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©Nicolas Bernard

Les Françaises, colonne ver­té­brale de la France pen­dant la Première Guerre mon­diale 1/​2

En rem­pla­çant les hommes sur les chaînes de pro­duc­tion des usines ou à la tête des exploi­ta­tions agri­coles, les Françaises sont deve­nues pen­dant quatre ans indis­pen­sables à l'effort de guerre. 

Début août 1914. Sur les quais des gares de France, les femmes fran­çaises se pressent pour lan­cer des « au revoir », des « à bien­tôt » et des « à très vite » à leurs hommes qui partent, la fleur au fusil, se battre contre les troupes de l’empereur alle­mand Guillaume 1er. Mais à peine ont-​elles digé­ré le départ de leur père, de leur mari ou de leurs fils, que le Président du Conseil des Ministres de l’époque, René Viviani, fait pla­car­der le 7 août sur les murs du pays un appel à mobi­li­sa­tion, qui leur est cette fois des­ti­né. « Debout, femmes fran­çaises […] Remplacez sur le champ de tra­vail ceux qui sont sur le champ de bataille. […] Debout, à l’action, au labeur ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »

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Pendant quatre longues années, les Françaises vont désor­mais tenir les rênes de leur foyer, de leur mai­son, de leur ferme ou de leur com­merce, seules. Pourtant, à voir les monu­ments aux morts de nos villes et de nos vil­lages, Réné Viviani semble s’être trom­pé : la gloire de la Première Guerre mon­diale s’est davan­tage conju­guée au mas­cu­lin. Peu nom­breuses sont celles qui ont par exemple reçu médailles, légions et recon­nais­sances après l’armistice alors que les témoi­gnages enfouis dans nos familles nous prouvent qu’au contraire, la Grande Guerre ne fut pas qu’une affaire d’hommes. 

Féminisation de l'emploi

S’il est faux de pen­ser que la Première Guerre mon­diale a mis les Françaises au tra­vail, elles res­taient jusqu’alors can­ton­nées au sec­teur dit fémi­nins comme le tex­tile et l’alimentation. « Quatre mil­lions d’hommes partent sur le front en 1914, pré­cise Johanne Berlemont, res­pon­sable du ser­vice de la conser­va­tion du musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux et dont l’arrière grand-​mère, Marthe, a subi l’occupation alle­mande dans les ter­ri­toires occu­pés du Nord-​Est de la France. Avec leur absence, les femmes devinrent rapi­de­ment la colonne ver­té­brale de l’effort de guerre. On ver­ra notam­ment une fémi­ni­sa­tion des sec­teurs autre­fois réser­vés aux hommes comme la métal­lur­gie, les construc­tions méca­niques ou la chimie. » 

« L’émancipation des femmes pen­dant la Première guerre mon­diale est encore aujourd’hui un débat historiographique »

Françoise Thebaud, historienne. 

Ces quatre années furent per­çue par cer­taines comme une paren­thèse d’émancipation, elles qui sont encore sous le sta­tut de mineures juri­diques depuis l’instauration du code napo­léo­nien en 1804. Il convient cepen­dant de pré­ci­ser que les Françaises ne consti­tuent pas un groupe homo­gène, et qu’elles furent toutes dis­tinctes dans leur tra­jec­toire. « L’émancipation des femmes pen­dant la Première guerre mon­diale est encore aujourd’hui un débat his­to­rio­gra­phique », tient d'ailleurs à pré­ci­ser l’historienne Françoise Thebaud, spé­cia­liste du sujet et autrice du livre Les femmes au temps de la guerre de 14

Dans les pre­mières semaines du conflit, la mobi­li­sa­tion des hommes, la réqui­si­tion des véhi­cules et des ani­maux para­lyse le pays. « Le gou­ver­ne­ment ima­gine une guerre courte, il n’est donc pas utile selon lui de réor­ga­ni­ser le pays, indique Françoise Thebaud. Pendant les pre­miers mois, rien ne change hor­mis que la mobi­li­sa­tion des chefs d’entreprise entraîne inévi­ta­ble­ment la mise au chô­mage des femmes. » Une mise à l’arrêt qui pro­voque de fait de lourdes consé­quences éco­no­miques pour les femmes et leur famille.

« Une grande par­tie des fémi­nistes s’engagèrent pour leur pays et pas­sèrent de sœurs de com­bat à ennemies. »

Elise Bourgeois,

Malgré les dif­fi­cul­tés, les femmes n’hésitent pas à s'unir dès le début du conflit der­rière la même ban­nière : celle de la patrie. La majo­ri­té des fémi­nistes font le choix de sou­te­nir leur gou­ver­ne­ment et oublient d’ailleurs – pour un temps – leur reven­di­ca­tion prin­ci­pale de l’époque : le droit de vote. Tout en espé­rant que leur enga­ge­ment joue­ra à la fin du conflit pour leur obte­nir l’accès aux urnes. « Les fémi­nistes attachent une grande impor­tance à la paix mais il est faux de pen­ser qu’elles se rangent toutes der­rière le paci­fisme, détaille Elise Bourgeois, conser­va­trice des archives dépar­te­men­tales de la Somme. Une grande par­tie des fémi­nistes s’engagèrent pour leur pays et pas­sèrent de sœurs de com­bat à enne­mies. » À l’image de la jour­na­liste fémi­niste Jane Misme, qui publie dans le jour­nal La Française le 19 décembre 1914, « Tant qu’il y aura la guerre, les femmes de l’ennemi seront aus­si l’ennemi ». Un patrio­tisme exal­té éga­le­ment de l’autre côté du Rhin. « Les Allemandes, comme les Françaises, sont les pre­mières tou­chées quand la guerre éclate, sou­ligne Christina Stange-​Fayos, pro­fes­seur d'histoire et de civi­li­sa­tion alle­mande à l'Université Toulouse 2 Jean Jaurès. Elles sont mises au chô­mage et se mettent entiè­re­ment au ser­vice de la nation. »

Remplacer

L’engagement des femmes ne passe pas par les armes mais par le tra­vail. Les femmes doivent rem­pla­cer les hommes. « Remplacer ». Le mot col­le­ra pen­dant quatre années à la peau des femmes fran­çaises qui seront som­mées de faire aus­si bien que les hommes tout en étant moins payées. En 1915, la guerre s’enlise en effet dans les tran­chées du Nord-​est de la France, le gou­ver­ne­ment com­prend que la guerre ne sera pas de courte durée comme annon­cée. Il faut donc remettre le pays sur les rails et pour cela on a besoin des femmes. Factrice, poin­çon­neuse de métro, livreuse de char­bon, pom­pier… longue est la liste des emplois à ain­si être fémi­ni­sé. Dans les usines d'armement notam­ment, où les ouvrières parées du sur­nom de muni­tion­nettes s’affairent jour et nuit sur les chaînes de pro­duc­tion. « Les usines de guerre explosent pen­dant la guerre, on a mesu­ré une crois­sance éco­no­mique de 20% en 1917 grâce au tra­vail des femmes. constate Françoise Thebaud. Mais si les femmes tra­vaillent davan­tage dans les usines, elles n’occupent pas pour autant des postes à res­pon­sa­bi­li­tés, elles sont enca­drées par des hommes qui n’ont pas pu par­tir au combat. »

Les Françaises rem­placent les hommes dans les usines mais éga­le­ment dans les champs des cam­pagnes du pays. La guerre sort ain­si de l’ombre 3 080 000 pay­sannes en leur confiant de nou­velles res­pon­sa­bi­li­tés. En 1918, elles seront ain­si 850 000 à diri­ger une exploi­ta­tion agri­cole. Des res­pon­sa­bi­li­tés acquises dans la souf­france. « Le tra­vail de la terre est dur, sou­tient Françoise Thebaud. Elles doivent rem­pla­cer les hommes mais aus­si les bêtes mobi­li­sées sur le front. » De plus en plus seules aus­si. Car si au début du conflit, les maris et les pères tentent depuis le front de diri­ger, puis de conseiller, une par­tie d’entre eux finit par y renon­cer. De toute façon, le cour­rier – un mil­lion de lettres seront envoyées en quatre ans – tarde tant que les nou­velles sont péri­mées lorsqu’elles arrivent à leur destinataires. 

« Nous n’avons pas de chiffres sur les pertes humaines qui concernent les femmes mais beau­coup d’entres elles vont périr à cause des bom­bar­de­ments lorsqu’elles vivent au plus près du front, des res­tric­tions ali­men­taires, de mala­dies mais aus­si d’épuisement au travail »

Chantal Antier, historienne

Que ce soit à la ville ou à la cam­pagne, les Françaises souffrent et bien au-​delà des annonces de morts qui sur­viennent chaque jour et qui pèsent sur le moral des femmes. Une femme écrit par exemple d’un vil­lage de l’Isère « On n’en peut plus de cha­grin et de fatigue ». « Nous n’avons pas de chiffres sur les pertes humaines qui concernent les femmes mais beau­coup d’entres elles vont périr à cause des bom­bar­de­ments lorsqu’elles vivent au plus près du front, des res­tric­tions ali­men­taires, de mala­dies mais aus­si d’épuisement au tra­vail », note l'historienne Chantal Antier. Le mot d’ordre de l’époque est pro­duire, tou­jours plus. Le gou­ver­ne­ment a le sen­ti­ment de mener une guerre juste, dans laquelle le sacri­fice des popu­la­tions que ce soit des hommes sur le front ou des femmes à l’arrière est néces­saire et légi­time. De nom­breuses lois sociales sont ain­si sus­pen­dues comme le jour de repos heb­do­ma­daire. Les femmes tra­vaillent plus de dix heures par jour ou par nuit. Certaines vont tout de même ten­ter d’obtenir l'amélioration de leurs condi­tions de tra­vail. « Quelques femmes lan­ce­ront des grèves dans les usines d’armement pour une aug­men­ta­tion des salaires et une dimi­nu­tion de la cadence du tra­vail, mais c’est très dif­fi­cile pour elles car on leur reproche de tuer leurs hommes en arrê­tant de pro­duire », ajoute Chantal Antier. 

Il y a tout de même une caté­go­rie de femmes qui ver­ront dans la guerre, un moyen de fuir le joug patriar­cal qui les tenait jusqu’alors. « Pour les jeunes femmes qui n’ont pas de bouches à nour­rir, c’est une réelle déli­vrance », note l’historienne Françoise Thebaud. N’étant plus sous la coupe de leur père, elles peuvent ain­si s’engager comme infir­mière ou deve­nir mar­raine de guerre, comme nous le ver­rons la semaine pro­chaine dans la seconde par­tie de cet article. 

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