Avant d’être une reine auréolée de six étoiles au Michelin, Eugénie Brazier (1895−1977) fut une gamine en sabots, une jeune fille chassée de chez elle, une travailleuse qui ne comptait pas ses heures, mais surveillait son porte-monnaie. Devenue la Mère Brazier, elle reste, dans l’esprit des gourmands, le symbole de la gastronomie française.

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Il faut la voir, la tête au-dessus de la marmite, les joues fortement rougies par la chaleur, humides de vapeur, le chignon serré sans une mèche qui dépasse et la blouse blanche sous le tablier immaculé couvrant sa silhouette bien en chair. La patronne n’est pas du genre calme, installée dans sa cuisine du matin au soir. Première levée, dernière couchée, se souvient Paul Bocuse, qui fut son commis au col de la Luère, en 1946. Eugénie crie fort, tout le temps, à la fois crainte et appréciée. On ne moufte pas chez la mère Brazier, mais on reconnaît qu’elle est juste, généreuse et qu’elle sait rire parfois de ses propres excès.
Du plus loin qu’elle se souvienne, Eugénie a toujours travaillé. À 5 ans, elle garde les cochons dans la ferme familiale du côté de Bourg-en-Bresse, sur la route de Pont‑d’Ain. À 10 ans, la voilà placée, dès[…]