Laetitia Saint Paul © Wikimedia
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#MeToo des armées : pour la dépu­tée Laetitia Saint-​Paul, “ce n’est pas sys­té­ma­tique mais bien systémique”

La dépu­tée Renaissance Laetitia Saint-​Paul a pré­sen­té, mer­cre­di 3 avril, un plan d’action au ministre de la Défense pour lut­ter contre les vio­lences sexistes et sexuelles au sein des armées. Pour la mili­taire de pro­fes­sion, alors que l’affaire Manon Dubois a entraî­né dans son sillage de nom­breux témoi­gnages sur l’impunité qui règne encore au sein de la Grande Muette, il y a urgence.

Voilà dix ans que Causette a révé­lé, à l’appui de La Guerre invi­sible, un article trans­for­mé en livre-​enquête (Les Arènes, 2014), l’ampleur de l’impunité des auteur·rices de vio­lences sexistes et sexuelles au sein de l’armée fran­çaise. Dans la fou­lée de l’indignation sus­ci­tée, le ministre de la Défense d’alors, Jean-​Yves Le Drian met sur pied la cel­lule Themis, char­gée de les pro­té­ger et de les accom­pa­gner dans leurs démarches judi­ciaires, en plus d’une mis­sion de conseil à la hié­rar­chie sur les signa­le­ments qui lui sont adres­sés et de pré­ven­tion au sein des troupes.

Dix ans après, la “tolé­rance zéro” exi­gée par le minis­tère au sein de ses corps mili­taires et le sys­tème de sanc­tions pour les auteurs montrent leurs limites. Mi-​février, Le Courrier de l’Ouest don­nait la parole à Manon Dubois, qui racon­tait com­ment la hié­rar­chie avait pro­té­gé le marin qui l’a har­ce­lée et agres­sée sexuel­le­ment plu­sieurs années durant, de ses 18 ans qui marquent le début dans la marine en tant que quartier-​maître de pre­mière classe en poste dans les cui­sines du Telenn-​Mor à ses 20 ans, moment où la jeune fille pré­fère jeter l’éponge et renon­cer à sa car­rière mili­taire en rai­son du trau­ma­tisme subi. Bien que l’homme ait recon­nu les faits devant ses supé­rieurs, la sanc­tion est maigre : dix jours d’arrêt. En outre, la hié­rar­chie mili­taire va émettre un avis pour que le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel soit évi­té à l’agresseur.

Depuis la grande média­ti­sa­tion de ce cas d’école de “mau­vaise ges­tion” – voire d’étouffement – d’une affaire de vio­lence sexuelle opé­rée par la Grande Muette, la dépu­tée Laetitia Saint-​Paul, élue Renaissance du Maine-​et-​Loire et mili­taire de métier, sou­haite que l’histoire de Manon Dubois pro­voque un élec­tro­choc au sein des armées. En pre­nant la parole dans les médias pour dénon­cer une impu­ni­té encore sys­té­mique dans le milieu, elle s’est mise à rece­voir plu­sieurs dizaines de témoi­gnages et appels à l’aide – de vic­times ou de proches – dans sa boîte mail, deve­nue “le #MeToo des armées”. Mercredi 3 avril, la dépu­tée a pré­sen­té un plan d’action au ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, avec l’ambition de bous­cu­ler le sta­tu quo. Entretien.

Causette : Vous évo­quez un pro­blème sys­té­mique au sein des armées, qu’il s’agisse des vio­lences sexistes et sexuelles ou de leur trai­te­ment par la hié­rar­chie. Doit-​on com­prendre que la créa­tion, il y a dix ans, de la cel­lule Themis n’a pas pro­duit l’électrochoc suf­fi­sant ?
Laetitia Saint-​Paul :
C’est peu de le dire. J’ai l’impression de remettre le cou­vert et d’être ren­voyée à il y a plus de dix ans, moment où j’avais dû, en tant que capitaine-​commandant d’unité, accom­pa­gner une vic­time d’agression sexuelle et où j’avais réa­li­sé que l’auteur n’en était pas à son coup d’essai mais qu’on avait fer­mé les yeux. Cette cel­lule a le mérite d’exister et fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui donne. Parfois, elle est tour­née en ridi­cule, comme le montrent les témoi­gnages hal­lu­ci­nants que je reçois : “Ah, la cel­lule Themis, c’est juste pour conso­ler les grosses qu’on veut virer !” peuvent entendre les vic­times.
Ce que j’identifie, c’est que, depuis dix ans, que ce soit Jean-​Yves Le Drian, Florence Parly ou Sébastien Lecornu, la volon­té poli­tique est totale, mais n’a pas du tout infu­sé. Il s’agit du fameux “der­nier kilo­mètre en poli­tique”, qui ne concerne évi­dem­ment pas que ce sujet-​là. À ce titre, je suis satis­faite de la cir­cu­laire envoyée par Sébastien Lecornu à l’ensemble du com­man­de­ment mili­taire cette semaine, rap­pe­lant la res­pon­sa­bi­li­té de la hié­rar­chie dans la prise en charge des signa­le­ments, l’accompagnement et la pro­tec­tion des vic­times. L’enjeu des tra­vaux que je mène conjoin­te­ment avec mes col­lègues dépu­tés et le minis­tère des Armées, c’est que la fin de l’impunité infuse enfin.

Vous venez de remettre un plan d’action au minis­tère. Que contient-​il ?
L.S.-P. :
Ces tra­vaux ont pour objec­tif de secouer un peu la situa­tion et de remettre de l’ordre dans tout ça. Il y a trois volets dans ce plan d’action. Tout d’abord, revoir le régime des sanc­tions, pour les dur­cir. Ensuite, se sépa­rer des per­son­nels sur les­quels on arrive à se faire une convic­tion de culpa­bi­li­té. Enfin, et cela va com­men­cer bien­tôt et pren­dra plu­sieurs mois, réa­li­ser un audit de la cel­lule Themis, pour voir ce qui marche, où sont les failles et com­ment amé­lio­rer les choses.
J’ai échan­gé avec des avo­cats, pour com­prendre quel type de sanc­tions per­met­tait de se sépa­rer de l’agresseur. Car à l’heure actuelle, nous avons un pro­blème dans la pro­por­tion­na­li­té des sanc­tions, qui n’empêche pas la pour­suite de la car­rière. On pour­rait donc réflé­chir à une peine com­plé­men­taire d’interdiction d’exercer ou de pri­va­tion des droits civils ou de famille, qui, elles, peut entraî­ner une perte de grade ou, de fac­to, une radia­tion d’office pour les cas les plus graves. Car le pro­blème, c’est qu’avec la fin des tri­bu­naux mili­taires en 1982, quand un mili­taire est ren­voyé au pénal, le minis­tère rend un avis en amont du juge­ment. Lequel s’appuie sur ce fameux avis ? Ce que j’ai décou­vert, c’est que l’avis du minis­tère s’appuie lui-​même sur les sanc­tions de la hié­rar­chie mili­taire. Or, on le voit avec le cas de l’agresseur de Manon Dubois : dix jours d’arrêt, c’est com­plè­te­ment ridi­cule et cela peut entraî­ner un non-​lieu en bout de chaîne, le juge s’appuyant sur des avis vrai­ment très minorés.

Que répondez-​vous à ces familles et à ces vic­times qui vous contactent ?
L.S.-P. :
Avec mes col­la­bo­ra­trices, nous les orien­tons vers la boîte mail lan­cée par Aurore Bergé [ministre à l’Égalité, ndlr] : [email protected], car le cabi­net minis­té­riel peut assu­rer un plus grand sui­vi que moi. Mais lorsqu’il s’agit d’urgences et que je reçois, par exemple, “ne m’abandonnez pas”, je fais en sorte de pro­té­ger les vic­times qui ne sont pas en sécu­ri­té. Pour celles qui ont besoin d’aide juri­dique, je les oriente vers la cel­lule Themis car, ça a été rap­pe­lé par le ministre Lecornu : les armées mettent en place des moyens finan­ciers pour accom­pa­gner les victimes. 

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