L’exposition « Destins de Verdun » du Mémorial de Verdun propose un parcours immersif sur les traces de vingt hommes et femmes ayant vécu, de près ou de loin, la bataille de Verdun. Causette vous propose d’en découvrir trois.
Que peut-on apprendre, qu’on ne sache déjà, sur la Première Guerre mondiale, ce conflit meurtrier qui a fait dix millions de mort·es en quatre ans ? Le Mémorial de Verdun (Meuse) a relevé brillamment le défi en racontant sous un angle différent la bataille de Verdun qui englua les forces allemandes et françaises pendant dix mois interminables, de février à décembre 1916. À travers l’exposition inédite baptisée « Destins de Verdun », la « mère » de toutes les batailles françaises est contée via les récits de vingt personnes qui l’ont vécue, chacune à leur manière. Vingt destins qui sont présentés sur quatre sites emblématiques : le fort de Douaumont, le fort de Vaux, l’ouvrage de Froideterre et le Mémorial de Verdun.
Une façon inédite et intéressante de raconter la bataille en déplaçant la focale. Pas question de chiffres ici ou de stratégie militaire. L’exposition a été pensée comme un parcours immersif au cours duquel les visiteur·euses vont découvrir les destins de ces hommes et femmes grâce à des créations audiovisuelles, des dispositifs numériques, mais aussi le témoignage de trois descendant·es de soldats français et allemands qui racontent l’histoire de leur aïeul.
Un travail de mémoire d’autant plus nécessaire que le paysage lunaire de la bataille, qui s’étend sur à peine vingt kilomètres, est quasiment resté tel quel. Seule la forêt de Verdun, plantée sur le site en 1921, est désormais la gardienne des combats de ce lieu qui fut pendant trois cent jours et trois cent nuit le théâtre des pires affrontements entre Français et Allemands de la Première Guerre mondiale. En tout, soixante millions d’obus ont été tirés. 2 500 000 hommes s'y sont battus et 700 000 y sont morts. Plus de cent ans après, c’est donc pour faire à nouveau vivre la mémoire de celles et ceux qui « ont fait Verdun », que le Mémorial nous propose de découvrir ces vingt destins. Causette vous propose d’en découvrir trois.
Nicole Girard-Mangin
Alors que les autorités recensent tous les médecins de France lorsque le conflit éclate en 1914, elles mobilisent par erreur la docteure Nicole Girard-Mangin. L’armée pense en effet avoir affaire au docteur Gérard Mangin. Une femme médecin militaire sur le front, la situation est alors inédite. Mais l’armée ayant cruellement besoin de forces médicales, Nicole Girard-Mangin est affectée à un secteur que l’on pense alors calme : Verdun. L’accueil qu’on lui réserve sur place est plus que glacial. « Je demande un homme, on m’envoie une femme », lui assène ainsi un confrère.
Lorsque la bataille éclate deux ans plus tard, il faut évacuer l’hôpital militaire de Verdun en urgence. Problème, beaucoup de soldats ne sont pas en état de se déplacer. Nicole Girard-Mangin consent à rester auprès d’eux. Mais rapidement la pluie d’obus qui s’abat continuellement et l’afflux toujours plus massif de blessés, rendent la situation intenable : à bord d’un véhicule sanitaire, elle évacue les derniers malades. La route est dangereuse, les éclats d’obus frappent la voiture. Nicole Girard-Mangin est blessée au visage mais elle parvient tout de même à rapatrier les blessés avec succès .
Elle restera en poste dans le secteur de Verdun jusqu’à la fin de la bataille. Elle se suicidera en 1919, probablement traumatisée parce qu'elle a vécu. Longtemps, l’armée française lui refusera toute distinction. Il faudra attendre 2021 pour qu’elle rende enfin hommage à la seule femme médecin française mobilisée sur le front de la Grande guerre en lui décernant la médaille d’honneur.
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Moussa Dansako
Au milieu de ses camarades, le caporal Moussa Dansako attend au fond de sa tranchée boueuse et sommairement aménagée l’instant fatidique où il faudra s’élancer par-dessus le parapet. Ces journées glaciales d'automne sont dures pour les soldats. Sans doute, Moussa Dansako et ses camarades sénégalais, maliens, guinéens ou burkinabés du 36ème bataillon de tirailleurs doivent se demander ce qu’ils font là, si loin de chez eux. Beaucoup ont d’ailleurs été recrutés dans les colonies françaises par la menace ou par la force.
On ne sait presque rien de l'histoire de Moussa Dansako. Était-il Malien, Sénégalais ou Guinéen ? Son nom même avait-il été bien retranscrit par son recruteur ? Ce que l’on sait c’est que ce caporal a fait preuve d’un courage sans pareil ce 24 octobre 1916. Sous la grêle de balles et les éclats d’obus, il a, à quatre reprises, porté secours à des camarades blessés alors qu’il l’était lui-même. Son action a permis aux soldats français de reprendre le Fort de Douaumont.
Fernande Herduin
« Enfin, je subis le sort, je n’ai aucune honte, mes camarades, qui me connaissent, savent que je n’étais pas un lâche. Mais avant de mourir, ma bonne Fernande, je pense à toi et à mon Luc. Réclame ma pension, tu y as droit. » Ces mots ont été écrits par le lieutenant Henri Herduin le 11 juin 1916 quelques heures avant son exécution sous les balles françaises. Quatre jours auparavant, alors que son régiment est décimé par une puissante attaque allemande, le lieutenant a décidé qu’il était plus prudent de se replier avec la poignée d’hommes qu’il restait, et ce malgré l’ordre d’un capitaine d’un autre régiment, les sommant de retourner au combat. Ce repli est qualifié d’abandon de poste par l’armée française qui condamne aussitôt Henri Herduin et un autre lieutenant à la peine de mort sans jugement. Sa femme, Fernande, n’aura de cesse après sa mort de faire réhabiliter la mémoire de son mari.
Après l'armistice et appuyée par un avocat et par la ligue des Droits de l’homme, elle porte plainte pour assassinat contre l’officier qui a directement ordonné l’exécution de son mari. Sans succès. En avril 1921, deux députés communistes lui apportent leur soutien. L’affaire est alors relayée par la presse et la classe politique commence à plier. Il faudra néanmoins attendre encore une année pour que le ministre des Pensions, André Maginot, accorde définitivement le statut de « mort pour la France » à Henri Herduin. Le combat de son épouse portera d'autant plus ses fruits qu'en 1924, le parlement adopte une loi qui protège désormais les soldats exécutés sans jugement, permettant de fait de les réhabiliter sans passer par une procédure judiciaire. Henri Herduin repose au cimetière de Reims depuis 1925 où Fernande le rejoint trente ans plus tard.
« Destins de Verdun », exposition parcours au Mémorial de Verdun et sur le champ de bataille à voir jusqu'au 28 avril 2024. L’exposition-parcours est accessible avec le billet d’entrée des trois sites du champ de bataille ou le billet d’entrée du Mémorial de Verdun, sans supplément.
Vous aussi, vous avez peut-être un « destin de Verdun » dans votre famille
Toujours dans la perspective de transmettre la mémoire de la Première Guerre mondiale aux générations futures, le Mémorial de Verdun a également lancé un appel à témoins à destination de personnes dont les aïeul·es ont participé, d’une manière ou d’une autre, à la bataille de Verdun. Ce qui concerne bien du monde puisque près des ¾ de l’armée française a combattu sur ce champ de bataille en 1916. Si c’est votre cas, envoyez votre témoignage à l’adresse : [email protected].
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