Enseignante-chercheuse en sciences politiques, Anna Colin Lebedev est spécialiste des espaces postsoviétiques. Fine connaisseuse de la société russe, elle analyse la bataille de l’information qui se joue depuis Moscou.

Causette : Début mars, vous expliquiez que pour beaucoup de Russes, la guerre n’a pas lieu. Après plusieurs semaines de sanctions internationales, est-ce toujours le cas ?
Anna Colin Lebedev : Le récit officiel a changé après deux semaines de guerre. À partir du moment où le ministère de la Défense russe a reconnu des pertes humaines de plusieurs centaines de soldats, on a basculé dans autre chose. Mais on a toujours, en Russie, une image extrêmement déformée de la guerre, vue comme un conflit localisé, où les Ukrainiens seraient responsables de toutes les attaques, quand les Russes seraient dans une position uniquement défensive. Comme la guerre s’installe, la communication a changé : aujourd’hui, on est davantage dans une stratégie de mobilisation belliqueuse de la population.
Actuellement, comment s’informent les Russes ?
A. C. L. : Les disparités régionales et les disparités de revenus sont extrêmement importantes, ce qui fait qu’on a plein de Russie, et toutes n’utilisent pas les mêmes canaux. L’accès à l’information va être radicalement différent dans une petite ville de province et à Moscou, dans une grande ville de province ou à la campagne. Statistiquement, la moitié de la population s’informe par la télévision – où ne sont disponibles que des chaînes contrôlées par l’État. Beaucoup ont également accès à Internet, essentiellement via les smartphones. Mais ça ne veut pas dire qu’ils iront chercher des sources alternatives.
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