A Woman Applying Sunscreen on Arm
© Mikhail Nilov

Protections solaires : chi­miques ou « natu­relles », ça passe pas crème

Accusées de pol­luer les océans, sus­pec­tées d’être toxiques pour les humains, les crèmes solaires ont mau­vaise presse. De plus en plus, les consommateur·rices se tournent vers le bio ou le « Do it your­self ». Vraie solu­tion… ou fausse bonne idée ?

Fini le temps où on se badi­geon­nait avec insou­ciance de crème solaire avant de plon­ger dans l’eau. Si les tubes, sticks et sprays pho­to­pro­tec­teurs se vendent chaque année par pel­le­tées – un mar­ché mon­dial esti­mé à 9,1 mil­liards d’euros en 2019 –, la méfiance va gran­dis­sante à leur égard. En cause ? Leur impact sur cer­tains éco­sys­tèmes marins, et en par­ti­cu­lier les coraux, qui blan­chissent au contact des filtres UV. Aujourd’hui lar­ge­ment média­ti­sé, ce phé­no­mène a notam­ment été mis en lumière, dès 2008, par une équipe de chercheur·euses italien·nes qui ont tra­vaillé sur les zones tro­pi­cales tou­ris­tiques. Des plages où tran­sitent chaque année, en moyenne, 78 mil­lions de vacancier·ères et, avec eux·elles, de 16 000 à 25 000 tonnes de crème solaire. Problème : « 25 % au moins de la crème appli­quée est reje­tée dans l’eau durant la bai­gnade, ce qui repré­sente un rejet poten­tiel de 4 000 à 6 000 tonnes par an dans les zones réci­fales », estime cette étude, qui a fait date. Et qui pré­vient : « Jusqu’à 10 % des récifs coral­liens du monde seraient mena­cés. »
Depuis, d’autres tra­vaux sont venus mon­trer la toxi­ci­té des pro­duits solaires sur les récifs coral­liens – qui abritent 25 % des espèces marines connues. Ce qui a récem­ment conduit plu­sieurs États et col­lec­ti­vi­tés à ser­rer la vis. C’est Hawaii qui a ouvert la danse, en 2018, avec une loi entrée en vigueur le 1er jan­vier der­nier, pro­hi­bant la vente de pro­duits solaires conte­nant de l’oxybenzone et de l’octinoxate (deux filtres UV cou­ram­ment uti­li­sés). Idem pour l’île Key West (en Floride), les îles Vierges des États-​Unis ou l’île Bonaire (aux Antilles néer­lan­daises). Quant aux auto­ri­tés des îles Palaos, dans le Pacifique, elles ont été plus loin en inter­di­sant non seule­ment depuis 2020 ces mêmes pro­duits, mais aus­si ceux conte­nant des para­bènes et de l’octocrylène (un autre filtre solaire). Des sub­stances désor­mais ban­nies de quelques plages para­di­siaques mais qui, pour­tant, res­tent bel et bien pré­sentes dans nos rayons. À com­men­cer par ce fameux octocrylène.

Dégradation

Parmi la petite tren­taine de filtres UV auto­ri­sés au sein de l’Union euro­péenne, on retrouve ce com­po­sé, fré­quem­ment pré­sent dans les pro­duits solaires et anti-​âge, mais dont les effets toxiques pour l’humain sont aujourd’hui poin­tés. En mars der­nier, une étude menée par le CNRS, Sorbonne Université et l’observatoire océa­no­lo­gique Arago de Banyuls-​sur-​Mer (Pyrénées-​Orientales) a ain­si mon­tré qu’en vieillis­sant cette molé­cule « se dégrade au sein même des fla­cons, en un com­po­sé connu, can­cé­ri­gène et per­tur­ba­teur endo­cri­nien : la ben­zo­phé­none ». Autrement dit, une fois leur date de péremp­tion pas­sée, les pro­duits cos­mé­tiques conte­nant de l’octocrylène (c’est-à-dire beau­coup) pour­raient s’avérer néfastes pour notre san­té. Pour le pro­fes­seur de micro­bio­lo­gie et d’écologie marine Philippe Lebaron, qui a par­ti­ci­pé à cette étude, il y a urgence à agir : « L’Union euro­péenne a deman­dé des études sup­plé­men­taires sur l’octocrylène. Aux États-​Unis, il y a des dis­cus­sions en cours au sein de la Food and Drug Administration. On com­mence à accu­mu­ler un cer­tain nombre de tra­vaux scien­ti­fiques qui montrent la toxi­ci­té de cette molé­cule, soit sur l’environnement, soit sur l’homme. Pour nous, très clai­re­ment, il faut l’interdire, tout comme la ben­zo­phé­none », plaide le cher­cheur, qui insiste éga­le­ment sur la néces­si­té de se pro­té­ger du soleil.

Haro sur le bio ?

En atten­dant, charge au consom­ma­teur de faire le tri. Tiraillé·es entre la néces­si­té de se pro­té­ger et la volon­té de ne pas (trop) pol­luer, perdu·es par une offre plé­tho­rique et des éti­quettes incom­pré­hen­sibles pour le com­mun des mortel·les – « Même nous, on s’y perd par­fois », recon­naît le pro­fes­seur Philippe Lebaron –, les estivant·es ne savent plus à quel fla­con se vouer. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les Français·ses disent aujourd’hui, à 92 % 1, vou­loir des crèmes plus res­pec­tueuses de l’environnement. Et les fabri­cants – petits ou gros – l’ont bien compris.

Ces der­nières années, on a vu se mul­ti­plier les pro­duits « éco­res­pon­sables » : une ten­dance plu­tôt fourre-​tout, où se côtoient une mul­ti­tude de labels et de démarches, par­fois très inégales. D’un côté, on trouve par exemple des gammes met­tant en avant leur dimen­sion ocean friend­ly avec des labels mai­son : Skin Protect/​Ocean Respect chez Avène, Ocean Protect chez Caudalie, 1 % Corail chez Alphanova… Ce qui, comme leur nom ne l’indique pas, signi­fie que ces marques mènent des actions, sou­vent en par­te­na­riat avec des ONG, pour pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té marine. Et non que leurs pro­duits n’ont aucun impact écologique.

En paral­lèle, on retrouve évi­dem­ment les pro­duits « bio », notam­ment ceux flo­qués des labels offi­ciels Cosmébio (au choix : Cosmétique bio, Cosmos Natural et Cosmos Organic) ou cer­ti­fiés Écocert. Leur point com­mun ? Ces crèmes bio ne peuvent conte­nir que des filtres UV dits « miné­raux », soit deux sub­stances auto­ri­sées à ce jour, l’oxyde de zinc et le dioxyde de titane. Des filtres qui ont la par­ti­cu­la­ri­té de réflé­chir les rayons UV – là où les filtres chi­miques les absorbent – mais qui sont, en réa­li­té, tout aus­si toxiques pour l’environnement. Contrairement à une idée reçue, ils sont d’ailleurs chi­miques, comme les filtres clas­siques, puisqu’ils sont obte­nus par syn­thèse. « À ce jour, aucune crème solaire ne peut garan­tir une pro­tec­tion sans le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc. Ce qui implique qu’aucune crème solaire ne peut répondre à la pro­messe d’être res­pec­tueuse de la bio­di­ver­si­té, des coraux ou de la vie en géné­ral. Bio ou pas bio ! Nanoparticule ou par­ti­cule conven­tion­nelle ! » recadre l’association Ambassade des océans.

Effet grillade

Alors, faut-​il se rabattre sur le « fait mai­son » ? La démarche est dans l’air du temps, et les recettes abondent sur le Web. Parfois pour le pire. En 2019, des cher­cheuses amé­ri­caines ont pas­sé au crible 189 recettes popu­laires sur Pinterest. Bilan : 68,3 % ne pro­té­geaient pas suf­fi­sam­ment des UV, cer­taines affi­chant un indice SPF de 2… là où une vraie pro­tec­tion néces­site, au mini­mum, un indice 30. « On est tou­jours affo­lées quand on entend des gens dire : “Je fais mon pro­duit mai­son, comme ça je sais ce que je mets sur la peau.” Eh bien non, jus­te­ment ! Dans sa cui­sine, on n’a pas tout ce qu’il faut pour contrô­ler les pro­duits, les doses d’emploi peuvent être dépas­sées et, sur­tout, on raconte au consom­ma­teur des bobards vrai­ment énormes. L’exemple type, c’est l’huile de pépins de fram­boise, par­fois pré­sen­tée comme per­met­tant d’obtenir un SPF de 28, ou l’huile de karan­ja, pré­sen­tée comme étant natu­rel­le­ment pho­to­pro­tec­trice : c’est tout sim­ple­ment faux ! » mar­tèle Céline Couteau, maî­tresse de confé­rences en phar­ma­cie indus­trielle et cos­mé­to­lo­gie à l’université de Nantes. Cofondatrice du site Regard sur les cos­mé­tiques, où elle teste, avec sa consœur Laurence Coiffard, les pro­duits en vente sur le mar­ché2, elle vient de publier une étude sur ces fameuses recettes mai­son. Où l’on découvre que cer­taines intègrent car­ré­ment des huiles essen­tielles… pho­to­sen­si­bi­li­santes ! « À l’arrivée, au lieu d’être pro­té­gé, on est sur le mode “grillade ­et bar­be­cue” », s’alarme-t-elle.

Car, s’il y a bien un dan­ger, tota­le­ment avé­ré celui-​là, c’est l’exposition au soleil. « De 50 % à 70 % des can­cers de la peau sont ain­si direc­te­ment liés à une sur­ex­po­si­tion aux rayons UVA/​UVB. Au total, ce sont 80 000 nou­veaux car­ci­nomes [une tumeur maligne, ndlr] et 11 200 nou­veaux cas de méla­nomes qui sont diag­nos­ti­qués chaque année en France. Et l’incidence des méla­nomes, forme de can­cer cuta­né la plus grave, double tous les dix ans chez les popu­la­tions à peau blanche », rap­pe­lait récem­ment la Ligue contre le can­cer. Très mau­vaise idée, donc, que de se pas­ser de pro­tec­tion solaire.

« Le can­cer de la peau est un vrai enjeu de san­té publique. On a besoin de crèmes solaires. Aujourd’hui, il n’existe pas un pro­duit qui soit bon pour l’homme en le pro­té­geant des UV et qui soit en même temps tota­le­ment non impac­tant sur ­l’environnement. Et je pense que ça n’existera jamais. Donc on doit être dans le com­pro­mis », résume le pro­fes­seur Philippe Lebaron, qui invite à faire preuve de « bon sens » dans nos pra­tiques. Ce qui implique notam­ment de réser­ver l’usage des crèmes solaires aux périodes d’exposition, d’attendre une tren­taine de minutes avant de se bai­gner, de se cou­vrir et, sur­tout, de ne pas res­ter en plein cagnard entre 11 heures et 16 heures. Car la meilleure façon de réduire sa consom­ma­tion de crème solaire, sans pour autant prendre de risques avec sa peau, c’est encore… de mar­cher à l’ombre.

  1. Sondage Yougov 2019.[]
  2. Regard-sur-les-cosmetiques.fr. Voir aus­si Tout savoir sur les pro­duits solaires, de Céline Couteau et Laurence Coiffard. Éd. 1HealthMédia.[]
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