Avec Christelle Gérand en Éthiopie

L’organisme autorisé pour l’adoption Les Enfants de Reine de Miséricorde est accusé par une dizaine de personnes adoptées en France depuis l’Éthiopie de tromperies sur les conditions de leur adoption (voir l’épisode 1 de notre enquête). Mais ce n’est pas tout. Plusieurs familles françaises se demandent où sont passés les milliers d’euros dont elles ont fait don à l’association pour aider les fratries restées au pays…
Saba est une artiste peintre installée en région parisienne. À 38 ans, elle est la personne adoptée via Les Enfants de Reine de Miséricorde (ERM) la plus âgée que Causette a pu retrouver. Elle grandit à 500 kilomètres de la capitale éthiopienne, à Lalibela, le plus grand site chrétien du continent africain. Son père biologique, quoique pauvre et gravement malade, y est d’ailleurs un prêtre orthodoxe très influent dans sa communauté. En 1993, sa famille déménage de Lalibela pour la capitale, Addis-Abeba, afin de trouver de quoi survivre. Saba, de temps à autre, part chercher de la nourriture à l’orphelinat Demete Yeezus, qui occupe aussi une fonction de distribution alimentaire. « J’ai été attrapée comme ça, souffle Saba. Un beau jour, j’y suis allée pour y trouver à manger et on ne m’a plus laissée en sortir. » La suite est à l’image de nombreux autres témoignages recueillis par Causette dans lesquels le consentement des parents à l’adoption de leurs enfants est bafoué par les gestionnaires des orphelinats. « Mon père a envoyé mon petit frère venir me chercher à de multiples reprises, assure Saba. Mais les personnes de l’orphelinat ont toujours refusé qu’il entre. J’ai d’ailleurs vu des parents essayer de casser la grille de l’orphelinat et les gardiens leur jeter des cailloux pour les éloigner. »
Si certaines familles biologiques ont tenté comme elles le pouvaient de récupérer leurs enfants dans les orphelinats, elles étaient, le plus souvent, terrorisées par leurs dirigeants et les autorités éthiopiennes. « C'était difficile de faire quelque chose, Assefa Kebede me faisait peur, il était puissant », confie Askale, la mère biologique de Julie Foulon1, à Causette. Assefa Kebede, l’ancien correspondant local d’ERM, n’a en effet pas laissé de bons souvenirs ni sur place ni en France. « Il avait la police éthiopienne avec lui, précise Saba. En retrouvant mes parents, j’ai appris qu’il les avait menacés de les mettre en prison s'ils contestaient mon adoption. » Malgré cela, Assefa Kebede a travaillé plus de vingt ans pour l’association. L’homme, qui se rendait chaque année aux assemblées générales de l’association en France, était même devenu un proche de Christine et Gilbert Bayon, les fondateurs d’ERM. « Quand on le voyait aux assemblées, il était fuyant, il ne répondait pas à nos questions sur le contexte de l’adoption de notre fille, souligne la mère adoptive de Saba. C’était un personnage particulier, il avait l’air d’un milliardaire avec ses gros bracelets en or. » Aujourd’hui, Assefa Kebede est introuvable.
« Certains parents pauvres confiaient leurs enfants temporairement aux orphelinats et quand ils revenaient les chercher, ils avaient été adoptés sans leur accord. »
Andrea Kelley, fondatrice de l'association américaine Beteseb Felega.
Ces témoignages n’étonnent en rien Andrea Kelley, une mère de famille américaine qui a créé Beteseb Felega en 2014, une association pour connecter les familles biologiques éthiopiennes et leurs enfants adopté·es de par le monde. Pour elle, l’absence de consentement des parents, dans un contexte de misère, est centrale et connue de tous, gouvernement comme organismes autorisés pour l’adoption (OAA). « Certains parents pauvres confiaient leurs enfants temporairement aux orphelinats et quand ils revenaient les chercher, ils avaient été adoptés sans leur accord. » Après six mois dans cet orphelinat, où les conditions de vie sont désastreuses, Saba quitte[…]
- Julie Foulon est l’autrice de Sara et Tsega, livre autobiographique composé de souvenirs et de passages de fiction publié aux éditions Baudelaire en juin 2020.[↩]