Forcée par son mari, Linda s’est prostituée pendant plus de cinquante ans sur les trottoirs parisiens. À 77 ans, elle vit désormais loin du macadam et raconte, dans le livre L’Ange de Pigalle, l’enfer de ses années de prostitution.

Par un glacial matin d’hiver, une jeune femme vêtue d’un simple pull en laine mauve et d’une jupe plissée d’écolière arpente inlassablement les rues parisiennes, autour de l’imposante église de la Madeleine. « Elle avait la taill’ faite au tour, les hanches pleines, et chassait l’mâle aux alentours de la Mad’leine… », chantait Brassens dans son Mauvais Sujet repenti. Elle finit par s’engouffrer dans un hôtel miteux du boulevard des Capucines, accompagnée d’un homme. Son dernier client satisfait, elle rentre, épuisée, dans son petit appartement de Levallois, en banlieue parisienne, où l’attend Gérard, son mari, mais également son proxénète. Nous sommes le 15 février 1963 et Linda, 19 ans, se prostitue pour la première fois de sa vie. « Rapidement instruite par mes bons offices, poursuit Brassens, elle m’investit d’une part d’ses bénéfices… On s’aida mutuellement, comm’ dit l’poète. Ell’ était l’corps, naturell’ment, puis moi la tête. » Pourtant, loin de l’image d’Épinal, évoquée par le chanteur, de la prostitution relativement heureuse sous la protection d’un mac (au demeurant, particulièrement pleutre et parasitaire dans la chanson de Brassens), Linda a, elle, vécu pendant plus de trente ans une routine faite de coercition et de violences de la part de son mari proxénète, qui la frappait lorsqu’elle ne rapportait pas assez. Devenue indépendante à la mort de Gérard, elle va continuer de se prostituer jusqu’au printemps 2019, où elle croise la route de Jean Arcelin, rue Saint-Denis. L’auteur de 55 ans souhaite écrire la vie d’une prostituée et Linda envisage depuis longtemps d’écrire la sienne. De cette rencontre paraît, en mars 2021, le livre L’ange de Pigalle, aux Éditions XO.
Covid oblige, c’est par écran interposé que nous rencontrons Linda, assise sur un canapé crème en compagnie de Jean Arcelin et de son chihuahua, Carla. À 77 ans, elle vit désormais loin des rues parisiennes, dans son appartement de la résidence Beausoleil, sur la Côte d’Azur. Elle a d’ailleurs le teint hâlé des vieilles dames qui coulent des jours heureux sur la Riviera. Ce qui la distingue, c’est sa silhouette menue, presque fragile, stigmate de ses années de souffrances. Sa voix éraillée et sa peau ridée donnent l’impression qu’elle a vécu mille vies.
La petite fille des Ardennes
Linda, de son vrai prénom Paulette, est née en 1943 dans le petit village de Givet, au cœur des Ardennes. De son enfance à la campagne, la vieille dame garde des souvenirs heureux. Une famille ouvrière pauvre mais aimante, une maison en face de la forêt et beaucoup d’animaux. Dans la France d’après-guerre, la[…]