour son acolyte et ami Didier, lui aussi ancien militaire. Improvisés détectives privés, les deux viennent de délivrer une fillette qui avait été enlevée. Et sur le chemin pour la ramener chez ses parents, ils sauvent une autre gamine, prise à d’autres ravisseurs. Nous entrons alors dans une course-poursuite, à travers une France périphérique, celle des ronds-points et des centres commerciaux XXL. On y croise des chasseurs, des toxicos, des lobbyistes, des clodos célestes, des charlatans et une étrange affaire de vaches mortes. Avec nos deux héros, on y vide des dizaines de ballons de rouge aux comptoirs (quand ce n’est pas des « Piconard », Picon et Ricard). Après deux polars de politique-fiction (repris en poche chez Points), Dierstein revient avec un roman noir, social et dingo, quelque part entre Coluche, Dupontel et Houellebecq. H. A.
Libertée surveillée
Trente ans exactement après Fuck, son premier livre,ce Vice est plus qu’un écho. Quatorzième roman de Laurent Chalumeau, ancien de Rock & Folk qui camarade avec Antoine de Caunes depuis les années Canal, c’est le troisième seulement avec pour cadre ce pays qui le fascine : les États-Unis. Comme dans Fuck, il dépeint un certain revers de feu le rêve américain. Voici Esperanza Running-Wolf, quadragénaire de la côte ouest. Divorcée depuis peu, elle couche si elle veut quand elle veut, tout en essayant de contrôler ses pulsions (sexuelles, affectives, intimes). Elle s’acoquine, mais sans s’engager, avec deux mecs qui, eux, s’en amourachent. Bercé par une BO très country, jouant avec les fils de son intrigue, porté par un style électrique et différent de sa gouaille habituelle, Chalumeau alterne ici entre comédie romantique et polar féministe. H. A.
2010, l’odyssée des féminismes
Elles se croiseraient bien un jour dans un livre, l’histoire de la pop culture (née il y a près d’un siècle, si on la date à partir des pulps et des comics des années 1930) et celle de la décennie écoulée, « qui ont inscrit un tournant inédit dans notre approche des féminismes, des questions raciales, dans notre rapport au corps et à la sexualité notamment ». C’est chose faite dans cet essai particulièrement revigorant de la journaliste et podcasteuse Jennifer Padjemi, qui y retrace la décennie 2010 de tout·es ceux et celles qui ont incarné et fait muter les éléments du féminisme intersectionnel. De Beyoncé à la showrunner Shonda Rhimes, en passant par Kim Kardashian ou les séries télé les plus récentes (dont la sublime I May Destroy You), elle montre comment les théories les plus pointues sont arrivées dans les médias à grande diffusion, pour le meilleur ou pour le pire. H. A.