Trente ans après que le leader de Nirvana s’est donné la mort, le 5 avril 1994, à 27 ans, beaucoup de choses ont été écrites à son sujet. Mais pas tellement sur son féminisme. Il infuse pourtant les idées et la musique de Kurt Cobain.
Août 1990. Au sein de la ville d’Olympia, dans l’État de Washington, aux États-Unis, ouvre un faux centre d’aide pour les adolescentes enceintes tenu par des militant·es pro-vie. Un soir, révoltée et légèrement enivrée par la bouteille de whisky qu’elle buvait, Kathleen Hanna, la chanteuse du groupe de rock Bikini Kill, décide d’aller vandaliser le lieu. Elle entraîne avec elle son ami Kurt Cobain, leader de Nirvana, qui n’a alors pas encore explosé sur la scène musicale. Elle écrit sur la devanture “Fausse clinique d’avortement”. Lui est “plus créatif”, raconte-t-elle dans le livre Everybody Loves Our Town, paru en 2011. Avec de la peinture rouge, il inscrit en immense le message : “Dieu est gay.” “Nous étions deux jeunes féministes en colère”, explique Kathleen Hanna, qui inspirera cette même nuit au chanteur le titre de son hymne Smells Like Teen Spirit.
Trente ans après qu’il s’est donné la mort, le 5 avril 1994, à 27 ans, beaucoup de choses ont été écrites sur Kurt Cobain. Mais son féminisme n’est pas l’élément biographique le plus mis en avant. Il infuse pourtant ses idées et sa musique, comme en attestent des extraits de son journal intime, publié après son suicide, récemment partagés par le journaliste Matthieu Culleron sur France Inter : “Puissent les femmes gouverner le monde”, “J’aime savoir que les femmes sont généralement supérieures aux hommes et moins violentes qu’eux” ou encore “Il est presque impossible de déprogrammer l’oppresseur mâle, en particulier lorsqu’il a été biberonné au sexisme de génération en génération.”
“Kurt Cobain s’inscrit dans un mouvement hérité du punk qui était extrêmement anarchiste et féministe, souligne Johanna Luyssen, journaliste et autrice des 30 féministes que personne n’a vus venir (Le Contrepoint), paru en 2015 et dans lequel elle évoquait déjà le féminisme de Cobain. On oublie parfois, parce qu’on a une vision masculine de ce genre musical, qu’il y avait le mouvement des Riot Grrrl. Kurt Cobain avait noué une amitié très forte avec Kathleen Hanna, grande figure féministe, et sortait avec une autre membre des Bikini Kill, Tobi Vail. Il nageait vraiment dans ce milieu et en a épousé le militantisme. Il était très déconstruit.”
Des textes féministes forts
“Adolescente dans les années 1990, j’écoutais beaucoup Nirvana. Je ne me suis jamais sentie exclue en tant que femme. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il s’agissait d’un groupe macho ou viriliste qui m’était hostile. J’ai, au contraire, toujours trouvé qu’il faisait preuve d’une rare sensibilité, de subtilité et d’un certain respect”, se souvient Johanna Luyssen.
Dans plusieurs chansons de Nirvana, Kurt Cobain aborde des thématiques féministes et fait partie des rares artistes masculins, de la scène rock, sensibles à la question du viol. Rape Me, sortie en 1993, avait été comprise comme “une ode” aux violences sexuelles alors que c’était tout le contraire, assure Johanna Luyssen. Sur scène, le leader du groupe n’a pas hésité à clarifier ses intentions. Dans une captation de l’un de ses concerts, il lançait, avant de jouer le titre : “Ce morceau est à propos de mecs poilus, machos, qui puent la transpiration et qui violent.”
Deux ans avant, la chanson Polly dénonçait également un viol. En s’inspirant du calvaire d’une adolescente de 14 ans, kidnappée et violée, Kurt Cobain se plaçait du point de vue du violeur dans son texte pour dénoncer l’atrocité de l’acte. “Le viol est l’un des crimes les plus terribles sur terre. Le problème c’est qu’on essaie d’éduquer les femmes pour leur apprendre à se défendre. Alors qu’il faudrait plutôt enseigner aux hommes à ne pas violer. Il faut aller à la source et commencer par là”, expliquait à l’époque le chanteur au magazine musical américain NME. Des propos forts de Kurt Cobain, qui dénotent bien ses idées féministes, méconnues ou oubliées, et qui sont à célébrer autant que son apport à la musique, en ce triste anniversaire de sa mort.