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Nicole Girard-​Mangin, Moussa Dansako et Fernande Herduin : trois des­tins à décou­vrir à tra­vers une expo­si­tion immer­sive sur la bataille de Verdun

L’exposition « Destins de Verdun » du Mémorial de Verdun pro­pose un par­cours immer­sif sur les traces de vingt hommes et femmes ayant vécu, de près ou de loin, la bataille de Verdun. Causette vous pro­pose d’en décou­vrir trois.

Que peut-​on apprendre, qu’on ne sache déjà, sur la Première Guerre mon­diale, ce conflit meur­trier qui a fait dix mil­lions de mort·es en quatre ans ? Le Mémorial de Verdun (Meuse) a rele­vé brillam­ment le défi en racon­tant sous un angle dif­fé­rent la bataille de Verdun qui englua les forces alle­mandes et fran­çaises pen­dant dix mois inter­mi­nables, de février à décembre 1916. À tra­vers l’exposition inédite bap­ti­sée « Destins de Verdun », la « mère » de toutes les batailles fran­çaises est contée via les récits de vingt per­sonnes qui l’ont vécue, cha­cune à leur manière. Vingt des­tins qui sont pré­sen­tés sur quatre sites emblé­ma­tiques : le fort de Douaumont, le fort de Vaux, l’ouvrage de Froideterre et le Mémorial de Verdun.

Une façon inédite et inté­res­sante de racon­ter la bataille en dépla­çant la focale. Pas ques­tion de chiffres ici ou de stra­té­gie mili­taire. L’exposition a été pen­sée comme un par­cours immer­sif au cours duquel les visiteur·euses vont décou­vrir les des­tins de ces hommes et femmes grâce à des créa­tions audio­vi­suelles, des dis­po­si­tifs numé­riques, mais aus­si le témoi­gnage de trois descendant·es de sol­dats fran­çais et alle­mands qui racontent l’histoire de leur aïeul.

Un tra­vail de mémoire d’autant plus néces­saire que le pay­sage lunaire de la bataille, qui s’étend sur à peine vingt kilo­mètres, est qua­si­ment res­té tel quel. Seule la forêt de Verdun, plan­tée sur le site en 1921, est désor­mais la gar­dienne des com­bats de ce lieu qui fut pen­dant trois cent jours et trois cent nuit le théâtre des pires affron­te­ments entre Français et Allemands de la Première Guerre mon­diale. En tout, soixante mil­lions d’obus ont été tirés. 2 500 000 hommes s'y sont bat­tus et 700 000 y sont morts. Plus de cent ans après, c’est donc pour faire à nou­veau vivre la mémoire de celles et ceux qui « ont fait Verdun », que le Mémorial nous pro­pose de décou­vrir ces vingt des­tins. Causette vous pro­pose d’en décou­vrir trois.

Nicole Girard-​Mangin

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Nicole Girard-​Mangin
© Famille Girard-​Mangin.
Création gra­phique : Atelier Sylvain Roca
& Nicolas Turki Duchesnay

Alors que les auto­ri­tés recensent tous les méde­cins de France lorsque le conflit éclate en 1914, elles mobi­lisent par erreur la doc­teure Nicole Girard-​Mangin. L’armée pense en effet avoir affaire au doc­teur Gérard Mangin. Une femme méde­cin mili­taire sur le front, la situa­tion est alors inédite. Mais l’armée ayant cruel­le­ment besoin de forces médi­cales, Nicole Girard-​Mangin est affec­tée à un sec­teur que l’on pense alors calme : Verdun. L’accueil qu’on lui réserve sur place est plus que gla­cial. « Je demande un homme, on m’envoie une femme », lui assène ain­si un confrère.

Lorsque la bataille éclate deux ans plus tard, il faut éva­cuer l’hôpital mili­taire de Verdun en urgence. Problème, beau­coup de sol­dats ne sont pas en état de se dépla­cer. Nicole Girard-​Mangin consent à res­ter auprès d’eux. Mais rapi­de­ment la pluie d’obus qui s’abat conti­nuel­le­ment et l’afflux tou­jours plus mas­sif de bles­sés, rendent la situa­tion inte­nable : à bord d’un véhi­cule sani­taire, elle éva­cue les der­niers malades. La route est dan­ge­reuse, les éclats d’obus frappent la voi­ture. Nicole Girard-​Mangin est bles­sée au visage mais elle par­vient tout de même à rapa­trier les bles­sés avec succès . 

Elle res­te­ra en poste dans le sec­teur de Verdun jusqu’à la fin de la bataille. Elle se sui­ci­de­ra en 1919, pro­ba­ble­ment trau­ma­ti­sée parce qu'elle a vécu. Longtemps, l’armée fran­çaise lui refu­se­ra toute dis­tinc­tion. Il fau­dra attendre 2021 pour qu’elle rende enfin hom­mage à la seule femme méde­cin fran­çaise mobi­li­sée sur le front de la Grande guerre en lui décer­nant la médaille d’honneur.

Lire aus­si I Les Françaises, colonne ver­té­brale de la France pen­dant la Première Guerre mon­diale 1/​2

Moussa Dansako

Au milieu de ses cama­rades, le capo­ral Moussa Dansako attend au fond de sa tran­chée boueuse et som­mai­re­ment amé­na­gée l’instant fati­dique où il fau­dra s’élancer par-​dessus le para­pet. Ces jour­nées gla­ciales d'automne sont dures pour les sol­dats. Sans doute, Moussa Dansako et ses cama­rades séné­ga­lais, maliens, gui­néens ou bur­ki­na­bés du 36ème bataillon de tirailleurs doivent se deman­der ce qu’ils font là, si loin de chez eux. Beaucoup ont d’ailleurs été recru­tés dans les colo­nies fran­çaises par la menace ou par la force. 

On ne sait presque rien de l'histoire de Moussa Dansako. Était-​il Malien, Sénégalais ou Guinéen ? Son nom même avait-​il été bien retrans­crit par son recru­teur ? Ce que l’on sait c’est que ce capo­ral a fait preuve d’un cou­rage sans pareil ce 24 octobre 1916. Sous la grêle de balles et les éclats d’obus, il a, à quatre reprises, por­té secours à des cama­rades bles­sés alors qu’il l’était lui-​même. Son action a per­mis aux sol­dats fran­çais de reprendre le Fort de Douaumont.

Fernande Herduin

« Enfin, je subis le sort, je n’ai aucune honte, mes cama­rades, qui me connaissent, savent que je n’étais pas un lâche. Mais avant de mou­rir, ma bonne Fernande, je pense à toi et à mon Luc. Réclame ma pen­sion, tu y as droit. » Ces mots ont été écrits par le lieu­te­nant Henri Herduin le 11 juin 1916 quelques heures avant son exé­cu­tion sous les balles fran­çaises. Quatre jours aupa­ra­vant, alors que son régi­ment est déci­mé par une puis­sante attaque alle­mande, le lieu­te­nant a déci­dé qu’il était plus pru­dent de se replier avec la poi­gnée d’hommes qu’il res­tait, et ce mal­gré l’ordre d’un capi­taine d’un autre régi­ment, les som­mant de retour­ner au com­bat. Ce repli est qua­li­fié d’abandon de poste par l’armée fran­çaise qui condamne aus­si­tôt Henri Herduin et un autre lieu­te­nant à la peine de mort sans juge­ment. Sa femme, Fernande, n’aura de cesse après sa mort de faire réha­bi­li­ter la mémoire de son mari.

Après l'armistice et appuyée par un avo­cat et par la ligue des Droits de l’homme, elle porte plainte pour assas­si­nat contre l’officier qui a direc­te­ment ordon­né l’exécution de son mari. Sans suc­cès. En avril 1921, deux dépu­tés com­mu­nistes lui apportent leur sou­tien. L’affaire est alors relayée par la presse et la classe poli­tique com­mence à plier. Il fau­dra néan­moins attendre encore une année pour que le ministre des Pensions, André Maginot, accorde défi­ni­ti­ve­ment le sta­tut de « mort pour la France » à Henri Herduin. Le com­bat de son épouse por­te­ra d'autant plus ses fruits qu'en 1924, le par­le­ment adopte une loi qui pro­tège désor­mais les sol­dats exé­cu­tés sans juge­ment, per­met­tant de fait de les réha­bi­li­ter sans pas­ser par une pro­cé­dure judi­ciaire. Henri Herduin repose au cime­tière de Reims depuis 1925 où Fernande le rejoint trente ans plus tard.

« Destins de Verdun », expo­si­tion par­cours au Mémorial de Verdun et sur le champ de bataille à voir jusqu'au 28 avril 2024. L’exposition-parcours est acces­sible avec le billet d’entrée des trois sites du champ de bataille ou le billet d’entrée du Mémorial de Verdun, sans supplément.


Vous aus­si, vous avez peut-​être un « des­tin de Verdun » dans votre famille 

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Toujours dans la pers­pec­tive de trans­mettre la mémoire de la Première Guerre mon­diale aux géné­ra­tions futures, le Mémorial de Verdun a éga­le­ment lan­cé un appel à témoins à des­ti­na­tion de per­sonnes dont les aïeul·es ont par­ti­ci­pé, d’une manière ou d’une autre, à la bataille de Verdun. Ce qui concerne bien du monde puisque près des ¾ de l’armée fran­çaise a com­bat­tu sur ce champ de bataille en 1916. Si c’est votre cas, envoyez votre témoi­gnage à l’adresse : [email protected].

Lire aus­si I Des jar­dins de la paix sur les lieux de la Grande Guerre

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