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Le jardin néo-zélandais « Rangimarie », Le Quesnoy (Nord), octobre 2022. ©A.T.

Des jar­dins de la paix sur les lieux de la Grande Guerre

Les Jardins de la paix proposent un parcours paysager unique sur les sites emblématiques du souvenir de la Première Guerre mondiale. Conçus par des paysagistes des pays belligérants, leur aménagement pose toutefois des enjeux environnementaux, la terre de ces territoires étant toujours polluée par le conflit.

La Première Guerre mondiale a imprimé, comme aucun autre conflit avant elle, son empreinte sur les paysages et l’environnement. Dans le Nord-Est de la France, mais aussi en Belgique, les champs, les arbres et les sols sont durablement marqués par les combats de la Grande guerre. Ce conflit mondial dans lequel ont pris part une vingtaine de pays - et tout autant de colonies - a également profondément meurtri ces territoires. Les dizaine de milliers de croix parsemant les terres de ces régions rappellent que cette guerre a fait vingt millions de mort·es.

Cent quatre ans après l’armistice, parvenir à célébrer la paix dans ces lieux qui ont vécu tant de souffrance est l’objectif que s’est fixé en 2018 l’association Art & jardins Hauts-de-France. Baptisé « Jardins de la paix », le projet conçu à l’occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale en partenariat avec la Région Hauts-de-France, la Mission du centenaire et le ministère des Armées, façonne un parcours paysager unique sur les sites emblématiques du conflit.

Une approche différente de la mémoire

Tout le long de la ligne de front, en Belgique, mais aussi en France - dans les Hauts-de-France et dans le Grand-Est - les paysagistes et architectes originaires des pays belligérants sont invité·es à imaginer des jardins à proximité des lieux de mémoire. Après avoir choisi ces sites, l’association lance pour chaque jardin un appel à projet international. Puis un jury sélectionne les lauréat·es, deux minimum par jardin.

L’aménagement de ces lieux pose des enjeux environnementaux particuliers, la guerre ayant pollué durablement les écosystèmes. « N’importe quelle parcelle a été touchée, on retrouve toujours régulièrement des morceaux d’obus dans la terre, explique Nathalie Vallée, directrice de projet au sein de l'association. Ce sont des données à prendre en compte lorsqu’on pense ces jardins. A certains endroits la terre est tellement contaminée qu’on ne peut pas creuser, dans ces cas-là, on ajoute de la terre par exemple. »

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Ces jardins sont avant tout des jardins de la Paix et non des lieux de mémoire, tient à souligner Gilbert Fillinger, directeur d’Art & jardins Hauts-de-France. « Ils offrent une approche différente, sensible et complémentaire aux lieux de mémoire en proposant un regard nouveau sur cette paix toujours remise en question », précise-t-il à Causette. Paysagistes franco-allemand, irlandais, écossais, italien, algérien… Depuis 2018, vingt jardins de la Paix ont été créés, treize sont en cours de réalisation et sept sont encore en projet. D’ici 2025, ces quarante jardins formeront un chemin de la paix unique en Europe. Des Ardennes à la Marne en passant par le Nord, Causette a visité cinq de ces jardins de la paix. Retour sur ce circuit du souvenir. 

Le Quesnoy (Nord) – Le jardin belge « À l’assaut des remparts » 

Le 4 novembre 1918, la ville de Le Quesnoy située à 15 minutes à pied de la Belgique, occupée par les Allemands depuis quatre ans, est libérée par un bataillon Néo-zélandais, lequel part à l’assaut des fortifications Vauban qui encerclent la ville, à l’aide d’une simple échelle. Baptisé symboliquement « À l’assaut des remparts », le jardin construit à leurs pieds évoque cette journée. Les paysagistes belges Mathieu Allain et Thomas Van Eeckhout ont imaginé la reproduction au sol d’une section de rempart de douze mètres de long. Entre les briques de terre cuites s'épanouissent des plantes vivaces et des arbustes. « Les promeneurs sont invités à s’allonger sur les briques pour avoir une autre vision des remparts, explique Nathalie Vallée. Le caractère défensif prend alors une toute autre symbolique : la résilience. » 

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Le jardin belge « À l’assaut des remparts », Le Quesnoy (Nord), octobre 2022. ©A.T.

Le Quesnoy (Nord) – Le jardin néo-zélandais « Rangimarie » 

À une centaine de mètres du jardin créé par les paysagistes belges, en dessous des remparts, se dévoile un jardin conçu par trois paysagistes néo-zélandaises. Son nom, « Rangimarie », n’est pas un hasard. Dans la culture maorie, il signifie un moment spirituel entre 3 et 4 heures du matin, où tout est en paix, où l’esprit est le plus ouvert et peut entrer en contact avec les proches disparu·es. Les trois paysagistes néo-zélandaises, Xanthe White, Zoe Carafice et Charmaine Bailie, ont choisi d'implanter des plantes de leur pays. Leurs tons rouges lors de la floraison font écho à celui du coquelicot, symbole de la Grande Guerre. « On a aussi planté des fraisiers qui font le bonheur des enfants… et des lapins », précise Nicolas, paysagiste au sein de l’association. Quelques mètres plus loin, une dizaine d’hommes a les mains dans la terre. Toutes les créations paysagères du circuit sont entretenues une fois par mois par des salarié·es de chantiers d’insertion ainsi que des travailleurs·euses en situation de handicap.

Flesquières (Nord) – Le jardin franco-britannique « Do not take peace for granted » (Ne tenez pas la paix pour acquise) 

« J’ai hâte, c’est la première fois que je vois mon jardin en automne », glisse Sébastien Perret à Causette en arrivant devant le petit musée Cambrai Tank 1917. Le paysagiste français a souhaité imaginer un jardin sur les lieux de la bataille de Cambrai. Le 20 novembre 1917, 476 chars britanniques partent à l’assaut des lignes allemandes. C’est un massacre de chaque côté. Le jardin invite les promeneur·euses à serpenter le long d’un chemin de pierres blanches dans un nuage vaporeux, une prairie de hautes herbes blanches.

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Le jardin franco-britannique « Do not take peace for granted » (Ne tenez pas la paix pour acquise), Flesquières (Nord), octobre 2022. ©A.T. 

De part et d’autre, des tubes d’acier rouillés et dorés émergent. Ils rappellent les canons des chars. « Pour moi, ça raconte une certaine idée de la paix. Ces canons sont dirigés vers le ciel, ils ne peuvent plus faire de mal à personne », explique Sébastien Perret. Le regard évolue à mesure que l’on avance jusqu’au point d’orgue du jardin : l’anamorphose qui dévoile un large cercle d’or, que l’on peut voir seulement à un emplacement précis. Un banc sera bientôt installé à cet endroit. 

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Le jardin franco-britannique « Do not take peace for granted » (Ne tenez pas la paix pour acquise), Flesquières (Nord), octobre 2022. ©A.T. 

Vouziers (Ardennes) – Le jardin tchèque et slovaque du silence 

On accède au jardin tchèque et slovaque en traversant l’immense cimetière militaire de Vouziers. Conçu par l'atelier d'archi tchèque SLLA, il abrite des centaines de tombes de soldats allemands et français, mais aussi 282 corps de soldats tchécoslovaques. Au bout du cimetière, derrière une haie, se dresse un bosquet d’une dizaine de bouleaux plantés en cercle. Au milieu, une petite aire avec cinq bancs. Il y a autant d’arbres qu’il y a de soldats tchécoslovaques tombés au combat dans la région. Les bouleaux ont été plantés en octobre 2021, mais beaucoup sont déjà morts, brûlés par la canicule de cet été. Il faudra bientôt replanter la moitié.

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Le jardin tchèque et slovaque du silence, Vouziers (Ardennes), octobre 2022. ©A.T.

Souain-Perthes-lès-Hurlus (Marne) – Le jardin américain – En cours de réalisation 

« Bon, il faut s’imaginer », nous prévient tout de suite David Simonson avec son accent américain. Le paysagiste californien a pensé son jardin juste à côté du gigantesque ossuaire de Navarin. Pour l’heure, le paysage est brut, seuls quelques blocs de granit rose sur lesquels trônent des monticules de terre figurent sur le terrain vague. D’ici quelques mois, ce jardin symbolisera les tranchées de la Première Guerre mondiale. « Je vais planter des fleurs, mais je veux surtout laisser la nature s’exprimer, les plantes se relieront d'elles-mêmes entre les blocs, explique David Simonons. En tant que paysagiste et en tant qu’américain, je suis fier de faire ce jardin pour mon pays. Mon arrière grand-père, que je n’ai pas connu, s'est battu en France, d’une certaine manière, j’ai l’impression de croiser sa mémoire ici. » 

Lire aussi I Les Françaises, colonne vertébrale de la France pendant la Première Guerre mondiale 1/2

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