Le gouvernement a annoncé, mardi 8 novembre, l’ouverture d’une « mission d’inspection » sur les pratiques illicites en matière d’adoption internationale en France. Une « grande avancée » pour Céline Breysse, adoptée du Sri Lanka qui a mis en lumière un trafic d’enfants au Sri Lanka dans les années 80.
Falsification de documents, parents biologiques faussement déclaré·es morts, dossiers perdus, trafic d’enfants… Voilà des années que des révélations sur l’adoption internationale montrent l'existence de pratiques scandaleuses et parfois illégales. Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé, mardi 8 novembre, dans un communiqué, l’ouverture d’une « mission d’inspection » sur les pratiques illicites en matière d’adoption internationale en France. L’objectif de cette enquête est « d’identifier les pratiques illicites qui ont eu lieu par le passé pour éviter qu’elles ne se reproduisent » et « d’apporter une réponse aux demandes des adoptés », précise le communiqué.
La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti et la secrétaire d’État chargée de l’enfance, Charlotte Caubel ont saisi l’inspection générale des affaires étrangères (IGAE), l’inspection générale de la Justice (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). « C’est une grande avancée pour les adoptions illégales internationales en France », a réagi Céline Breysse1 auprès de Causette. Cette jeune femme de 39 ans originaire du Sri Lanka, a été adoptée à l’âge de deux mois. Adulte, elle part à la recherche de ses origines. C’est alors qu’elle découvre, en 2017, avoir fait partie d’un vaste trafic d’enfants, qui a sévi au Sri Lanka dans les années 1980. Céline Breysse rencontre sa mère biologique pour la première fois en mai 2018.
À l’image de Céline Breysse, l’adoption est bien souvent une histoire personnelle imbriquée dans une histoire collective. C’est donc pour aider d’autres adopté·es du Sri Lanka à retrouver leur famille biologique qu’elle a monté le collectif international des Adoptés du Sri Lanka en 2018. Il compte aujourd’hui 592 membres d’une douzaine de nationalités différentes. Avec le collectif Akka et celui des parents adoptifs du Sri Lanka, mais aussi de nombreux autres associations et collectifs internationaux de personnes adoptées comme de parents adoptif·tives (Inde, Mali, Chili, Éthiopie, Haïti, Corée, Guatemala…), elle demande, depuis des années, l’ouverture d’une enquête gouvernementale sur la question des adoptions internationales en France. « Cette enquête, c’est l’aboutissement de nos engagements et du cumul d’actions collectives, tient à rappeler Céline Breysse. Ça montre qu’ensemble, ça fonctionne, on est plus fort. »
Déclin de l’adoption internationale
L'ouverture de la mission d'inspection de la France intervient dans un contexte international où surgit une véritable prise de conscience des problèmes posés par les adoptions à l'international. En septembre dernier, l'ONU affirmait que les adoptions illégales pourraient relever, dans certains cas, de crimes contre l'humanité. L'adoption internationale s'est développée de manière importante dans les années 1950, puis, surtout, dans les années 80 et 90. Depuis la fin des années 2000, le phénomène est en chute libre en France, le nombre d'adoptions passant de 4 136 en 2005 à 421 en 2019.
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Une baisse qui résulte principalement du changement des politiques des pays d’origine des enfants. De nombreux pays ont, en effet, vu leur niveau de vie s’accroître. Dorénavant, leurs orphelin·es sont davantage adopté·es par des nationaux·ales que des étranger·ères. La généralisation de la contraception, avec parfois la légalisation des interruptions volontaires de grossesse, a également participé à cette tendance, limitant de fait le nombre de naissances non désirées.
Il faut aussi rappeler la mise en œuvre de la convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale qui encadre l’adoption internationale depuis 1993. En France, la création de l’Agence française de l’adoption (AFA) en 2005 a aussi permis d’améliorer la prévention des fraudes à l’international, souligne le communiqué du gouvernement.
Les adopté·es réclament des moyens pour la recherche des origines
À cela, s'ajoute la réforme de l'adoption votée en février dernier : il est désormais obligatoire d'être accompagné dans ses démarches d'adoption internationale par un organisme autorisé pour l'adoption ou par l'Agence française de l'adoption. Lors des débats parlementaires autour de cette loi, le gouvernement s’était d’ailleurs engagé à répondre aux demandes d’enquête formulées par de nombreux collectifs depuis des années. C'est désormais chose faite avec cette « mission d’inspection » dont les résultats sont attendus dans six mois.
« C’est encourageant, on a l’impression d’être enfin écouté », affirme Céline Breysse tout en précisant à Causette, être vigilante sur l’effet d’annonce. « Je garde les yeux ouverts et j’attends de voir ce qui sera concrètement proposé », assure-t-elle. Parmi les demandes formulées par les collectifs, celle d’investir dans la recherche et dans l’accès aux origines des personnes adoptées tient la première place pour Céline Breysse. « On a besoin de moyens logistiques, humains et financiers pour améliorer les recherches », explique la quarantenaire alertant sur la nécessité de légaliser les tests ADN et de les rendre gratuits. Avec cette enquête, c'est l'espoir aussi de la reconnaissance de l’État français du statut de victimes pour toutes les personnes adoptées – ainsi que pour leurs familles biologiques et adoptives – dont les adoptions ont été irrégulières.
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- Sur son histoire d'adoptée, Céline Breysse a écrit un livre autobiographique, Good morning, Nilanthi, publié en mars 2022 aux éditions Reflets.[↩]