« Le Corps des ruines » de Juan Gabriel Vasquez, le conseil lec­ture de Jean-​Christophe Rufin

Chaque mois, un·e auteur·rice que ­C­ausette aime nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

99 Les septs mariages d Edgar et Ludmilla RUFIN Jean Christophe © F. Mantovani Gallimard
© F. Mantovani /​Gallimard

L’héritage de Gabriel Garcia Marquez a été lourd à por­ter pour la lit­té­ra­ture colom­bienne. Rien n’a pous­sé au pied du géant, à l’exception peut-​être ­d’Alvaro Mutis. Le « réa­lisme magique » a tenu lieu d’histoire pour un pays qui, en même temps, était cou­pé du monde par une san­glante guerre civile.

Aujourd’hui, une paix fra­gile est reve­nue. Les étran­gers visitent en nombre ce pays superbe. En même temps émerge une nou­velle géné­ra­tion d’auteurs colom­biens de grand talent. Ils ont fait d’immenses efforts pour se libé­rer de l’influence du patriarche des lettres colom­biennes. Certains y sont brillam­ment par­ve­nus. L’un des plus remar­quables est Juan Gabriel Vasquez.

Pour construire son œuvre, Vasquez a long­temps séjour­né à l’étranger et s’est inté­res­sé à des écri­vains de divers hori­zons, de Julio Cortazar à Joseph Conrad et bien d’autres. Son der­nier roman, Le Corps des ruines, est une plon­gée ver­ti­gi­neuse dans l’histoire de son pays. Il s’en explique lui-​même : « J’ignore quand j’ai com­men­cé à me rendre compte que le pas­sé de mon pays me sem­blait nébu­leux et obs­cur comme un ter­rain plon­gé dans les ténèbres et je suis inca­pable de me rap­pe­ler le moment pré­cis où tout ce que j’avais cru vrai­ment fiable et pré­vi­sible – l’endroit où j’ai gran­di, la langue que je parle, ses cou­tumes, son pas­sé qu’on m’a ensei­gné à l’école et à l’université, son pré­sent que j’ai pris l’habitude d’interpréter ou de feindre de com­prendre – s’est mis à deve­nir un ter­ri­toire peu­plé d’ombres d’où jaillis­saient des créa­tures hor­ribles au moindre ins­tant d’inattention. »

En 1948, le poli­ti­cien libé­ral Gaitan est assas­si­né à Bogota, et sa mort plonge le pays dans un chaos meur­trier. Le roman de Vasquez com­mence en 2014, quand le cos­tume du défunt, expo­sé comme une relique, est volé par un cer­tain Carlos Carballo. En appa­rence, il s’agit d’un fou, mais, peu à peu, cet étrange per­son­nage entraîne Vasquez, qui refuse pour­tant les théo­ries du com­plot, à mener une enquête et à remettre en ques­tion toutes les véri­tés offi­cielles. Par un jeu nar­ra­tif fas­ci­nant, on découvre les liens entre cet épi­sode et un autre meurtre célèbre, com­mis en 1914 contre le géné­ral Uribe Uribe, mas­sa­cré à coups de hache non loin de la place Bolivar.

On a com­pa­ré la méthode de Vasquez à celle de Philippe Jaenada : tous deux se mettent en scène dans leur enquête. Ils creusent, décor­tiquent, ne s’arrêtent jamais aux apparences.

L’œuvre de Vasquez, par des voies tota­le­ment ori­gi­nales, retrouve, à sa manière, le réa­lisme magique. Car à force d’ouvrir des portes der­rière des portes, on retrouve dans ce roman une Colombie tra­gique et mys­té­rieuse qui n’est pas sans rap­pe­ler la fas­ci­nante poé­sie de Cent ans de solitude. 

Le Corps des ruines, de Juan Gabriel Vasquez. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon. Éd. Seuil, 512 pages, 23 euros. 


En librai­rie : Les Sept Mariages d’Edgar et Ludmilla

« Il n’y a pas d’amour heu­reux », dit le poète. C’est ce qu’on va voir, répond Jean-​Christophe Rufin. Dans son nou­veau roman, l’académicien accom­plit une prouesse : nous faire rêver, vibrer, voya­ger autant que dans un roman de Melville… mais avec une his­toire vraie, celle d’Edgar et Ludmilla, couple impro­bable et pas­sion­né, qui se marie­ront sept fois. À 20 ans, ils n’ont aucune chance de se ren­con­trer. Edgar enchaîne les jobs de repor­ter pour des maga­zines pari­siens. Ludmilla esca­lade en chan­tant les arbres de son vil­lage ukrai­nien. Ces deux-​là vivent le coup de foudre, le vrai. Mais le che­min à par­cou­rir est long, tumul­tueux. En conteur né, qui les a connus de (très) près, Rufin nous entraîne à toute ber­zingue dans une his­toire qui est en par­tie la sienne, nous fait tra­ver­ser l’Ukraine, l’Afrique jusqu’à l’Amérique des années 1950 à 2000 avec la sur­prise pour seul guide. Car « sou­vent, dit aus­si le poète, l’inattendu arrive ». L.M.

Les Sept Mariages d’Edgar et Ludmilla, de Jean-​Christophe Rufin, de l’Académie fran­çaise. Éd. Gallimard, 384 pages, 22 euros.

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