
Il est temps de changer. C’est le message que Paul B. Preciado adresse aux psychanalystes dans son essai Je suis un monstre qui vous parle, aux éditions Grasset. L’auteur part de son expérience d’homme trans, celle d’un « monstre de la psychanalyse », pour réveiller les psys. Il invite celles et ceux de ces professionnel·les qui s’inscrivent encore dans des schémas binaires et hétéropatriarcaux à faire évoluer leur pratique. Un message qui bouscule et nous invite, plus globalement, à repenser la société. Un essai aussi porteur d’espoir, car Paul B. Preciado est formel : un nouveau monde est à venir. Rencontre avec un philosophe résolument optimiste.
Causette : Le titre de votre essai est une claque. Vous vous définissez en tant que monstre. Pourquoi avoir choisi d’investir ce terme, pourtant très péjoratif ?
Paul B. Preciado : Parce que la réalité, c’est que quand on est trans, on a été construits comme des monstres. Quand on est un garçon trans, c’est un peu différent, car le passing est presque immédiat, personne ne vous demande rien, on vous dit « monsieur », tout le monde s’en fout. Mais je le vois beaucoup chez mes copines trans filles : à chaque fois, on a l’impression qu’elles sont traitées comme un éléphant qui rentre dans la pièce.
Et c’est la même chose par rapport aux personnes racisées : on les trouve trop exubérantes, violentes… Je dis « monstre » pour parler des corps qui ont été considérés historiquement au-delà de l’humanité. C’est vraiment moins qu’humains. Nous tombons dans une espèce de non-lieu, entre l’animalité et l’humanité.
Quel a été le point de départ de cet essai ?
P. B. P. : J’ai été contacté par deux psychanalystes de l’École de la cause freudienne1 qui m’ont proposé de faire une intervention dans le cadre d’une conférence nommée « Femmes en psychanalyse » [elle a eu lieu le 17 novembre 2019, ndlr]. D’emblée, j’ai été vraiment très surpris par ce titre. Il y avait aussi une ambiguïté, je me demandais si j’étais invité parce que j’avais été femme avant et qu’ensuite j’étais devenu un homme…
Deux, trois jours avant la conférence, ils m’ont appris que ce serait au Palais des congrès et qu’il y aurait 3 500 psychanalystes présents dans la salle. Moi qui pensais que ce serait un colloque, comme j’ai l’habitude de faire, avec peut-être 250, 300 personnes… Quand j’ai compris quel serait le contexte, je me suis dit que l’occasion était assez[…]