Mamans solos : la détresse face aux institutions

Avec son livre Maman solo, les oubliées de la République, qui sort ce mer­cre­di 2 sep­tembre aux édi­tions Pygmalion, la jour­na­liste Nathalie Bourrus livre un témoi­gnage poi­gnant sur son quo­ti­dien de mère iso­lée. Et dénonce l’indifférence des ins­ti­tu­tions à l’égard des femmes, qui, comme elle, ont très sou­vent vu leur ex-​conjoint se sous­traire à l’éducation des enfants.

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Nathalie Bourrus. © Félicien Delorme

« Cette vie de maman solo, mère céli­ba­taire est une vie… en apnée… oui, sans oxy­gène, écrit Nathalie Bourrus dès l’introduction de son ouvrage. C’est bien plus aride. Elle t’assèche, c’est plus dur que quand j’étais sous les bombes. » Après avoir cou­vert les conflits les plus meur­triers de la pla­nète, c’est avec la nais­sance de son fils, Tom, il y a dix ans, que Nathalie Bourrus ex-​reporter de guerre et désor­mais chro­ni­queuse pour France Info1, découvre un autre champ de bataille, celui de mère iso­lée devant éle­ver seule son enfant.

« Mon pro­pos est cho­quant parce que le sujet est cho­quant, déclare à Causette Nathalie Bourrus. Je suis par­tie de mon his­toire per­son­nelle pour racon­ter le quo­ti­dien des femmes qui ont la garde exclu­sive de leur enfant après une sépa­ra­tion et dont l’ex-conjoint s’est sous­trait à ses obli­ga­tions paren­tales. » Aux yeux de l’Insee, ces situa­tions sont dési­gnées sous le terme de famille mono­pa­ren­tale, qui repré­sentent en 2016 23 % des familles fran­çaises. « On ne sait rien de nous alors que nous ne sommes pas une curio­si­té sta­tis­tique, dénonce Nathalie Bourrus. Nous sommes un fléau. » L’Institut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques indique en effet qu’en 2016 les mères iso­lées consti­tuent 84 % de ces familles.

Errance admi­nis­tra­tive

C’est pour cette rai­son qu’à tra­vers Maman solo, les oubliées de la République, à la fois témoi­gnage et enquête, Nathalie Bourrus a vou­lu mettre en lumière ces mères seules invi­si­bi­li­sées par la socié­té. En par­tant de son expé­rience per­son­nelle, mar­quée par une ver­ti­gi­neuse errance admi­nis­tra­tive pour faire valoir les devoirs paren­taux de son ex-​conjoint, la jour­na­liste défriche le quo­ti­dien de celles qui, comme elle, « se sont retrou­vées prises au dépour­vu, du jour au len­de­main, seules à éle­ver leurs enfants avec un père défaillant ». 

Pour Nathalie Bourrus, être une maman solo, c’est se battre pour gar­der la tête hors de l’eau dans un quo­ti­dien qui vous met constam­ment à l’épreuve. « Ça ne s’arrête jamais, souffle la chro­ni­queuse. Concilier tra­vail et édu­ca­tion, pal­lier l’absence du deuxième parent et n’avoir que des jour­nées de vingt-​quatre heures, ce n’est pas humain. On n’a pas le droit d’être malade ou d’avoir un coup de blues. » C’est éga­le­ment vivre une rela­tion fusion­nelle avec son ou ses enfants. « C’est le drame des mères solos, assure l’autrice. Même sans le vou­loir, nos enfants deviennent plus qu’une par­tie de nous, ils deviennent sacrés. » Sacrés au point de se deman­der par­fois si « ça ne sent pas un peu le vieux couple tout ça », s’inquiète Nathalie, qui craint par moment de « se voir mou­rir dans une mai­son avec son fils qui serait tou­jours céli­ba­taire, sans enfant. » 

« J’ai sou­dain eu limpres­sion davoir accou­ché accrou­pie dans un cani­veau, sous la pluie, accro­chée à une pou­belle de tri sélec­tif » 

Si ces pers­pec­tives res­tent loin­taines, la honte sociale entraî­née par la sépa­ra­tion est, elle, une claque immé­diate. Une car­rière flo­ris­sante, un bon salaire, un appar­te­ment ache­té dans le très chic IXe arron­dis­se­ment de Paris, une vie pai­sible avec le père de son fils, et pour­tant, un jour, tout s’écroule. « Je ne pen­sais pas que ça pou­vait m’arriver à moi, observe l’autrice. Même si mon enfant avait déjà 3 ans, j’ai sou­dain eu l’impression d’avoir accou­ché accrou­pie dans un cani­veau, sous la pluie, accro­chée à une pou­belle de tri sélec­tif. » Le regard des autres accen­tue la détresse : l’autrice res­sent un déni, de l’ignorance et même du soup­çon de la part de son entou­rage. « Quand on se retrouve maman solo, on entend tou­jours “t’as bien dû le cher­cher”, c’est extrê­me­ment culpa­bi­li­sant. » 

Charge men­tale puis­sance trois

Mais le pire, c’est le « pla­fond de mère » (variante du « pla­fond de verre », où se heurtent les femmes dans l’avancée de leurs car­rières), auquel se cognent les mères céli­ba­taires. « Le pla­fond de mère, ce sont ces femmes sur­char­gées par une charge men­tale puis­sance trois, en train de se noyer à force de se heur­ter au dédain des ins­ti­tu­tions », dénonce Nathalie Bourrus. C’est l’école qui n’appelle et donc n’implique jamais le père de l’enfant ou encore les pro­fes­sion­nels de san­té qui res­tent sourds aux souf­frances psy­cho­lo­giques de son enfant et d’elle-même. C’est sur­tout un lourd déclas­se­ment éco­no­mique et social, puisque du jour au len­de­main, l’enfant est à la charge exclu­sive de la mère, dont les reve­nus sont géné­ra­le­ment plus bas que ceux de l’ex-conjoint. 

Si d’année en année, le nombre de mères solos ne cesse d’augmenter, leur niveau de vie, lui, ne cesse de bais­ser. Selon une étude de l’Insee parue en sep­tembre 2018, 34,8 % des familles mono­pa­ren­tales vivent sous le seuil de pau­vre­té, soit 1 220 euros par mois avec un enfant.

L’argent, le nerf de la guerre pour les mamans solos

Face à la pres­sion du quo­ti­dien, beau­coup de mères céli­ba­taires sont même dans l’obligation d’arrêter de tra­vailler pour s’occuper de leurs enfants. Nathalie Bourrus, elle, n’a pas per­du son emploi de chro­ni­queuse chez France Info. Pourtant, à la suite de sa sépa­ra­tion avec le père de son fils, il y a sept ans, elle a dû revoir son train de vie à la baisse. Déracinée de son confor­table IXe arron­dis­se­ment pari­sien, elle s’installe au rez-​de-​chaussée d’une HLM du XIIIe arron­dis­se­ment de la capi­tale. « Imaginez ce que ça peut être pour une cais­sière ou une femme de ménage », souligne-​t-​elle.

« 100 euros de pen­sion, ça ne paie même pas la cantine ! »

Nathalie Bourrus en veut aus­si aux pères qui ont la capa­ci­té de s’occuper finan­ciè­re­ment de leurs enfants mais ne le font pas. Selon les der­niers chiffres de l’Aripa, l’agence de recou­vre­ment des pen­sions ali­men­taires, 30 à 40 % des pen­sions ali­men­taires sont tota­le­ment ou par­tiel­le­ment impayées. Ce qui par­ti­cipe à la pré­ca­ri­sa­tion des mamans solos. « À l’heure actuelle, il n’existe tou­jours pas de texte clair, dénonce-​t-​elle. On ne sait pas vers qui se tour­ner. » Le mon­tant des pen­sions varie d’une famille à une autre, et du juge qui traite la demande. « Mais 100 euros de pen­sion, ça ne paie même pas la cantine ! »

Des pro­cé­dures longues et coûteuses

Et lorsque le père refuse de payer, « on doit por­ter plainte pour “aban­don de famille”, indique Nathalie Bourrus. C’est très fort comme for­mu­la­tion même si c’est évi­dem­ment ce qui se passe. Un père qui ne veut pas payer la pen­sion insulte son enfant. » Il aura fal­lu deux ans pour que Nathalie ait le cou­rage de mener cette bataille judi­ciaire. Mais là encore, elle regrette amè­re­ment « qu’aucune pièce jus­ti­fi­ca­tive n’ait été deman­dée, qu’aucune enquête n’ait été réa­li­sée pour véri­fier si le père gagne effec­ti­ve­ment ce qu’il déclare. » À coup de pro­cé­dures longues et coû­teuses, une grande majo­ri­té de ces mères aban­donnent fina­le­ment l’idée de récla­mer ce qui leur est dû. 

Comme un pavé jeté dans la grande mare des injus­tices, avec Maman solo, Nathalie Bourrus a la volon­té de faire bou­ger les lignes. Elle sou­haite que le ministre de la Justice, Éric Dupond-​Moretti, s’empare de ce sujet. « En 2019, le gou­ver­ne­ment nous a ven­du un pro­jet de recou­vre­ment des pen­sions ali­men­taires pour pal­lier les impayés [la réforme pré­vue au départ pour juin 2020 est repor­tée au plus tard au 1er jan­vier 2021, suite à la crise sani­taire, ndlr], mais il ne faut pas seule­ment réduire les impayés, il faut les punir avec dom­mages et inté­rêts, sou­ligne Nathalie Bourrus. Éric Dupond-​Moretti doit lan­cer une large mis­sion d’investigation au sujet de ces pères qui se dérogent au juge­ment. On ne peut pas lais­ser cou­ler ces mil­liers de femmes. » 

1. Chronique Le Portrait du jour, du lun­di au ven­dre­di, à 16 h 26, 19 h 53, 22 h 53, sur France Info.

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Maman solo,
les oubliées de la République,
de Nathalie Bourrus.
Éd. Pygmalion,
296 pages, 19,90
 euros. 

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