Avec Christelle Gérand en Éthiopie

Entre 1990 et 2017, 1 575 enfants éthiopiens ont été adopté·es en France via l’association Les Enfants de Reine de Miséricorde. Mais en 2020, le livre de l’une d’entre eux·elles, Julie Foulon, retraçant les conditions de son adoption, a ouvert des plaies douloureuses pour de nombreuses autres familles françaises : parents biologiques déclarés décédés alors qu’ils ne l’étaient pas, absence de leur consentement pour l’adoption, enfants rajeuni·es sur les papiers, doutes sur le système de parrainage des fratries… Et si derrière ces histoires se cachaient des procédures irrégulières, voire illégales ?
Un matin d’août 2017 dans son studio parisien, Julie Foulon, 20 ans, se connecte sur son Facebook où l’y attend un message d’une inconnue. « Bonjour Julie, je suis Gertrude. Je cherche à entrer en contact avec vous. Connaissez-vous une dame en Éthiopie du nom d’Askale Mekonnen ? » Le temps d’un instant, le cœur de Julie s’arrête de battre. Ce nom, c’est celui de sa mère biologique, qu’elle a quittée en 2003 lorsqu’elle a été adoptée, à 6 ans, avec sa petite sœur par un couple normand. Cette prise de contact d’une intermédiaire de la diaspora éthiopienne confirme ce que Julie s’évertue à expliquer à ses parents adoptifs depuis qu’elle peut s’exprimer en français : non, contrairement à ce qui est indiqué dans les documents d’adoption, sa mère biologique n’est pas décédée. Pire encore, apprend Julie après avoir échangé par Skype avec sa mère biologique par l’entremise de Gertrude : Askale recherchait ses filles depuis l’année de leur séparation et a trouvé leur nouveau nom fortuitement, à force d’implorer le bureau des Affaires sociales de Dessie, la ville où elle vit en Éthiopie, pour avoir de leurs nouvelles. Un étranger, blanc, a fini par se rendre chez elle et lui a fourni une photo de ses filles. Au dos du cliché, le nouveau nom français de ses enfants.
Cette reconnexion en 2017 et les échanges par Skype qui s’ensuivirent ébranlent la famille d’adoption, à qui les petites filles avaient été présentées comme orphelines. Tout semblait, en effet, en règle aux yeux des parents Foulon, lorsqu’ils concluent en 2003 la procédure d’adoption de leurs filles. Ayant reçu leur agrément, Daniel et Chantal Foulon se rapprochent d’un organisme autorisé pour l’adoption (OAA) normand, Les Enfants de Reine de Miséricorde (ERM). Une structure implantée en Éthiopie et au Burkina Faso depuis le début des années 1990. Après avoir déboursé 10 000 euros pour financer le fonctionnement d’ERM, autant que pour les frais de procédure dans le pays, les Foulon se rendent à l’aéroport de Roissy, le 19 août 2003, pour y récupérer Sara, qui deviendra Julie, et sa petite sœur de 4 ans, dont le prénom sera lui aussi changé. En grandissant, Julie se révèle être une enfant difficile, particulièrement avec sa mère. « J’étais très proche de mon père adoptif car j’avais perdu le mien quelques mois avant mon arrivée en France, mais je ne laissais aucune place à ma mère adoptive, témoigne Julie à Causette. Lors de nos disputes, je lui lançais “arrête de m’embêter, tu n’es pas ma mère, ma mère est vivante !” »
Tentative de suicide
Malgré les multiples sollicitations de Julie et de ses parents, l’association ne vient pas en aide à la jeune fille, alors en pleine détresse psychologique. « Un jour, je trouve le numéro de Gilbert Bayon [le cofondateur d’ERM, ndlr] dans le répertoire de mes parents, j’appelle et je lui dis : “Écoutez, c’est vous qui m’avez amenée en France, donc c’est à vous de m’aider.” » Pour toute réponse, elle s’entend dire qu’il « ne [peut] rien faire ». Qu’elle est « encore trop jeune pour comprendre ». Alors un soir, c’en est trop. L’adolescente[…]