Notre sélec­tion bandes des­si­nées pour les soi­rées de novembre

Notre atti­tude face aux jours qui rac­cour­cissent : une tisane fumante, un plaid et un bon roman graphique.

Capture d’écran 2022 11 04 à 18.10.30
© Louison /​Futuropolis
Insondable Marilyn

Il y a soixante ans, Marilyn Monroe s’éteignait dans des cir­cons­tances mys­té­rieuses, bien que l’hypothèse du sui­cide reste la plus pro­bable. Mais l’énigme Monroe conti­nue de fas­ci­ner, de Joyce Carol Oates, avec Blonde, adap­té par Andrew Dominik sur Netflix, aux mul­tiples docu­men­taires. La des­si­na­trice Louison adapte ici le roman de Michel Schneider (prix Interallié 2006), cen­tré sur les liens hors normes entre l’actrice et son psy­chiatre, le doc­teur Greenson. De séance en séance, elle zoome sur les mains de l’actrice, ses lèvres, ses yeux, comme pour ten­ter de la per­cer à jour. En vain, bien sûr. En jouant à chaque page avec la lumière qui tra­verse les stores du cabi­net et découpe son visage, Louison semble accep­ter la nature insai­sis­sable de l’icône. « Petite fille dans le noir » ou « grande femme des­si­née par un fais­ceau d’argent » ? Cet éton­nant dia­logue entre le méde­cin et sa patiente esquisse l’image d’une femme dépos­sé­dée d’elle-même, condam­née à regar­der son reflet dis­tor­du dans tous les miroirs ten­dus par la socié­té moderne. Y.L.-S.

Marilyn, der­nières séances, de Louison. Futuropolis, 224 pages, 26 euros.

Jeu de cordes sensibles

Alice Bienassis fré­quente une salle de bon­dage japo­nais (shi­ba­ri) depuis cinq ans. Une pra­tique qu’elle raconte en par­tant d’abord de son expé­rience per­son­nelle, de ses inter­ro­ga­tions, de ses craintes et de ses sen­sa­tions, avant de par­ta­ger quelques témoi­gnages. On y découvre un milieu qui reven­dique une démarche artis­tique, une forme de com­mu­ni­ca­tion non ver­bale, mais qui n’échappe pas à une forme d’appropriation cultu­relle de l’Occident. Au risque d’invisibiliser une par­tie de l’histoire de cette pra­tique fon­dée à l’origine sur la domi­na­tion mas­cu­line. L’autrice, elle, n’en cache rien et ques­tionne fron­ta­le­ment ce que le bon­dage peut racon­ter de notre rap­port au corps, au désir et au consen­te­ment. Ce pre­mier album révèle aus­si une artiste au style unique, nour­ri d’idées visuelles puis­santes et évo­ca­trices. Une repré­sen­ta­tion du plai­sir tout en encre tour­billon­nante. Y.L.-S.

Attachements, d’Alice Bienassis. Éd. Lapin, 224 pages, 18 euros. Sortie le 4 novembre.

Besoin de per­sonne en Honda

C’est à moto que Mélusine Mallender sillonne, depuis douze ans, les routes du monde. Sa pre­mière expé­di­tion remonte à 2010, quand elle décide de par­tir pour le Japon afin de per­mettre à Poupy de revoir son pays d’origine. Poupy est une bat­tante, qui a déjà par­cou­ru 110 000 kilo- mètres et sur qui Mélusine sait pou­voir comp­ter. Poupy ? Sa Honda de 125 cen­ti­mètres cubes bien sûr ! Le scé­na­rio de Laure Garancher retrace l’ensemble de ce périple avec entrain, des pré­pa­ra­tifs au vol retour, et s’attarde sur chaque ren­contre mémo­rable, de la petite grand-​mère ukrai­nienne au groupe de motards ira­kiens. Au des­sin, Clémentine Fourcade se joue du décou­page pour col­ler au plus près des émo­tions res­sen­ties pen­dant le voyage, par­fois ins­pi­rée par le man­ga. Après Dans les pas du fils (Calmann-​Lévy, 2021), elle retrouve aus­si les steppes d’Asie cen­trale le temps de quelques pages. Culmine alors la soif de liber­té d’une aven­tu­rière qui ne manque jamais de s’insurger lorsque les femmes qui croisent sa route en sont pri­vées. Y.L.-S.

Back to Japan, de Mélusine Mallender, Laure Garancher et Clémentine Fourcade. Nathan BD, 168 pages, 22 euros.

L'étoile céleste de Marcel Proust

Elle sent le par­fum des prés, la jeune Céleste Albaret de 22 ans qui entre au ser­vice de Marcel Proust en 1913. Son mari, Odilon, est le chauf­feur de l’écrivain fan­tasque et encore incon­nu. Mais un génie déjà, tout dévoué à son œuvre. Pourquoi Céleste plaît-​elle à Marcel ? Pour sa can­deur, son bon sens et sa finesse ingé­nue, sans doute. La voi­ci qui passe de femme de chambre à… gou­ver­nante, secré­taire, confi­dente dans les jours les plus fastes, et boniche aux pires moments. Céleste n’est pas amou­reuse de Marcel. Il est son Dieu, il est ce monde scin­tillant des aris­to­crates, qu’elle n’aurait jamais cru appro­cher et dont il lui raconte les secrets. Sa mort sera un déchi­re­ment pour elle. Plus tard, elle écri­ra ses mémoires, manne émou­vante et pré­cise pour les admirateur·rices de l’écrivain. Adaptées par Corinne Maier, elles sont le cœur de Monsieur Proust, récit magni­fi­que­ment illus­tré (image ci-​dessus) – on pour­rait dire « mis en scène » – par Stéphane Manel. Un livre fou­gueux, four­millant de des­sins, de por­traits et de repro­duc­tions des manus­crits zébrés de ratures. C’est aus­si Céleste, et sa vie toute d’admiration, qui est le sujet de l’album éblouis­sant de Chloé Cruchaudet. Avec sa tablette gra­phique, elle crée une aqua­relle pleine de trans­pa­rences. Son des­sin ramas­sé, l’usage volup­tueux des cou­leurs, la pré­ci­sion des per­son­nages – ren­dus en quelques traits déci­sifs – nous plongent tota­le­ment dans l’univers prous­tien. Chloé Cruchaudet n’hésite pas à brouiller les lignes sages des cases pour don­ner de la vigueur au récit et par­fois nous ravit d’une scène en pleine page, qu’on n’en finit pas de détailler. Deux ouvrages pas­sion­nants,
pour célé­brer au mieux le cen­te­naire de la mort de Proust. I.M.

Monsieur Proust, de Corinne Maier et Stéphane Manel. Éd. Seghers, 256 pages, 23,90 euros. Céleste. « Bien sûr, Monsieur Proust », de Chloé Cruchaudet. Noctambule. Éd. Soleil, 116 pages, 18,95 euros.

Célébrer la vie

En refer­mant, œil humide et sou­rire aux lèvres, La Vie gour­mande, ren­ver­sant récit auto­bio­gra­phique d’Aurélia Aurita, on a le sen­ti­ment d’avoir tra­ver­sé une odys­sée intime. Un tour­billon d’émotions, de cou­leurs et de sen­sa­tions. Une ode à la vie, sur­tout. Car s’il a été démar­ré juste après le can­cer du sein qui l’a tou­chée, et qu’elle raconte en par­tie ici, ce magni­fique récit célèbre sur­tout l’élan vital, les choses essen­tielles du quo­ti­dien, l’appétit de l’existence. D’associations d’idées en flash- back, Aurélia nous embarque dans les cou­lisses du res­tau­rant du chef Pierre Gagnaire, dans celles de ses belles ami­tiés fémi­nines aus­si (il se trouve que ses amies sont Jeanne Cherhal, Mona Chollet et Annie Ernaux, on a vu pire !). Elle raconte la fougue d’une pas­sion amou­reuse, la cha­leur des com­mer­çants du mar­ché, se sou­vient d’un grand voyage au Japon, de sa grand-​mère cam­bod­gienne… C’est l’album d’une femme de 40 ans, libre et sen­sible, fau­chée par la mala­die, mais qui en res­sort plus que jamais connec­tée à ce qui, comme disait Françoise Héritier, « fait le sel de la vie ». Le tout des­si­né avec une grâce infi­nie. S.G.

La Vie gour­mande, d’Aurélia Aurita. Casterman, 368 pages, 29,50 euros.

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