Borgo © Petit Film France 3 cinema
Borgo © Petit Film & France 3 cinema

“Borgo”, “Amal-​Un esprit libre”, “L’Homme aux mille visages” : les sor­ties ciné de la semaine

Une gar­dienne de pri­son prise dans un redou­table engre­nage, une prof de fran­çais bien trop indé­pen­dante pour certain·es de ses élèves, un men­teur de haut vol racon­té par ses com­pagnes flouées : voi­ci les sor­ties ciné du 17 avril.

Borgo

C’est le troi­sième long-​métrage de Stéphane Demoustier, après Terre bat­tue et La Fille au bra­ce­let, et sans aucun doute son meilleur. Une mon­tée en puis­sance que l’on retrouve au sein même de ce nou­veau récit, puisque Borgo nous entraîne dans les pas de Mélissa, 32 ans, sur­veillante péni­ten­tiaire expé­ri­men­tée qui s’installe en Corse, avec sa petite famille, en quête d’un nou­veau départ.

La voi­là qui rejoint l’unité 2 du centre péni­ten­tiaire de Borgo, au sud de Bastia, une uni­té pas tout à fait comme les autres puisqu’elle fonc­tionne en régime ouvert. Ainsi, en jour­née, les portes des cel­lules ne sont jamais fer­mées et les pri­son­niers – tous corses – sont libres de cir­cu­ler de pièce en pièce. Résultat : ils évo­luent dans une mini-​société qua­si auto­gé­rée, aus­si patriar­cale que hié­rar­chi­sée, où tout le monde se jauge, s’épie et se mani­pule. L’on dit même, ici, que ce sont les déte­nus qui sur­veillent les gar­diens ! Toujours sou­cieuse de s’intégrer, Mélissa, unique matonne dans ce milieu très mas­cu­lin, va s’engager sur une pente glis­sante avec eux, avant d’être tota­le­ment dépas­sée par les ser­vices qu’on lui demande de rendre.

S’inspirant de faits tris­te­ment réels, Borgo assume non sans panache sa part de roma­nesque. Dosant fine­ment trois genres ultra réfé­ren­cés – le film de pri­son, le thril­ler et le por­trait de femme –, il tente avant tout de cer­ner les moti­va­tions de son héroïne, ambi­va­lente donc pas­sion­nante. Une chance pour lui : c’est Hafsia Herzi, une fois encore impres­sion­nante de mys­tère, d’opacité et de fra­gi­li­té mêlées, qui incarne Mélissa. Reste que la mise en scène, qui joue avec les tem­po­ra­li­tés et les points de vue sans jamais nous perdre, par­ti­cipe pour beau­coup, aus­si, de la réus­site du film. Aucun temps mort : une ten­sion sourde l’électrise en per­ma­nence, même lors des rares séquences tour­nées à l’extérieur de la pri­son. Dedans comme dehors, le soleil corse est déci­dé­ment bien trompeur…

Borgo, de Stéphane Demoustier.

Amal, un esprit libre

Encore un por­trait de femme ? Oui da ! Encore un film sur l’école, chambre d’écho d’à peu près toutes les ques­tions malai­santes de notre socié­té ? En effet ! Sauf que celui-​là nous happe, nous secoue et nous ques­tionne comme jamais.

Amal, un esprit libre nous embarque dans la salle de classe d’Amal, pro­fes­seure de lettres dans un lycée à Bruxelles. Une femme aus­si menue que vibrante : c’est peu dire qu’elle encou­rage ses élèves à s’exprimer ! Reste que ses méthodes péda­go­giques enthou­siastes, qui en appellent autant à l’esprit des Lumières qu’à l’émancipation par la connais­sance, ne font pas for­cé­ment l’unanimité. Elles en choquent même certain·es, endoctriné·es par un autre de leurs pro­fes­seurs, qui se pré­sente, lui, comme expert en reli­gion musul­mane (en Belgique, les cours de reli­gion sont obli­ga­toires, dans le public comme dans le pri­vé, les enseignant·es et les pro­grammes étant pla­cés sous la res­pon­sa­bi­li­té de chaque culte). C’est ain­si qu’Amal doit faire face à une levée de bou­cliers – et de menaces – lorsqu’elle décide de faire étu­dier à ses élèves les textes du grand poète arabe Aboû Nouwâs (mort en 815), qui témoignent notam­ment de sa bisexualité…

Écrit et réa­li­sé par Jawal Rhalib, cinéaste belgo-​marocain, Amal, un esprit libre se dis­tingue par sa façon fron­tale, très directe, tota­le­ment immer­sive, de nous par­ler d’embrigadement, de pola­ri­sa­tion, voire… de lyn­chage. Autant de sujets hau­te­ment inflam­mables ! Démarrant sur une his­toire de har­cè­le­ment (Amal prend la défense de l’une de ses élèves, agres­sée par deux autres lycéens parce que sup­po­sée les­bienne), le film n’hésite pas à mettre les mains dans le cam­bouis et à poser les ques­tions qui embar­rassent. Sur le rôle des enseignant·es (et des parents) aujourd’hui. Sur l’entrisme isla­miste dans les col­lèges et les lycées. Sur le cou­rage des un·es (Amal, droite dans ses bottes, s’interdit de flan­cher) et la lâche­té des autres (sa hié­rar­chie démis­sion­naire). Sur toutes les divi­sions qui altèrent le vivre ensemble, en somme, fra­gi­li­sant la notion même de démo­cra­tie. Des divi­sions qui, comme le rap­pellent judi­cieu­se­ment le réa­li­sa­teur et ses cos­cé­na­ristes, n’opposent pas seule­ment les élèves aux adultes ou les enseignant·es à leurs éta­blis­se­ments et auto­ri­tés de tutelle : elles animent éga­le­ment, ô com­bien, la com­mu­nau­té musul­mane, trop sou­vent réduite à ses seul·es membres radicaux·ales, alors qu’elle est bien plus com­plexe et diver­si­fiée que cela.

Ultime rai­son de s’immerger dans ce film pas­sion­nant : la per­for­mance remar­quable d’intensité de Lubna Azabal dans le rôle-​titre. À la hau­teur, en tout point, de son personnage.

Amal – Un esprit libre, de Jawal Rhalib.

L’Homme aux mille visages

Sonia Kronlund, ani­ma­trice et pro­duc­trice de l’émission Les Pieds sur terre, sur France Culture, a le chic pour nour­rir ses docu­men­taires de per­son­nages en quête per­pé­tuelle de fic­tion. Après Nothingwood, et son anti­hé­ros afghan, réa­li­sa­teur enthou­siaste de films de série Z nul­lis­simes, voi­ci LHomme aux mille visages, et son héros net­te­ment moins débon­naire, quoique tout aus­si boni­men­teur. De fait, c’est un men­teur de haut vol qui peut s’appeler Alexandre, Ricardo ou Daniel, selon le lieu, l’époque, la com­pagne, et se dire chi­rur­gien ou ingé­nieur, argen­tin ou bré­si­lien. Il lui est même arri­vé de vivre avec quatre femmes en même temps, adap­tant à cha­cune son récit et sa per­son­na­li­té, évi­dem­ment sédui­sante. Parfois, il leur fait un enfant, sou­vent il les quitte, dis­pa­rais­sant du jour au len­de­main avant de renaître sous un nou­vel ava­tar, réécri­vant à l’infini sa légende…

Comment ne pas être fas­ci­née par un homme qui s’invente des vies innom­brables ? Comment ne pas être bou­le­ver­sée, aus­si, par le ter­rible impact que ses men­songes ont eu sur ses vic­times, exclu­si­ve­ment des femmes… ? Précisément, le nou­veau film en forme d’enquête de Sonia Kronlund se situe à la croi­sée de ces élans contra­dic­toires. A la fois sub­ju­guée, ter­ri­fiée et amu­sée, la réa­li­sa­trice n’a de cesse de tra­quer cet impos­teur patho­lo­gique, s’appuyant sur les témoi­gnages des femmes qui l’ont aimé (cer­taines sont inter­pré­tées par des comé­diennes, un sub­ter­fuge qui trouble encore davan­tage la fron­tière entre réel et fic­tion !), rebon­dis­sant sur les fila­tures impro­bables d’un détec­tive pri­vé (on se croi­rait vrai­ment dans un mau­vais polar), ou met­tant en scène, osten­si­ble­ment, le piège qui, in fine, devrait le démasquer.

Soyons hon­nête : le film n’est pas aus­si réus­si, enten­dez brillant, ver­ti­gi­neux et cap­ti­vant, que le livre du même nom, éga­le­ment écrit par Sonia Kronlund (édi­tions Grasset). Tel quel, c’est moins la véri­té d’un homme, et les rai­sons de ses méta­mor­phoses mul­tiples, que la cinéaste par­vient à mettre à nu, que la décep­tion sin­cère (par­fois rieuse, par­fois amère) de toutes ces femmes qui, à tra­vers Alexandre, Ricardo, ou Daniel, croyaient avoir trou­vé l’homme idéal… Tenace illusion.

LHomme aux mille visages, de Sonia Kronlund.

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