La créatrice du compte « MeToo Lesbien », interrogée pour la première fois dans un média, revient sur le récent déferlement de témoignages postés sur les réseaux sociaux concernant les violences faites aux femmes par des femmes, qu'elle a initié.
Depuis un peu moins d'une semaine, les témoignages affluent sur Twitter pour dénoncer les violences faites aux femmes par des femmes. À l'origine de ce déferlement de messages, le compte « MeToo Lesbien », lancé le 22 septembre dernier sur les réseaux sociaux, avec pour objectif de « libérer la parole de toutes les personnes concernées », explique à Causette Lucie1, sa créatrice. Cette dernière, qui a elle-même subi une tentative de viol et des violences conjugales, collabore avec une autre jeune femme, Louison2, dans sa réflexion, mais récolte et met en ligne les témoignages seule. Il est possible de lui écrire, anonymement, sur un site dédié. Pour sa première prise de parole médiatique, elle revient sur les objectifs de la création de son compte « MeToo Lesbien » et sur l'omerta qui règne encore autour des violences faites aux femmes par des femmes.
Causette : Pourquoi avoir lancé, en septembre dernier, le compte « MeToo Lesbien » sur Instagram et Twitter ?
Lucie : Cela fait cinq ans, depuis le #MeToo, que nous attendons, en tant que personnes concernées et en tant que militantes, une libération de la parole. Il y a un an et demi, le mouvement #MeTooGay a émergé. Trois-quatre personnes sur Twitter avaient alors essayé de soulever la question d’un Me Too Lesbien. Je ne me sentais pas prête, à l'époque, de relayer cela. J'ai finalement sauté le pas après ma rencontre avec Louison, avec qui j'ai parlé de ce sujet, qui revient régulièrement dans nos sphères militantes et avec nos ami·es. Je voulais surmonter mes regrets de ne pas réussir à parler et dénoncer ce qu’il se passe.
Existe-t-il une omerta sur les violences faites aux femmes par des femmes ?
L. : Oui. De manière caricaturale, on va nous dire que nous desservons notre cause. Nous allons aussi nous dire que nous ne pouvons pas dénoncer telle personne car elle-même est victime. Je ne vais, par exemple, pas porter plainte contre mes ex car elles sont aussi victimes d’autres agressions, d’homophobie… Tout cela agit comme un frein. Quand j’ai commencé à évoquer dans mon entourage ma première relation où j'ai subi des violences conjugales, avec une femme qui me menaçait avec un couteau, j’ai eu des réactions effrayantes de personnes que je considérais comme des ami·es : ils et elles prenaient son parti !
Quand nous évoquons les violences que nous avons subies, nous prenons également dans la figure de la lesbophobie et de l’hypersexualisation. Quand nous parlons de viol, nous avons presque l’impression d’alimenter des fantasmes dans la tête de certaines personnes. Ces deux phénomènes nous empêchent de dénoncer les agressions sexuelles.
Pour un grand nombre de personnes, les lesbiennes n’ont pas une sexualité complète car il n’y a pas de pénétration par un pénis. Ce qui complique encore notre prise de parole. Comment peut-on parler de viol quand beaucoup considèrent que l’on n’a pas une sexualité qui correspond aux normes conçues par les hommes ? À quel moment pouvons-nous dire que nous avons été violées, quand il n’y a pas eu pénétration pas un pénis, alors que c’est bien un viol ?
Après avoir publié plusieurs témoignages depuis la rentrée, vous avez lancé un nouvel appel à témoignages le 23 octobre sur Twitter, pourquoi ?
L. : J’ai commencé à recevoir des messages de soutien de collectifs et de militant·es. Je me suis donc dit que ça pouvait intéresser. Twitter est un outil extrêmement toxique mais aussi très efficace pour faire émerger des questionnements et une visibilisation de la parole des victimes.
"Des personnes malveillantes se sont servi du hashtag pour dire que les hommes n’étaient pas si violents comparés aux femmes"
Quelles ont été les réactions à votre appel à témoignages ? Avez-vous reçu beaucoup de messages ?
L. : Sur le site que j’ai lancé pour permettre aux personnes de témoigner anonymement, j’ai reçu environ 70 témoignages. Sur Twitter, il y a eu plus d’une centaine de femmes qui ont pris la parole. J’ai arrêté de compter après 100.
Je ne pensais pas que le hashtag serait autant relayé. J’ai voulu mettre un petit mot de soutien sous les témoignages de chaque victime. Je me suis alors rendu compte de l’existence de faux comptes et de trolls qui utilisaient le hashtag pour créer des témoignages suspects, avec une forte sexualisation, ou alors pour lancer un appel aux lesbiennes en leur disant qu’ils étaient célibataires. D’autres se sont servi du hashtag pour dire que les hommes n’étaient pas si violents comparés aux femmes, ou pour attaquer des personnalités politiques féministes et lesbiennes, comme Alice Coffin et Sandrine Rousseau. Je trouve si grave qu’au lieu de soutenir les victimes, des personnes lancent des menaces, des injonctions, des rumeurs et essaient de les silencier…
"Nous désirons soulever des questionnements. Les victimes sont-elles écoutées et prises en charge ? Les campagnes de sensibilisation sont-elles adaptées ?"
Qu’espérez-vous de la vague initiée par votre compte « MeToo Lesbien » ?
L. : Notre premier objectif est de créer un espace de libération de la parole et de soutien à toutes ces victimes qui n’ont jamais pu parler. Nous voulons aussi pouvoir chiffrer la lesbophobie et les violences sexuelles faites aux femmes, en particulier par les femmes, car en France, nous manquons de chiffres et d’études à ce propos. Nous savons que le sujet des violences faites aux femmes par des femmes est tabou mais qu’il existe. Nous souhaitons également réaliser une typologie des violences. Parmi les témoignages, beaucoup proviennent de mineures, qui débutent leur sexualité. Il existe aussi beaucoup de transphobie et de biphobie.
Nous désirons soulever des questionnements. Les victimes sont-elles écoutées et prises en charge ? Les campagnes de sensibilisation sont-elles adaptées ? Nous n’avons pas forcément de réponses ou de solutions, mais elles émergeront peut-être de manière collective. Avec ces deux comptes, nous espérons pouvoir éveiller la conscience des gens et les pousser à réaliser de la sensibilisation. La première chose que j’ai faite sur Instagram est de répertorier des outils pour aider les victimes, notamment à évaluer les violences, repositionner le discours sur les violences…
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