Mise à jour 13 mai 2022 ///La Nupes a indiqué jeudi soir avoir investi le député européen LFI Manuel Bompard dans la circonscription que briguait Kevin Vacher, qui a indiqué mettre un terme à sa campagne pour ne pas lui faire concurrence.
Série : Les primo-candidat·es en campagne 1/6
Issu du militantisme de l'éducation populaire et fer de lance du mouvement contre le mal-logement, Kevin Vacher, 31 ans, est candidat indépendant aux législatives dans le centre de Marseille. À moins qu'il se résigne à céder sa place à un·e candidat·e choisi·e par la coalition Nupes.
Ça lui a pris au cœur de l’été, non pas en se rasant mais parce que « des copains et des copines sur le terrain » le lui ont suggéré, dit-il. Devenir député pour porter un programme ambitieux en matière de démocratie participative mais aussi de lutte contre le mal-logement, lui qui a été soufflé par l’effondrement, le 5 novembre 2018, de deux immeubles de la rue d’Aubagne, sa rue, et des huit morts causées.
Engagé dans le Collectif 5 novembre – qui lutte pour les droits des familles en deuil, les survivant·es mais aussi pour que cela ne se reproduise plus –, par ailleurs sociologue dans une association d’éducation populaire, le jeune homme de 31 ans issu d’un milieu défavorisé hésite. Un sentiment d’illégitimité l’assaille, tout comme « la fatigue accumulée ces dernières années face aux crises, du logement, sanitaire ou écologique ». Alors, il passe l’été à sonder ses proches, « en leur posant toujours les trois mêmes questions : est-ce que vous trouveriez ça délirant ? Suis-je légitime ? Seriez-vous prêts à participer ? » Tous répondent systématiquement non/oui/oui, raconte Kevin Vacher. À la fin de l’été, il se déclare candidat indépendant mais résolument de gauche chez lui, dans l’emblématique 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, sise sur les 1er, 2e, 3e et une partie des 5e et 6e arrondissements de Marseille. C’est celle du centre-ville et des quartiers – Noailles, Belsunce, la Belle de Mai, Le Panier – dont les seuls noms évocateurs sentent bon la bouillabaisse, la panisse et la gauche irréductible. C’est aussi celle où a été élu, en 2017, le député Jean-Luc Mélenchon et où il a obtenu 54 % des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 10 avril 2022.
Une circo prisée
S’attaquer à une circo aussi emblématique en tant que candidat indépendant n’a pas dérangé Kevin Vacher, parce qu’il s’y sent chez lui depuis que ce Niçois d’origine s’est installé à Marseille : « Ce n’est pas ça qui me donnait le sentiment d’imposteur et par ailleurs, j’aime bien les défis. » Il n’empêche : si Jean-Luc Mélenchon – qu’on a accusé de s’être offert un beau parachute en briguant l’investiture de la Canebière en 2017, lui qui est né au Maroc et a fait son trou politique dans l’Essonne – ne devrait pas être candidat à sa réélection, l’endroit est prisé en ces temps d’alliances des partis de gauche au sein de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale).
« Après le second tour fin avril, nous avons adressé un courrier à l’Union populaire de Marseille et au comité électoral national de la France insoumise pour leur réitérer notre volonté qu’ils investissent ma candidature, plutôt que celle de Manuel Bompard [souvent présenté comme le numéro 2 de LFI et actuellement député européen, ndlr], qui est pressentie », explique celui qui a naturellement apporté son soutien à l’Union populaire lors de la présidentielle. Depuis, le jeune homme attend des nouvelles, tout en promettant qu’il se rangera derrière le choix de la Nupes. Pas question de faire dissidence, mais il en mangerait tout de même son chapeau : « Avec la France insoumise comme avec EELV, on se connaît depuis longtemps et on a souvent eu des occasions de militer ensemble, remet-il. J’ai choisi de me présenter en candidat indépendant parce que nous avions, avec Nos vies, nos voix, le collectif qui bat la campagne à mes côtés, besoin d’autre chose que les partis politiques pour rassembler. Je peux avoir de gros points d’accord programmatique avec l’Avenir en commun, mais je ne pense vraiment pas que les partis soient capables, à eux tout seuls, de réorganiser la vraie gauche sur le long terme. Et d’ailleurs, les faits me donnent raison : ce qui se passe actuellement avec les tractations de la Nupes, c’est que les personnes issues des quartiers populaires sont massivement éjectées des positions éligibles au profit des hommes et femmes d’appareil. »
Plus de deux cents parrains et marraines
Dans l’incertitude sur le devenir de sa candidature, Kevin Vacher a pourtant des gages à faire valoir : une formation express à l’Académie des futurs leaders, un ancrage territorial certain, une belle campagne commencée en septembre et montée avec des dons – lui-même n’a pas de fonds personnels à apporter et touche actuellement le chômage –, ainsi que l’adhésion de plus de deux cents parrains et marraines à Nos vies, nos voix. « Nous avons commencé avec le noyau dur à présenter nos idées dans des cafés et des réunions d’appartement, aujourd’hui, on ne connaît pas les personnes qui nous invitent à parler de notre programme », assure le candidat.
Pour celui qui a fait de l’ancrage territorial un de ses engagements clés, le moment le plus important a peut-être été celui du « toxic tour du mal-logement » organisé le mercredi d’avant le premier tour. Ce qui lui plaît aussi, c’est d’avoir appliqué son savoir-faire du collectif et de l’éducation populaire, où « l’esprit de chefferie des partis » n’a pas lieu d’être, à la coconstruction de son programme, monté au fil des réunions avec les parrains et marraines et des rencontres avec les habitant·es. En résulte avant toute chose un ambitieux « programme pour vivre », avec « retour immédiat des 80 000 lits d’hôpitaux supprimés depuis 2020 », « levée des brevets, en premier lieu sur les vaccins Covid », ou encore « adoption de la loi Climat telle que rédigée par la Convention citoyenne pour le climat ». Mais aussi une « proposition de loi citoyenne pour plus de pouvoir citoyen », dans laquelle on trouve l’emblématique Référendum d’initiative citoyenne (RIC) mais aussi des idées nouvelles : des recours en référé contre des projets d’aménagement, de construction ou d’urbanisme rendus suspensifs ; une mise sous tutelle citoyenne lorsqu’une administration est condamnée ; un chèque citoyen permettant, pour les personnes qui ne paient pas d’impôt, de financer des associations « et ainsi leur donner la fierté de pouvoir agir dans la société », ou encore un « congé citoyen » d’une semaine par an pour s’impliquer dans une asso ou un collectif. Enfin, un troisième volet de production de corpus est celui de la loi dite « rue d’Aubagne » pour la dignité de l’habitat, construite à partir des auditions de militant·es du Collectif du 5 novembre, des mal-logé·es, des assos locales et nationales ainsi que des avocat·es.
Aux fondements, une injustice envers le père
Pour le candidat qui milite de longue date contre l’apathie politique, ce programme exigeant sur l’implication citoyenne dans la vie politique est une réponse au « pessimisme démocratique » ambiant, fait de repli sur la sphère privée, d’abstentionnisme qu’il perçoit « comme un véritable message politique passif » ou de vote Rassemblement national. « Je peux comprendre cette idée que, la démocratie ne marchant pas, pourquoi ne pas tenter l’autoritarisme porté par le RN, dit-il. Mais c’est aux acteurs politiques et à des nouveaux comme moi de protéger la démocratie en allant tout chambouler. »
Kevin Vacher a conscientisé l’injustice lorsqu’enfant, son père ouvrier invente « une technique d’usine pour réparer les puces de téléphone » et se fait piquer l’idée par la boîte qui l’emploie, qui brevette le concept. « Mon père a tendance à relativiser l’anecdote, c’est moi qui la politise, observe-t-il. Ma mère, femme de ménage immigrée dans un hôtel de luxe lorsque je suis né, a vécu le classisme et le racisme. J’ai compris en me lançant que j’héritais des idées et des colères de là d’où je viens. Aujourd’hui, mes parents regardent mon parcours de manière attentive depuis Nice mais je crois que, comme tous les gamins issus d’un milieu populaire qui ont fait de grandes études ou se sont lancés en politique, je ne sais pas trop comment expliquer et eux ne savent pas trop comment s’insérer là-dedans. C’est impressionnant, je pense. Et cela fait écho à l’enjeu de ma candidature : de quelle représentativité nationale en termes de classe, de genre, d’origine a‑t-on besoin au sein de l’Assemblée ? »
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