de kerangal maylis 2018 photo francesca mantovani editions gallimard 5616r a
© Francesca Mantovani-éditions Gallimard

La recom­man­da­tion lec­ture de Maylis de Kerangal

Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires.

"Que sais-​je ? Géniale ambi­guï­té d’une ques­tion qui ren­voie tout autant au savoir qu’à l’ignorance et déboucle un espace men­tal infi­ni, un monde où se dérou­ter, où se perdre, où se trou­ver aus­si. Que sais-​je ? Que sais-​je de mon his­toire, de mon temps ? Que sais-​je de moi, de ma vie ? S’inspirant de la célèbre col­lec­tion des PUF – ces livres de for­mat poche, aux pages bistres et va­­guement pelu­cheuses –, ­Pascale ­Bouhénic, poé­tesse et cinéaste, ­com­pose un mer­veilleux récit en vers, ten­ta­tive fan­tasque et rêveuse d’ordonner son exis­tence, d’en trou­ver la taxi­no­mie intime, d’en éla­bo­rer la forme : celle d’une demeure aux soixante-​seize portes, celle d’une ency­clo­pé­die aux soixante-​seize entrées. 

J’ai lu 76 façons d’entrer comme un auto­por­trait en autant de frag­ments, comme un récit de soi en pièces ­déta­chées et comme un grand poème nar­ra­tif. Chacune de ses par­ties, diver­se­ment ver­si­fiées, porte le titre de l’un de ces Que sais-​je ? que l’auteure a réunis dans sa biblio­thèque et dont elle ­inves­tit, explore et détourne le thème afin de faire reve­nir une émo­tion, une expé­rience, une obses­sion, un sen­ti­ment, une situa­tion, un film, un poète, un ami. 

Ainsi, Les Coquillages comes­tibles éclaire le sou­ve­nir d’une splen­dide assiette de spa­ghet­tis aux palourdes où traîne, éga­ré, soli­taire, un caillou tri­an­gu­laire ; Le Café cadre une sil­houette fémi­nine qui enfile un pan­ta­lon, une tasse de café à la main ; La Vie anglaise fait appa­raître le visage de Ken Loach, l’idée que le monde est dur et va durer, et dans Les Poètes fran­çais d’aujourd’hui, l’auteure fait reve­nir cette soi­rée où elle a che­mi­né silen­cieu­se­ment vers le poème et pen­sé à Kafka, tan­dis que les enfants regar­daient un film de Jim Carrey et que les ami·es par­laient à bâtons rompus. 

Le Peuple des abeilles, Le Blé, La Sexualité, L’Éducation des enfants dif­fi­ciles, Le Western, La Timidité, L’Étymologie ou encore Les Prisons, La Douleur, Le Sel, chaque Que sais-​je ? joue pour l’auteure comme un accès à elle-​même, une façon d’entrer. Elle fait ain­si le pari de tra­cer toute connais­sance de soi au sein d’un savoir com­mun, et inver­sement, de faire réson­ner les ques­tions uni­ver­selles au cœur de nos exis­tences pri­vées : c’est dans ce tis­sage, dans cette réverbé­ration, que le livre trouve sa dimen­sion effer­ves­cente et sub­tile. Ou com­ment une chose fait pen­ser à autre chose, fait pen­ser à soi – ce tra­vail de l’imagination. Profond et léger, ludique, écrit avec ce « Tonus men­tal » qui ­répugne au ron­ron mélan­co­lique pour aller cher­cher « La Vie en haute alti­tude », c’est enfin un livre pro­di­gieu­se­ment ouvert : je suis pas­sée par ces 76 façons d’entrer, je les ai toutes aimées."

G05168 A

76 façons d’entrer, de Pascale Bouhénic.
Éd. Gallimard/​Coll. L’Arbalète, 224 pages,
18 euros. 


En librai­rie : Canoës

Elle est une « voix majeure » de la scène lit­té­raire fran­çaise. Oui, mais pas seule­ment. Maylis de Kerangal fait naître les voix. Elle les tisse à la main, avec tant de minu­tie et de grâce que celles-​ci entrent dans nos têtes, nos corps et nous font vibrer jusqu’à nous trans­for­mer de l’intérieur. Dans son recueil com­po­sé de huit récits courts, Canoës, la roman­cière explore la voix humaine dans ce qu’elle a de plus essen­tiel et intime. Celle, ten­due, qui joue sa car­rière d’actrice dans une salle ­d’enregistrement mythique. Celle, sen­sible, cha­gri­née d’entendre son amie lui confier qu’elle veut se débar­ras­ser de sa « voix de chiotte » pour acqué­rir une auto­ri­té mas­cu­line. Ou celle de cette jeune femme qui bous­cule tous ses repères pour rejoindre son com­pa­gnon à l’autre bout du monde, mais qui est sur­tout dépay­sée par le chan­ge­ment de voix, ténu, de ce der­nier. Et le titre, Canoës ? Il cir­cule, énig­ma­tique, d’une nou­velle à l’autre, comme le sou­ve­nir presque sur­na­tu­rel d’une voix venue d’un autre monde pour nous invi­ter à explo­rer, à rêver, à « exau­cer » notre ima­gi­na­tion ! Un voyage unique. L.M.

G05493 a

Canoës, de Maylis de Kerangal. Éd. Verticales, 176 pages, 16,50 euros. Paraît éga­le­ment
Ni fleurs ni cou­ronnes sui­vi de Sous la cendre, son pre­mier récit (Éd. Folio, 144 pages, 12,50 euros). 

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