Les députés votent à l’unanimité en faveur d’une reconnaissance de la répression subie par les personnes condamné·es pour homosexualité entre 1942 et 1982. Une proposition de loi qui introduit une indemnisation financière pour les préjudices subis, mais soulève des difficultés quant à l’établissement des critères pour obtenir réparation.
“Une bonne surprise” pour les associations LGBTQIA+ : les député·es ont approuvé à l’unanimité, dans la nuit de mercredi à jeudi, une proposition de loi visant à reconnaître et réparer les préjudices subis par les personnes homosexuelles du fait des lois discriminatoires en vigueur entre 1942 et 1982 en France.
“Je suis très heureux, même ému. Ça fait bientôt cinquante ans que je me bats parce que je n’ai jamais accepté cette arrestation et cette condamnation”, a réagi auprès de l’AFP Michel Chomarat, 75 ans, condamné après avoir été interpellé en mai 1977 à Paris, aux côtés de huit hommes, lors d’une descente de police dans le bar gay Le Manhattan.
L’Assemblée nationale examinait en première lecture ce texte porté initialement par le sénateur Hussein Bourgi (PS) et approuvé par la haute assemblée en novembre.
“Il ne peut pas y avoir de reconnaissance sans réparation”, déclare Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie. Pour lui, il s’agit d’un “signal extrêmement fort envoyé par l’Assemblée nationale”. Au-delà d’une reconnaissance des victimes, les député·es ont rétabli le principe d’une réparation financière pour les personnes condamnées pour homosexualité et la création d’une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière, que le Sénat avait supprimées.
Le texte a fait l’objet d’un très large consensus – 331 député·es l’ayant approuvé sur 331 –, même si certains groupes ont exprimé des réserves sur le principe d’une réparation financière. Cette unanimité est “une bonne surprise”, a commenté auprès de l’AFP Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie, qui estime que les député·es “ont vraiment entendu” les messages portés par les associations. “Le fait que la France demande pardon et indemnise lance un beau message à l’international”, à l’heure où l’homosexualité reste réprimée, voire passible de mort dans de nombreux pays dans le monde, a‑t-il ajouté.
Demander "pardon"
Cette proposition de loi a été l’occasion pour Éric Dupond-Moretti d’adresser des excuses pour toutes les personnes homosexuelles qui ont subi une répression homophobe : “Il est grand temps de […] dire ce soir au nom de la République française : pardon, pardon aux personnes, aux homosexuels de France qui ont subi quarante années durant, cette répression totalement inique. Notre République n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle sait reconnaître qu’elle a perdu le fil de ses principes fondateurs, la liberté, l’égalité, la fraternité”, a souligné le garde des Sceaux.
Concernant l’indemnisation financière en revanche, la tâche semble moins claire. Elle devrait être mise en œuvre par une commission établie ad hoc, mais sera confrontée à des “difficultés probatoires”, selon le garde des Sceaux. “Il ne sera pour certaines personnes pas simple de prouver qu’elles ont effectivement passé un temps déterminé en prison ou qu’elles se sont acquittées de l’amende à laquelle elles avaient été condamnées”, précise-t-il.
Le rapporteur du texte, Hervé Saulignac, a pourtant estimé que la reconnaissance ne pouvait aller sans la réparation. “Je pense que la France est capable de faire ce que l’Allemagne a fait, ce que le Royaume-Uni a fait, ce que l’Irlande a fait, ce que l’Espagne a fait, ce que le Canada a fait”, a plaidé le député PS, estimant que le nombre de personnes éligibles à une réparation pourrait se situer entre deux cents, comme en Espagne, et quatre cents, comme en Allemagne.
Des condamné·es qui se comptent en dizaines de milliers
La proposition de loi reconnaît la discrimination à l’encontre des personnes homosexuelles entre 1942 et 1982, en se basant sur deux articles du Code pénal. Le premier établissant un âge spécifique de consentement pour les relations homosexuelles, le second aggravant la répression de l’outrage public à la pudeur commis par deux personnes de même sexe.
Pourtant, les condamnations allaient au-delà de ces deux articles. Les juges, à l’époque, ont utilisé un arsenal pénal bien plus large et toutes sortes d’articles pour réprimer l’homosexualité, rappelle Antoine Idier, sociologue et historien. Dans ce contexte, il est difficile de connaître le nombre précis de personnes condamnées pour homosexualité en France.
Si l’on s’en tient uniquement à ces deux articles du Code pénal, on compte déjà environ dix mille condamnations, prononcées en vertu de l’article qui établissait un âge de consentement spécifique et environ cinquante mille pour le motif d’outrage public à la pudeur homosexuelle, selon Régis Schlagdenhauffen, maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du sujet. Beaucoup de personnes concernées sont déjà décédées et d’autres âgées. Elles seraient donc peu nombreuses à demander la réparation financière.
La proposition de loi va désormais reprendre son parcours législatif au Sénat, en vue de son adoption définitive, marquant une avancée dans la reconnaissance et la réparation des préjudices subis par les personnes homosexuelles.