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© Isabelle Motrot pour Causette

“Cold cases” à la fran­çaise : le pôle du tri­bu­nal de Nanterre tra­vaille contre la montre

Résoudre des affaires criminelles restées énigmatiques, c’est l’ambition du pôle judiciaire de Nanterre ouvert en mars 2022. Anatomie d’une structure inédite et unique en France qui se consacre entièrement aux crimes sériels et non élucidés.

Saura-t-on un jour ce qui est arrivé à la famille Méchinaud, dont les quatre membres ont disparu dans la nuit du 24 au 25 décembre 1972 après avoir passé le réveillon chez des proches à Cognac, en Charente ? Aura-t-on un jour la réponse à l’énigme judiciaire de la tuerie de Chevaline, ce quadruple meurtre en Haute-Savoie qui reste non élucidé depuis onze ans ? Trouvera-t-on enfin la trace d’une piste sérieuse dans la disparition de la petite Marion Wagon, 10 ans, évaporée le 14 novembre 1996 sur le court trajet de son école à son domicile d’Agen (Lot-et-Garonne) ?

Autant de questions auxquelles le pôle consacré au "traitement des crimes sériels ou non élucidés", aussi appelés "cold cases*", du tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), s’attache à répondre depuis sa création, le 1er mars 2022. Installé en banlieue parisienne et créé dans le cadre de "la loi pour la confiance en l’institution judiciaire", ce pôle national a pour objectif de centraliser et de coordonner les efforts de la justice et de relier des affaires disséminées en France. Concrètement, ce sont 222 dossiers d’affaires criminelles non élucidées qui ont été remontés cette année à Nanterre par le biais des parquets régionaux, des services d’enquêtes spécialisés (l’Office central pour la répression des violences aux personnes ou OCRVP ; la Division des affaires non élucidées ou DiANE ; la brigade criminelle de Paris), des cabinets d’avocats ou des familles des victimes. Le parquet en a sélectionné 77, susceptibles de bénéficier de la "plus-value" du pôle. Ils correspondent aux critères requis : ancienneté des faits (minimum dix-huit mois), sérialité avérée ou suspectée, violence et complexité de l’affaire, vulnérabilité des victimes. Des affaires dont les mystères demeurent depuis des années, voire des décennies, malgré toutes les enquêtes.


"L'affaire de ma fille prouve que, dix ans ou vingt ans après les faits, on peut résoudre un dossier”

Marie-Rose Blétry,fondatrice de l’association Christelle

Trois juges d’instruction ont été nommées pour reprendre ces affaires : Sabine Kheris, Nathalie Turquey et Emmanuelle Ducos. "Outre l’analyse humaine collégiale, incontournable pour exploiter toutes les hypothèses, la procédure est étudiée à l’aune des progrès scientifiques, techniques et criminologiques significatifs depuis vingt ans", expose le parquet de Nanterre à Causette. Grâce à ces progrès, et notamment à la révolution de l’identification de l’ADN, les moyens sont différents. "Quand on épluchait une scène de crime à l’époque, il ne fallait pas avoir un microcheveu, parce qu’on n’en faisait rien, il fallait une trace de sang ou de sperme, explique le patron de l’OCRVP, Franck Dannerolle. On pouvait tirer un groupe sanguin d’une trace de sang, avec la trace de sperme, on pouvait juste imaginer que la victime avait été violée, c’était tout. Alors qu’aujourd’hui, une microgouttelette peut nous dire que c’est Untel". L’enquête aussi repart de zéro. On écoute alors des témoins négligés, on creuse des pistes non vérifiées. "Aujourd’hui, il suffit de faire une émission télévisée sur une affaire non élucidée pour obtenir de nouveaux témoins", atteste ainsi Corinne Herrmann, avocate pénaliste spécialiste des cold cases. Elle défend actuellement dix familles dont les dossiers ont été remontés au pôle.


“Avec la trace de sperme, on pouvait juste imaginer que la victime avait été violée, c’était tout. Alors qu’aujourd’hui, une microgouttelette peut nous dire que c’est Untel”

Franck Dannerolle, chef de l’OCRVP

Les juges sont également chargées de recevoir les familles et les proches des victimes, qui réclamaient la création de ce pôle depuis des années et saluent son engagement : "En un an, on a été reçus à trois reprises, c’est exceptionnel", indique Marie-Rose Blétry. Celle-ci a fondé l’association Christelle, au lendemain du meurtre de sa fille en 1996. Christelle est l’une des "disparues de l’A6", une affaire concernant quatorze jeunes femmes tuées ou disparues entre 1984 et 2005 en Saône-et-Loire autour de l’autoroute A6.

Dix-huit ans de combat pour Marie-Rose

Pendant dix-huit ans, Marie-Rose Blétry s’est démenée pour que le meurtre de sa fille de 20 ans, violée puis lardée de 123 coups de couteau en décembre 1996, ne reste pas impuni. L’assassin de Christelle, Pascal Jardin, a été identifié en 2014 et condamné à la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté de vingt ans en février 2017. Mais Marie-Rose Blétry continue de se mobiliser pour la dizaine de familles que compte l’association. Sur six dossiers non résolus, trois sont déjà "montés" au pôle de Nanterre. "L’affaire de ma fille prouve que, dix ans ou vingt ans après les faits, on peut résoudre un dossier", insiste-t-elle auprès de Causette.

Le pôle comptera bientôt une centaine de dossiers à gérer, sa capacité maximale. À l’heure du bilan du premier anniversaire, les résultats sont encourageants. En janvier 2023, Dominique Pelicot, un homme de 70 ans, a été mis en examen pour le viol et le meurtre de Sophie Narme en 1991, et pour une tentative de viol sur une jeune femme en 1999. Première pierre d’un chantier colossal, qui suscite l’espoir des familles d’autres victimes. L’avocate Corinne Herrmann tempère toutefois les attentes. "C’est, pour les proches, la certitude que ce pôle a un sens et que c’est une chance, pour un dossier, d’être traité ici. Mais il faut laisser du temps au temps. On ne peut pas résoudre en quelques mois des affaires qui mettent la justice en échec depuis trente ans".


“Il ne faut pas oublier qu’un « cold case », c’est un criminel ou un violeur potentiel dans la nature”

Corinne Herrmann, avocate pénaliste spécialiste des cold cases

De fait, les dossiers sont épais et les moyens humains relativement maigres. Outre les trois juges d’instruction, trois greffier·ières et une assistante spécialisée composent l’équipe. Pour augmenter la cadence, le pôle sera prochainement renforcé, annonce le parquet de Nanterre, "par l’arrivée de deux officiers de liaison issus de la gendarmerie nationale et de la police nationale". Un recrutement en cours, de même que celui d’un·e assistant·e spécialisé·e pour les juges d’instruction. Et même si toutes les procédures n’aboutiront pas à un procès, précise le parquet, elles tenteront d’apporter aux familles de victimes la réponse attendue depuis si longtemps.

Améliorer la conservation des scellés

L’un des écueils à la résolution des cold cases, c’est la prescription. Elle peut être levée si "un lien de connexité", une sérialité, existe avec une affaire non prescrite. "C’est ainsi que plusieurs nouveaux crimes datant des années 1990 ont pu être reprochés à Michel Fourniret condamné en 2008 et 2018", explique l’ex-magistrat Jacques Dallest**. Corinne Herrmann renchérit : "Actuellement, j’ai deux affaires qui peuvent être prescrites, mais je vais y aller quand même parce que tant que je ne connais pas la vérité, je ne sais pas si ça s’inscrit dans une série, si l’auteur a commis plusieurs actes. Il faut savoir que souvent, dans les dossiers non résolus, les auteurs sont multirécidivistes". D’autant que la résolution peut aussi mettre un tueur en série hors d’état de nuire.

"Il ne faut pas oublier qu’un cold case, c’est un criminel ou un violeur potentiel dans la nature, rappelle Me Herrmann. Il y a des gens qui ont grandi en ayant peur toute leur vie d’être tués parce que leur proche l’a été".

Autre écueil : la destruction des scellés. En cas de non-lieu dans une affaire, ils sont souvent détruits. « On a un traitement des scellés du XXIe siècle en termes de police technique, mais une conservation des scellés digne du Moyen Âge, ce n’est plus possible », déplore Corinne Herrmann. À Nanterre, pour éviter cela, les scellés des dossiers saisis seront bientôt transférés dans un local de 175 m2 prévu pour leur conservation. Une salle qui s’inscrira dans le panel de nouvelles armes techniques et juridiques créées avec la naissance du pôle national. Parmi elles, la procédure dite du « parcours criminel ». La possibilité d’enquêter sur le parcours de vie d’un·e suspect·e ou d’un·e condamné·e pour crimes en série. Les juges pourront ainsi reconstituer des éléments de leur vie, comme leurs déplacements, et les mettre en corrélation avec des dossiers non résolus. Selon le parquet de Nanterre, neuf parcours criminels ont déjà été initiés cette année.

Pour ces 77 affaires – dont 51 concernent des victimes femmes et pour près d’un tiers des mineures –, la justice aura peut-être enfin le dernier mot. Mais à ce jour, personne ne sait avec précision combien la France compte réellement de dossiers criminels non résolus. Certainement des milliers. Et il ne faut pas oublier qu’en matière de justice, le temps qui file est rarement un allié.

*Cold case, « dossier froid », expression en anglais désignant les affaires criminelles non élucidées.

**Cold cases. Un magistrat enquête, de Jacques Dallest. Mareuil, 2023.

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