Dans Nuits d’été à Brooklyn, paru en février, l’écrivaine Colombe Schneck raconte l’histoire d’amour entre un professeur de littérature afro-américain et une jeune journaliste juive et blanche au moment où éclatent, en août 1991, à Crown Heights (Brooklyn, New York), de violentes émeutes opposant la communauté juive et la communauté noire qui, depuis toujours, cohabitent difficilement dans ce quartier. Mais le jour où un homme juif renverse accidentellement deux enfants noirs qui jouaient sur le bord de la route, le quartier s’embrase. L’histoire d’amour
survivra-t-elle à ce conflit ? Pour Causette, Colombe Schneck revient sur les coulisses de la naissance de son roman sorti avant que l’actualité la rattrape.

« À l’été 1991, j’arrive à New York pour un stage de trois mois avec le correspondant du Monde. Je m’appelle Colombe, je suis une jeune femme blanche, bourgeoise, juive. Tout cela, je ne le sais pas encore. Je pense être color-blind, indifférente à la couleur de la peau. La preuve, je sais bien que les races n’existent pas, c’est ce que ma mère médecin m’a appris, la mélanine n’est qu’un gène parmi des millions. Je ne pense pas être bourgeoise, mais être “normale” alors que j’ai été élevée dans un grand appartement haussmannien à côté du jardin du Luxembourg, à Paris. Et être juive ? Cela ne m’intéresse pas.
J’arrive “en Amérique” comme une véritable immigrante avec l’illusion que je suis affranchie de ma famille. Seul compte l’avenir. Je suis ambitieuse, je veux réussir comme journaliste, et je cherche aussi l’amour. Bref, je suis une jeune femme de mon temps, aussi naïve qu’optimiste.
Comme de nombreux Français, je suis étonnée qu’à l’entrée aux États-Unis, on me demande la couleur de ma peau, je suis donc caucasienne. Voilà pour ma “race”…
Arrivée dans mon studio de la Troisième Avenue, une voisine m’apprend les subtilités de la date, la drague à l’américaine, les règles pour ne pas se faire avoir. Je n’en reviens pas non plus. Attendre que le garçon vous propose de prendre un verre, les sujets de conversation possibles, le lieu choisi, la durée, et attendre encore qu’il vous invite à dîner.
Et un jour, enfin, un garçon me propose ‑d’aller prendre un verre. Une date donc. Il est parfait. Diplômé d’une grande université, il parle français couramment, il travaille dans l’édition, porte des costumes, des chemises et des souliers à lacets. On s’est rencontré dans une fête, il a pris mon numéro de téléphone, il m’a rappelée et m’a proposé un verre dans un bar en bas de chez moi, un dimanche soir. Je suis toute contente, je mets ma jupe préférée, rose pâle avec des boutons blancs sur le devant, une marinière à l’encolure un peu lâche, qui laisse voir une bretelle de soutien-gorge, j’arrive avec cinq minutes de retard, car je suis une Parisienne et je veux que cela se sache.
Sauf que le garçon n’est pas là. Il arrive énervé, s’excuse à peine de son retard, commande deux vodkas sans me demander mon avis, puis il m’explique. Il est en retard, parce qu’il a été retardé par un appel de sa mère, il s’est dit qu’il prendrait un taxi (il habite de l’autre côté de Central Park), oubliant qu’en raison de la couleur de sa peau – il est noir –, aucun taxi ne s’arrête. Il en a perdu l’habitude, car il prend toujours des taxis commandés par la maison d’édition ou avec des collègues et amis blancs. Mais là, il était seul. Donc il se résout à prendre le bus, il y en a un qui passe devant lui, il faudrait qu’il coure pour le prendre, mais il ne peut pas[…]