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Collectif Nos enfants trans : “On raconte tout et n’importe quoi sur nos enfants”

Face à la panique morale qui enfle sur la tran­si­den­ti­té, des parents viennent de créer le col­lec­tif Nos enfants trans pour faire connaître le vécu de leurs familles. Et expli­quer pour­quoi la tran­si­tion médi­cale des mineur·es – qui concerne moins de trois cents ados par an et que des par­le­men­taires tentent d’interdire – se révèle par­fois vitale. Causette leur a ten­du le micro.

Causette : Qui com­pose le col­lec­tif Nos enfants trans, né au mois d’avril ?
Sonia :
Pour l’instant, nous sommes trois parents, deux mamans et un papa d’enfants trans de dif­fé­rents âges. On s’est ren­con­trés via Grandir trans, une asso­cia­tion qui fait de la pair-​aidance et dont le groupe Facebook (qui comp­tait plus de mille membres jusqu’à l’année der­nière) est régu­liè­re­ment infil­tré par Ypomony, un col­lec­tif de parents oppo­sés aux tran­si­tions de genre. Ils sont très proches de l’Observatoire de la Petite Sirène, parlent de “conta­gion sociale”, d’“idéo­lo­gie”… À force, la per­sonne qui gérait le groupe Grandir trans a bais­sé les bras et a fini par tout fer­mer. Du coup, nous avons rou­vert il y a quelques mois un nou­veau groupe d’entraide Grandir trans, puis à la sor­tie du rap­port des séna­teurs LR [sur les mineur·es trans­genres, le 20 mars, ndlr], nous avons déci­dé de créer ce col­lec­tif. Notre objec­tif est de faire entendre le vécu de nos enfants, avec une tona­li­té qui soit réso­lu­ment dans la fier­té, dans le sou­tien à nos enfants et l’affirmation de leur acceptation.

Le 11 avril, des député·es (RN) ont dépo­sé une pro­po­si­tion de loi visant à inter­dire toute démarche médi­cale liée à une tran­si­tion de genre pour les mineur·es. Le même jour sor­tait Transmania, livre à charge contre “l’idéologie trans­genre”, relayé par Marion Maréchal. Un mois plus tôt, des sénateurs·rices LR pré­co­ni­saient d’interdire toute tran­si­tion de genre pour les mineur·es… La nais­sance de votre col­lec­tif a‑t-​elle à voir avec ce contexte politico-​médiatique ?
Sonia :
Oui, effec­ti­ve­ment. Ça fai­sait quelque temps que nous sou­hai­tions reprendre pos­ses­sion de notre parole : faire connaître les réa­li­tés de nos enfants, plu­tôt qu’un récit fan­tas­mé et détour­né au pro­fit d’un agen­da poli­tique nau­séa­bond. On était au cou­rant que des séna­teurs LR avaient créé un groupe de tra­vail et qu’un rap­port allait sor­tir. On savait que ça allait être dur. Mais quand le rap­port est sor­ti, ça a été pire que tout. Dans ce rap­port, et même dans la pro­po­si­tion de loi des dépu­tés RN, on raconte tout et n’importe quoi sur le vécu de nos enfants. Là, on s’est dit : ce n’est pas pos­sible, il faut qu’on se batte face à ces pro­po­si­tions. Ça a été plus fort que nous. On a d’abord tra­vaillé avec Maryse Rizza, [pré­si­dente] de Grandir trans, sur une tri­bune parue dans Libération [sou­te­nue par plus de quatre cents signa­taires]. Puis on a réflé­chi à la façon de dif­fu­ser nos demandes : à tra­vers notre péti­tion, notre compte Instagram

En quoi ces pré­co­ni­sa­tions des par­le­men­taires vous semblent-​elles “dan­ge­reuses” pour les enfants trans, notam­ment les vôtres ?
Sonia :
Il y a beau­coup de choses à dire sur ces textes. La pre­mière, déjà, c’est qu’ils nient l’existence de nos enfants. Et ne pas les recon­naître, faire en sorte qu’ils ne soient pas visibles, c’est géné­rer plus de trans­pho­bie, c’est armer la socié­té et les gens autour pour dire “tu es une erreur de la nature, on va te pour­rir”, etc. Cette trans­pho­bie, nos enfants la subissent tous les jours. C’est un des pro­blèmes qu’on a au quo­ti­dien. Moi, ma fille a 7 ans, tout va bien pour elle. Mais quand elle est confron­tée à des enfants qui uti­lisent son ancien pré­nom pour l’embêter, elle se demande : est-​ce que c’est vrai­ment ma place ? Est-​ce que c’est nor­mal de res­sen­tir ça ? 

La deuxième chose, c’est la psy­chia­tri­sa­tion à outrance de nos enfants. Cette psy­chia­tri­sa­tion les ren­voie au fait que leur vécu n’est pas nor­mal, que quelque chose ne va pas chez eux. La tran­si­den­ti­té, ce n’est pas une mala­die. Au sein du col­lec­tif, nous sommes deux à avoir des enfants qui ont mani­fes­té des ques­tion­ne­ments sur leur genre très tôt, vers l’âge de 3–4 ans. Je suis maman de jumeaux et c’est vrai­ment quelque chose qui nous est tom­bé des­sus. On ne s’y atten­dait pas du tout. Mon fils n’avait aucun ques­tion­ne­ment de genre, alors que pour ma fille, au contraire, il y a eu dif­fé­rents signes, très tôt. Et les par­le­men­taires, comme la socié­té, ont beau­coup de mal à entendre qu’un enfant qui n’est pas sou­mis à la “conta­gion sociale” – puisqu’ils aiment employer ce terme – puisse expri­mer des varia­tions de genre aus­si jeune. 

Effectivement, les coming out qui ont lieu à l’adolescence font sou­vent suite à des années de mal-​être, parce que l’enfant n’avait pas les mots, ne com­pre­nait pas, n’était pas enten­du par les parents… Si je prends mon expé­rience, mon enfant va bien : elle rit, elle a des copines, elle a une vie de petite fille tout à fait nor­male. Renvoyer nos enfants uni­que­ment sur le mal-​être et la psy­chia­tri­sa­tion, c’est les rendre vul­né­rables et par­ler à leur place. Alors qu’à par­tir du moment où ils peuvent être dans l’affirmation de soi, qu’ils ont du sou­tien de la famille, de leur entou­rage, le mal-​être dimi­nue et les enfants peuvent aller bien en fait.

Ces par­le­men­taires, qui s’opposent à toute tran­si­tion de genre pour les mineur·es , veulent faire inter­dire les blo­queurs de puber­té. Préconisation à laquelle vous vous oppo­sez avec force…
Sonia :
Leur pro­jet, c’est d’interdire toute tran­si­tion médi­cale, notam­ment les blo­queurs de puber­té et les trai­te­ments d’hormones croi­sées. Or il y a eu énor­mé­ment d’études – et c’est là où j’en veux aux par­le­men­taires de faire de tels rac­cour­cis – qui montrent que les blo­queurs de puber­té sont utiles pour faire bais­ser la dys­pho­rie [le mal-​être] et ont un effet extrê­me­ment béné­fique chez les enfants concer­nés. Il y a beau­coup de dés­in­for­ma­tion dans cette pro­po­si­tion. Il faut rap­pe­ler que les blo­queurs de puber­té sont don­nés depuis les années 70 pour les enfants qui ont des puber­tés pré­coces. Donc c’est quelque chose sur lequel on a du recul. Et en vou­lant les inter­dire aux enfants trans, on crée de la dis­cri­mi­na­tion : pour­quoi les auto­ri­ser aux uns, mais pas aux autres ? Cette ques­tion du double stan­dard est très présente. 

On entend actuel­le­ment des autrices par­ler d’“expériences médi­cales” sur les enfants. Il n’y a aucune expé­rience médi­cale ! Les blo­queurs de puber­té ne sont pas don­nés comme ça. Ils sont pres­crits après des mois de consul­ta­tion, seule­ment si vous êtes sui­vi dans l’un des seuls ser­vices qui existent pour les enfants trans. C’est une consul­ta­tion com­mune entre plu­sieurs spé­cia­listes. Et ça répond à la ques­tion du bénéfice-​risque. Si le risque, c’est la mort, le sui­cide, les auto­mu­ti­la­tions, est-​ce que, fina­le­ment, ce n’est pas mieux de don­ner quelque chose pour que l’enfant puisse avoir le temps de la réflexion dont il a besoin ? Souvent, la dys­pho­rie com­mence à appa­raître quand il y a les pre­miers signes de puber­té. Permettre à ces enfants de faire une pause sur leur puber­té pen­dant trois ou quatre ans, c’est pri­mor­dial. Et c’est pareil pour les hor­mones croi­sées. Sachant qu’on parle de 294 mineur·es enga­gés dans un par­cours médi­cal de tran­si­tion en 2022 [sur une popu­la­tion totale de mineur·es de 14 mil­lions]. Et qu’en France, contrai­re­ment à d’autres pays, ces prises en charge sont très cadrées. 

Dans votre péti­tion, vous dénon­cez aus­si la dés­in­for­ma­tion sur les chi­rur­gies dites “de réas­si­gna­tion”, sujet de beau­coup de fan­tasmes.
Sonia : Aujourd’hui, en France, il n’y a pas de chi­rur­gie de réas­si­gna­tion sexuelle chez les mineurs. La seule chose qui peut être envi­sa­gée avant 18 ans, c’est la tor­so­plas­tie [qui consiste à enle­ver le volume mam­maire]. Mais là aus­si, c’est très enca­dré : à par­tir de 16 ans, avec l’accord des parents et en concer­ta­tion avec l’équipe médi­cale. Utiliser l’argument de la chi­rur­gie, dire qu’on ferait des “expé­riences” sur les enfants, c’est non seule­ment faux mais c’est dégueu­lasse. On crée une panique morale au détri­ment d’enfants qui sont sans défense et ne peuvent pas s’exprimer.

En tant que parents d’enfants trans, que demandez-​vous ?
Sonia :
Déjà, que nous ayons plus faci­le­ment accès à un sui­vi médi­cal. Le gros pro­blème que l’on a aujourd’hui, c’est qu’il n’existe pas assez de ser­vices dédiés ou que leurs effec­tifs ne sont pas suf­fi­sants. Actuellement, il y a sou­vent plus d’un an d’attente pour un pre­mier rendez-​vous, c’est trop long. Nous avons besoin qu’il y ait plus de struc­tures inter­dis­ci­pli­naires spé­cia­li­sées. La deuxième demande s’adresse à l’Éducation natio­nale. Dans le rap­port séna­to­rial, beau­coup de cri­tiques ont été faites sur la cir­cu­laire Blanquer – que des asso­cia­tions comme Parents vigi­lants ont déjà essayé de faire reto­quer deux fois par le Conseil consti­tu­tion­nel. Or cette cir­cu­laire [de 2021, pour une meilleure prise en compte des ques­tions rela­tives à l’identité de genre en milieu sco­laire] fait énor­mé­ment de bien, vous n’imaginez pas à quel point. Notre demande, c’est qu’elle soit ren­for­cée et que les per­son­nels de l’Éducation natio­nale soient sen­si­bi­li­sés sur le sujet. La troi­sième chose que nous deman­dons, c’est sur les chan­ge­ments de pré­noms : en fonc­tion des mai­ries, des ser­vices d’état civil, de la taille des com­munes, de la per­sonne qui vous reçoit, on n’est pas du tout égaux et on peut se voir refu­ser la demande de changement. 

Enfin, ma demande per­son­nelle, c’est que les par­le­men­taires arrêtent cette dés­in­for­ma­tion et cette panique morale qui fait beau­coup de mal à nos enfants. S’ils veulent réel­le­ment pro­té­ger les enfants, qu’ils se ren­seignent, qu’ils les écoutent et fassent la part des choses. Il faut vrai­ment que les gens entendent que nos enfants existent et que, dans la majeure par­tie des cas, quand ils et elles sont accom­pa­gnés, entou­rés et sou­te­nus, ils vont bien. La souf­france des enfants trans ne prend pas racine dans la tran­si­den­ti­té, mais dans la trans­pho­bie. Je suis effa­rée d’entendre de soi-​disant “fémi­nistes” vendre leur soupe en écri­vant des âne­ries com­plo­tistes et hor­ri­ble­ment déshu­ma­ni­santes. Quand je les entends dire qu’une fois adulte, ma fille pro­fi­te­ra de sa tran­si­den­ti­té pour vio­ler des femmes dans les toi­lettes, est-​ce qu’on se rend compte de la vio­lence du pro­pos ? C’est tel­le­ment dégra­dant. On aime­rait rap­pe­ler que, der­rière tout cette dés­in­for­ma­tion, il y a des vraies vies, des vraies per­sonnes. Et qu’aujourd'hui, à entendre tous ces dis­cours déshu­ma­ni­sants, ces per­sonnes souffrent.

Lire aus­si I Études contro­ver­sées, rac­cour­cis… On a fact-​checké “Transmania”, le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern

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