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© Manuel Lagos Cid / Le Lombard

“L’hymen ne fait pas la vir­gi­ni­té” : Élise Thiébaut débou­lonne les “fake news” sur la virginité

Dans la BD Vierges-​La folle his­toire de la vir­gi­ni­té (édi­tions Le Lombard), l’essayiste Élise Thiébaut fait, avec la des­si­na­trice Elléa Bird, l’historique d’une construc­tion sociale sou­vent uti­li­sée pour domi­ner les femmes. Entretien.

Causette : En quoi la chas­te­té et la vir­gi­ni­té sont-​elles dif­fé­rentes ?
Élise Thiébaut :
La concep­tion ori­gi­nelle de la vir­gi­ni­té est une vision du fémi­nin qui s’appuie sur Artémis, la déesse qu’on disait vierge mais que tous les récits nous montrent vivant des rela­tions sen­suelles, voire des his­toires d’amour. Beaucoup de femmes ont eu des rela­tions sexuelles non péné­tra­tives : quand on parle de vir­gi­ni­té, il ne s’agit pas de se pri­ver d’amour phy­sique ou sen­suel, mais plu­tôt d’éviter le coït, qui pour­rait pro­duire une gros­sesse éven­tuel­le­ment non désirée. 

Causette : Quand on parle de vir­gi­ni­té, pour­quoi est-​il sous-​entendu qu’elle est fémi­nine et pas mas­cu­line ?
É.T. :
Parce qu’il n’y a pas le même enjeu : ce qu’un rap­port sexuel peut entraî­ner chez une femme, la gros­sesse, ne peut pas se pro­duire dans le corps d’un homme, on le sait. Surtout, cela résulte d’une volon­té des hommes de s’approprier ce corps et ses fruits : le tabou mais aus­si le culte de la vir­gi­ni­té s’inscrit donc dans une volon­té de tra­ça­bi­li­té de l’enfant. Il s’agit de s’assurer qu’aucun autre homme n’a péné­tré la femme. Je pense que les hommes ont com­pris assez vite que la vir­gi­ni­té était le moment cru­cial qui va condi­tion­ner la pos­sible sou­mis­sion des femmes. De la même manière, le tabou des règles sert à don­ner honte aux femmes et à leur don­ner un sen­ti­ment d’infériorité et de stig­ma­ti­sa­tion. La vir­gi­ni­té asso­ciée au viol de la nuit de noce va ensuite pro­duire un effet trau­ma­tique de sidération.

Causette : Parmi les mythes entou­rant la vir­gi­ni­té fémi­nine, il y a l’hymen, dont vous écri­vez qu’il n’existe pas.
É.T. :
L’hymen ne fait pas la vir­gi­ni­té. Cela fait par­tie des fausses idées qui ont cir­cu­lé long­temps. Quand j’interviens dans des col­lèges, on me demande sou­vent si la pre­mière fois fait mal. Or, si l’on s’intéresse à la phy­sio­lo­gie, une pre­mière rela­tion sexuelle péné­tra­tive ne devrait jamais faire mal, car il n’y a pas de muqueuses plus élas­tiques que celles de la vulve et du vagin. À part des cas patho­lo­giques, l’hymen est lui aus­si extrê­me­ment souple, il ne se “déchire” pas : il s’écarte et s’efface plu­tôt. Cela peut être un sou­la­ge­ment de l’apprendre, pour les gens qui sou­haitent pra­ti­quer un coït péné­tra­tif. C’est une mem­brane qui se main­tient jusqu’à l’accouchement : il faut bien cela pour que la cou­ronne de l’hymen dis­pa­raisse, ce n’est donc pas un doigt ou un pénis qui vont véri­ta­ble­ment le per­tur­ber. Selon les femmes, sa pré­sence est plus ou moins dis­crète et il est tou­jours plus ou moins troué : il y a, par exemple, des trous pour lais­ser pas­ser le sang des règles. Mener une vie nor­male (cou­rir, faire du sport) peut l’agrandir ou l’effacer. Il y a d’ailleurs très peu d’espèces chez qui l’on observe une mem­brane sem­blable, on ne com­prend pas très bien quel est son rôle encore aujourd’hui. Donc, le culte de la vir­gi­ni­té, qui s’accompagne d’une féti­chi­sa­tion de l’hymen – d’ailleurs le même terme désigne le mariage et la mem­brane –, a un sens social, plus que physiologique. 

Causette : Il existe aus­si des cultures où le plai­sir est par­ta­gé…
É.T. :
La plus spec­ta­cu­laire dans ce domaine, ce sont les Moso, en Chine. Lorsque la jeune fille a ses règles, elle reçoit la clé de sa chambre, avec une porte qui donne sur l’extérieur. Elle peut ain­si rece­voir à sa conve­nance les amants qu’elle sou­haite (une fois ou plu­sieurs fois), c’est elle qui choi­sit. Tout se fait selon ses condi­tions, seuls le plai­sir et la joie sont requis. Et si cela donne lieu à une gros­sesse, l’enfant sera éle­vé au sein de la famille mater­nelle et la figure du père sera incar­née par le frère. Parfois, on ne sau­ra même pas qui est le père bio­lo­gique. C’est une autre orga­ni­sa­tion sociale, qui donne le ver­tige quand on l’observe depuis nos socié­tés patriar­cales. Là, la ques­tion de la vir­gi­ni­té se résout très dif­fé­rem­ment et se conçoit comme un plai­sir : c’est d’ailleurs un for­mi­dable sym­bole que de don­ner une clé pour avoir sa propre chambre. 

Causette : Cette bande des­si­née est aus­si l’occasion de dres­ser des por­traits de femmes, avez-​vous une pré­fé­rée ?
É.T. :
Celle que j’adore depuis long­temps, c’est Artémis [déesse grecque de la chasse, ndlr] : pour moi, c’est la déesse des Amazones, celle qui règne à la fois sur les règles et l’accouchement. C’est aus­si l’ancêtre de la Vierge, dont tous les attri­buts sont déjà pré­sents chez Artémis. Pour moi, elle est un peu la source des déesses lunaires qui m’intéressent le plus, c’est-à-dire celles qui sont dépo­si­taires d’un savoir archaïque qui a été détruit au moment du Néolithique. Cette figure m’inspire tou­jours, d’ailleurs, le roman que je suis en train d’écrire s’appelle Artémis Monde [publi­ca­tion pré­vue aux édi­tions Diable Vauvert].

Causette : Qu’est-ce qui vous a le plus éton­née en écri­vant cette bande des­si­née ?
É.T. :
C’est sans doute le par­cours de Jeanne d’Arc, que j’ai redé­cou­vert sous l’angle de la tran­si­den­ti­té, puisque c’est quand même la rai­son pour laquelle, offi­ciel­le­ment, elle a été brû­lée. Elle s’habillait en homme et c’était consi­dé­ré comme un péché mor­tel. Cette his­toire porte l’empreinte du patriar­cat. Ironiquement, j’aime bien sou­li­gner que l’icône de la vir­gi­ni­té et des natio­na­listes fran­çais a, en fait, mené un par­cours tota­le­ment à rebours des idées qu’elle est cen­sée incar­ner pour ces personnes-​là, puisque c’est un par­cours trans.
Une autre per­sonne que je retiens, c’est Hypathie d’Alexandrie [née entre 355 et 370 selon les sources et morte en 415], une grande scien­ti­fique et sage. Son his­toire me touche beau­coup parce qu’elle a subi un meurtre rituel, c’est-à-dire qu’elle a été écar­te­lée en pleine rue par des chré­tiens fana­ti­sés parce qu’elle sym­bo­li­sait la liber­té, l’autonomie et l’intelligence des femmes, alors que le pro­jet patriar­cal chré­tien, c’est bien d’empêcher cela à tout prix, par la vio­lence extrême. Et ça fait mal.

Vierges-​La folle his­toire de la vir­gi­ni­té, élise Thiébaut et Elléa Bird. Le Lombard, 96 pages, 15,95 euros.

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