Louise de Bettignies : espion­nage et codes de maille

Tricoter tout en espion­nant des trains ? Et pour­quoi pas. Les agentes du réseau Ramble, diri­gé par Louise de Bettignies pen­dant la Première Guerre mon­diale, usaient des moyens les plus astu­cieux pour ne pas être repérées.

louise de bettignies 1880 1918 wikipedia a
© Wikipédia

Fin 1914, le nord de la France et une majeure par­tie de la Belgique tombent sous le joug des Allemands. Roubaix, Laon, Tourcoing… les grandes villes de la région sont occu­pées et la popu­la­tion res­tée sur place peut dif­fi­ci­le­ment se dépla­cer et très rare­ment com­mu­ni­quer avec les ter­ri­toires libres. À cette époque, Louise de Bettignies – sep­tième enfant d’une famille désar­gen­tée d’anciens fabri­cants de por­ce­laine – vit à Lille, occu­pée elle aus­si. Souhaitant rejoindre ses proches à Saint-​Omer, en zone libre, elle se porte volon­taire pour trans­por­ter trois cents cour­riers de Lillois res­tés sur place à leurs familles, en les cou­sant sous sa robe. 

Femme de réseau

Pour y par­ve­nir, elle doit pas­ser par les Pays-​Bas, puis par l’Angleterre, avant de retrou­ver les côtes fran­çaises. Son indé­pen­dance et sa capa­ci­té à par­ler plu­sieurs langues inter­pellent les ser­vices secrets bri­tan­niques, qui l’arrêtent lors de son escale à Folkestone, sur la côte anglaise. Les ser­vices de ren­sei­gne­ment d’outre-Manche, plus struc­tu­rés que les ser­vices fran­çais et en demande d’agent·es sur le ter­rain occu­pé, lui pro­posent alors de les rejoindre. Louise apprend par ailleurs qu’ils ont ouvert un bureau avec les ser­vices secrets fran­çais et belges à Folkestone. 

Quelques mois plus tard, après mûre réflexion, elle accepte leur pro­po­si­tion. La voi­ci à la tête du réseau Ramble, sous la fausse iden­ti­té d’« Alice Dubois ». « C’est le plus grand réseau d’espionnage diri­gé par une femme », indique Emmanuel Debruyne, pro­fes­seur d’histoire contem­po­raine à l’université de Louvain (Belgique). 

Drôles de dames

Sur la qua­ran­taine d’agent·es recruté·es par Alice Dubois et identifié·es par l’historien, un quart sont des femmes et « beau­coup d’hommes étaient par ailleurs aidés de leur femme, mais ne le signa­laient pas ». La mis­sion prin­ci­pale du réseau ? Transmettre des infor­ma­tions sur l’ennemi alle­mand le plus rapi­de­ment pos­sible. Pour cela, les membres de Ramble vont espion­ner les trains alle­mands, trans­por­tant des mar­chan­dises (comme des muni­tions) ou des sol­dats, en vue de les sabo­ter. Ces obser­va­tions demandent une sur­veillance nuit et jour, la semaine durant. C’est pour cette rai­son que Louise de Bettignies s’entoure d’agents et d’agentes dont les mai­sons donnent sur les voies ferrées.

Les moyens uti­li­sés, par les espionnes en par­ti­cu­lier, sont ingé­nieux. Plus nom­breuses que les hommes par­tis au front, elles se fondent faci­le­ment dans la masse. En rai­son de sté­réo­types de genre soli­de­ment ancrés, elles sont aus­si moins soup­çon­nables : « Les Allemands se lais­saient atten­drir », ajoute Emmanuel Debruyne. Ce contexte a per­mis aux femmes du réseau Ramble de jouer des sté­réo­types qui leur étaient assi­gnés pour obser­ver les mou­ve­ments des Allemands. Ainsi, elles uti­li­saient des pigeons voya­geurs, la radio mais éga­le­ment le tri­cot, une acti­vi­té qui pas­sait inaper­çue. « Une vraie parade », insiste Chantal Antier, qui a écrit la bio­gra­phie de Louise de Bettignies *. Madame Levengle était l’une des agentes du réseau. « Elle s’asseyait devant sa fenêtre [qui don­nait sur une gare] en tri­co­tant, tout en tapant des signaux avec ses talons à ses enfants qui étaient dans la pièce du des­sous. Alors qu’ils sem­blaient faire leurs devoirs, ils notaient en fait les codes qu’elle com­mu­ni­quait », raconte Kathryn Atwood dans son ouvrage Women Heroes of World War I

Si le tri­cot ser­vait d’alibi pour sur­veiller les trains alle­mands, cer­tains his­to­riens évoquent même la pos­si­bi­li­té que les espionnes aient tri­co­té des codes, en for­mant des mailles bien pré­cises selon les trains qu’elles aper­ce­vaient. Ainsi, dans un pod­cast de la BBC, l’ancien direc­teur géné­ral du Secret Intelligence Service, Sir John Scarlett, parle d’une tech­nique qui aurait été uti­li­sée : « Une maille à l’endroit pour les trains de troupe, une maille à l’envers pour les trains d’artillerie ». Sur ce point, l’historien Emmanuel Debruyne prend des pré­cau­tions étant don­né « la com­plexi­té des ren­sei­gne­ments à récol­ter et la néces­si­té d’agir vite, coder en tri­cot n’était pro­ba­ble­ment pas le plus adap­té »

Travaux for­cés

Une fois les infor­ma­tions trans­mises par ces espionnes de ter­rain, Louise de Bettignies les tra­dui­sait en code sur des pel­li­cules trans­pa­rentes, de la dimen­sion d’un papier à ciga­rette. Puis elle remet­tait les mes­sages à des cour­siers ou les trans­por­tait elle-​même jusqu’à la fron­tière néer­lan­daise, en les cachant dans ses vête­ments, ses talons de chaus­sures, ses poi­gnées de sac à main… Là encore, elle pro­fi­tait de ces acces­soires « fémi­nins » pour sa mis­sion, « et chan­geait régu­liè­re­ment de tenue pour ne pas être repé­rée », ajoute Chantal Antier. Les infor­ma­tions envoyées per­met­taient le sabo­tage des opé­ra­tions allemandes.

De jan­vier à sep­tembre 1915, Louise de Bettignies et son réseau ont espion­né d’arrache-pied, et notam­ment décou­vert que l’état-major alle­mand pré­voyait de concen­trer ses efforts sur la bataille de Verdun. Mais le sub­ter­fuge n’a pas duré et, en octobre 1915, la cheffe nor­diste s’est fait arrê­ter puis condam­ner à mort avant de voir sa peine com­muée en tra­vaux for­cés. « Les femmes étaient exclues du conflit. L’espionnage leur a per­mis de sau­ver leur hon­neur et de mon­trer leur enga­ge­ment citoyen », insiste le maître de confé­rences Emmanuel Debruyne. 

Quant au tri­cot, les auto­ri­tés s’en sont méfiées quelques années plus tard : le bureau de la cen­sure bri­tan­nique a ain­si inter­dit l’envoi d’ouvrages en maille par la poste de peur qu’ils ne contiennent des mes­sages codés ! Drôle de retour­ne­ment de situation.

* Louise de Bettignies, héroïne et espionne de la Grande Guerre,
de Chantal Antier. éd. Tallandier, 2013

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.