La députée Renaissance Laetitia Saint-Paul a présenté, mercredi 3 avril, un plan d’action au ministre de la Défense pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles au sein des armées. Pour la militaire de profession, alors que l’affaire Manon Dubois a entraîné dans son sillage de nombreux témoignages sur l’impunité qui règne encore au sein de la Grande Muette, il y a urgence.
Voilà dix ans que Causette a révélé, à l’appui de La Guerre invisible, un article transformé en livre-enquête (Les Arènes, 2014), l’ampleur de l’impunité des auteur·rices de violences sexistes et sexuelles au sein de l’armée française. Dans la foulée de l’indignation suscitée, le ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian met sur pied la cellule Themis, chargée de les protéger et de les accompagner dans leurs démarches judiciaires, en plus d’une mission de conseil à la hiérarchie sur les signalements qui lui sont adressés et de prévention au sein des troupes.
Dix ans après, la “tolérance zéro” exigée par le ministère au sein de ses corps militaires et le système de sanctions pour les auteurs montrent leurs limites. Mi-février, Le Courrier de l’Ouest donnait la parole à Manon Dubois, qui racontait comment la hiérarchie avait protégé le marin qui l’a harcelée et agressée sexuellement plusieurs années durant, de ses 18 ans qui marquent le début dans la marine en tant que quartier-maître de première classe en poste dans les cuisines du Telenn-Mor à ses 20 ans, moment où la jeune fille préfère jeter l’éponge et renoncer à sa carrière militaire en raison du traumatisme subi. Bien que l’homme ait reconnu les faits devant ses supérieurs, la sanction est maigre : dix jours d’arrêt. En outre, la hiérarchie militaire va émettre un avis pour que le tribunal correctionnel soit évité à l’agresseur.
Depuis la grande médiatisation de ce cas d’école de “mauvaise gestion” – voire d’étouffement – d’une affaire de violence sexuelle opérée par la Grande Muette, la députée Laetitia Saint-Paul, élue Renaissance du Maine-et-Loire et militaire de métier, souhaite que l’histoire de Manon Dubois provoque un électrochoc au sein des armées. En prenant la parole dans les médias pour dénoncer une impunité encore systémique dans le milieu, elle s’est mise à recevoir plusieurs dizaines de témoignages et appels à l’aide – de victimes ou de proches – dans sa boîte mail, devenue “le #MeToo des armées”. Mercredi 3 avril, la députée a présenté un plan d’action au ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, avec l’ambition de bousculer le statu quo. Entretien.
Causette : Vous évoquez un problème systémique au sein des armées, qu’il s’agisse des violences sexistes et sexuelles ou de leur traitement par la hiérarchie. Doit-on comprendre que la création, il y a dix ans, de la cellule Themis n’a pas produit l’électrochoc suffisant ?
Laetitia Saint-Paul : C’est peu de le dire. J’ai l’impression de remettre le couvert et d’être renvoyée à il y a plus de dix ans, moment où j’avais dû, en tant que capitaine-commandant d’unité, accompagner une victime d’agression sexuelle et où j’avais réalisé que l’auteur n’en était pas à son coup d’essai mais qu’on avait fermé les yeux. Cette cellule a le mérite d’exister et fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui donne. Parfois, elle est tournée en ridicule, comme le montrent les témoignages hallucinants que je reçois : “Ah, la cellule Themis, c’est juste pour consoler les grosses qu’on veut virer !” peuvent entendre les victimes.
Ce que j’identifie, c’est que, depuis dix ans, que ce soit Jean-Yves Le Drian, Florence Parly ou Sébastien Lecornu, la volonté politique est totale, mais n’a pas du tout infusé. Il s’agit du fameux “dernier kilomètre en politique”, qui ne concerne évidemment pas que ce sujet-là. À ce titre, je suis satisfaite de la circulaire envoyée par Sébastien Lecornu à l’ensemble du commandement militaire cette semaine, rappelant la responsabilité de la hiérarchie dans la prise en charge des signalements, l’accompagnement et la protection des victimes. L’enjeu des travaux que je mène conjointement avec mes collègues députés et le ministère des Armées, c’est que la fin de l’impunité infuse enfin.
Vous venez de remettre un plan d’action au ministère. Que contient-il ?
L.S.-P. : Ces travaux ont pour objectif de secouer un peu la situation et de remettre de l’ordre dans tout ça. Il y a trois volets dans ce plan d’action. Tout d’abord, revoir le régime des sanctions, pour les durcir. Ensuite, se séparer des personnels sur lesquels on arrive à se faire une conviction de culpabilité. Enfin, et cela va commencer bientôt et prendra plusieurs mois, réaliser un audit de la cellule Themis, pour voir ce qui marche, où sont les failles et comment améliorer les choses.
J’ai échangé avec des avocats, pour comprendre quel type de sanctions permettait de se séparer de l’agresseur. Car à l’heure actuelle, nous avons un problème dans la proportionnalité des sanctions, qui n’empêche pas la poursuite de la carrière. On pourrait donc réfléchir à une peine complémentaire d’interdiction d’exercer ou de privation des droits civils ou de famille, qui, elles, peut entraîner une perte de grade ou, de facto, une radiation d’office pour les cas les plus graves. Car le problème, c’est qu’avec la fin des tribunaux militaires en 1982, quand un militaire est renvoyé au pénal, le ministère rend un avis en amont du jugement. Lequel s’appuie sur ce fameux avis ? Ce que j’ai découvert, c’est que l’avis du ministère s’appuie lui-même sur les sanctions de la hiérarchie militaire. Or, on le voit avec le cas de l’agresseur de Manon Dubois : dix jours d’arrêt, c’est complètement ridicule et cela peut entraîner un non-lieu en bout de chaîne, le juge s’appuyant sur des avis vraiment très minorés.
Que répondez-vous à ces familles et à ces victimes qui vous contactent ?
L.S.-P. : Avec mes collaboratrices, nous les orientons vers la boîte mail lancée par Aurore Bergé [ministre à l’Égalité, ndlr] : [email protected], car le cabinet ministériel peut assurer un plus grand suivi que moi. Mais lorsqu’il s’agit d’urgences et que je reçois, par exemple, “ne m’abandonnez pas”, je fais en sorte de protéger les victimes qui ne sont pas en sécurité. Pour celles qui ont besoin d’aide juridique, je les oriente vers la cellule Themis car, ça a été rappelé par le ministre Lecornu : les armées mettent en place des moyens financiers pour accompagner les victimes.