Palais de justice de Paris Salle temporaire « Grands procès »
Au Palais de justice de Paris, devant la salle temporaire installée pour le procès

Procès V13, et main­te­nant ? l Les par­ties civiles, entre sou­la­ge­ment et colère remon­tée à la surface

Procès V13, et maintenant ? 1/3

Le 29 juin s’est achevée une audience historique de dix mois, réponse judiciaire d’une ampleur inédite à un crime d’une ampleur inédite. Pour les acteur·rices du procès du 13 novembre, qu’on a appelé V13, la machine judiciaire a été longue et intense. Beaucoup d’entre elles·eux ont traversé, presque chaque jour, les couloirs du Palais de justice pour tenter d’enfin comprendre ce qu’il s’est joué il y a sept ans. Comment ce procès hors-norme a-t-il alors impacté leur vie ? Et que restera-t-il de V13 ? Des parties civiles, des avocates, une journaliste et une dessinatrice apportent à Causette leurs ressentis.

Le soir du verdict, le 29 juin, près de 250 parties civiles et leurs avocats, mais aussi des avocat·es de la défense et même, des condamnés ressortis libres, se sont retrouvé·es aux Deux-Palais, une brasserie près du Palais de justice, devenue en quelques mois le QG des acteurs·rices du procès des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Une rencontre hors du temps dans un huis-clos infernal auquel ont pris part pendant dix mois 2 400 parties civiles, 330 avocat·es et 141 médias accrédités. 

« Et voilà, V13 c’est définitivement fini. » Pour David Fritz Goeppinger, partie civile du procès, l’annonce, lancée par le procureur général de Paris ce mardi 12 juillet, a sonné comme l’éclatement d’une bulle judiciaire : « Aucun des vingt accusés n’a interjeté appel ». Ni Salah Abdelslam, condamné le 29 juin à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, ni aucun autre ne fera appel de la décision de la cour d’assises de Paris, spécialement composée en septembre 2021 pour examiner, décortiquer et analyser, pendant dix mois, une nuit d’horreur : celle du 13 novembre 2015. Cette nuit-là, les attaques coordonnées sur le Stade de France, des terrasses du 10e et 11e arrondissements de Paris et le Bataclan, font 130 mort·es, dont 90 dans la salle de concert, et plus de 400 blessé·es. Depuis, deux rescapé·es ont mis fin à leurs jours. 

Bulle judiciaire 

« V13 », David Fritz Goeppinger l’a vécu de l'intérieur mais l’a aussi fait vivre par procuration. Depuis l'ouverture de l’audience, ce 8 septembre 2021, ce photographe franco-chilien de 29 ans, ex-otage des terroristes du Bataclan, a tenu un journal de bord pour le site de France Info. En mots et en images, David a consigné, dans chaque billet, son impression personnelle de ces cent quarante-neuf jours d'audience. Un fil rouge qui lui a permis de « prendre le taureau par les cornes » . « J’ai refusé d’être seulement une victime, affirme-t-il à Causette. Avec ce journal, j’ai pu faire quelque chose de V13, je suis moi aussi devenu un acteur de l'événement. »

Bien sûr, les audiences n’ont pas toujours été faciles à raconter et plusieurs fois, il a même été tenté d’abandonner ce journal. Mais maintenant que le verdict est passé, que justice a été rendue, David Fritz Goeppinger retient surtout l’impression d’être « sorti de l'obscurité totale avec l'irrépressible besoin de retrouver la lumière ». « Je ne cherche pas à redevenir le David que j’étais avant le 13 novembre 2015, c’est impossible, lance-t-il. Je ressens un vide mais aussi un grand soulagement. Là, je vais enfin pouvoir me réinscrire dans la vie. » 

« Je souhaite un jour conjuguer l’expression “victime de terrorisme” au passé. » 

Arthur Dénouveaux

Pour entrevoir le vide laissé par la fin de V13, il faut mesurer la place prise par les cent quarante-neuf jours jours d’audience dans les vies des parties civiles qui ont choisi de la suivre. Arthur Dénouveaux a par exemple tenu sur ses épaules le poids des centaines d’adhérent·es de l’association de victimes Life for Paris dont il est le président depuis six ans. Ce rescapé du Bataclan a dû faire face à leur craintes, à leurs appréhensions et à leurs attentes. En plus des siennes. Une charge mentale parfois lourde à porter. D’autant que ce directeur de compagnie d’assurance n’a pas cessé son activité. « Ça fait six ans que je me bats tous les jours pour garder une vie la plus normale possible », soutient-il tout en reconnaissant être épuisé physiquement. « C’était à flux tendu », assure-t-il. Celui qui nous confie avoir parfois reçu jusqu'à vingt-cinq demandes d’interview par jour aspire désormais à la tranquillité et à l’anonymat.

De ce procès, Arthur Dénouveaux dit aussi ressentir « un grand soulagement » bien que « le vide ne soit pas si facile à vivre ». « Je m’y étais préparé, confie-il. Je savais qu’il allait falloir conclure. » Pas évident de passer à autre chose quand, comme David, on est quasiment devenu l’une des sentinelles de ce procès. Un visage familier pour toutes les personnes présentes. « Avec ce procès, j’ai retrouvé l’esprit de communauté qu’il y avait aux débuts de l’association, décrit Arthur Dénouveaux. L’objectif maintenant, c’est de travailler à maintenir ce collectif et d’accompagner nos adhérents dans l’après. Je souhaite un jour conjuguer l’expression “victime de terrorisme” au passé. » L'association Life for Paris a annoncé, le jour du verdict, avoir d'ailleurs entamé sa dissolution qui sera symboliquement effective pour les dix ans des attentats, soit en 2025.

"Solder le deuil collectif" 

Stéphane Sarrade, dont le fils Hugo a été tué au Bataclan, est aussi de ceux·celles qui désirent ne plus être une victime à perpétuité. « Mon identité n’est pas d’être le père d’Hugo, mort au bataclan, assure-t-il d'une voix douce. Il n’est pas sain de passer le reste de sa vie avec cette identité. » Comme une majorité des parties civiles, Stéphane Sarrade redoutait l’arrivée de ce procès autant qu’il l’attendait depuis six ans. « Avant le procès, j’avais beaucoup d’appréhension à l’idée de me replonger une dernière fois au cœur de cette tragédie, raconte-t-il. Écouter la bande son du Bataclan, voir les dessins de reconstitution où il y a le corps de mon fils, s’est finalement révélé nécessaire. Ça fait six ans qu’on s’imagine les derniers instants d’Hugo, ça a permis d’apporter des réponses. »

Lire aussi l Camille Emmanuelle, porte-voix des victimes par ricochet du terrorisme

Pour lui, ce procès était une étape importante dans son deuil. « J’ai toujours une peine immense et incompressible et c’est un peu tôt pour parler de soulagement mais j’ai la sensation d’avoir posé une grosse valise, explique t-il. Cette tragédie nous a amenés à aborder un double deuil, un deuil personnel et un deuil collectif qui a touché toute une société. Ce procès était une façon de solder ce deuil collectif. »

« Je vis dans l'irréel depuis sept ans, j’espère que petit à petit ce procès m’apportera une réalité mais je sais que je ne pourrais plus jamais reprendre ma vie d’avant. Je vis avec une épée dans le cœur. »

Nelly, mère de Gilles, assassiné au Bataclan

Si la plongée dans l'horreur du 13 novembre 2015 a fatigué les corps et abîmé les esprits, soulagement, la résilience, l'humanité et la fraternité sont aussi largement revenus dans les témoignages des parties civiles. Rares sont celles et ceux qui ont évoqué à la barre la colère qui les consument depuis le 8 septembre et qui s'expriment aujourd'hui.

Nelly Leclerc a perdu son fils Gilles au Bataclan. « Ma vie a explosé le 13 novembre 2015, j’ai la même douleur depuis sept ans mais ma colère est revenue dix fois plus forte avec ce procès et surtout avec ce verdict », confie-t-elle. À distance, son quotidien aussi s’est adapté au rythme du procès. Chaque midi ou presque, Nelly s’est connectée sur le site de la webradio qui lui permet de suivre les débats. Puis, à la lecture des 120 pages du verdict, elle s’est effondrée. « Ça me fout en l’air de voir que certains ont pris quatre ans, ce sont des monstres qui auraient tous mérité de prendre perpétuité. »

"Vivre dans l'irréel"

Inconsolable, sa voix se brise à plusieurs reprises au fil de l’interview. La vie n’a pas épargné Nelly Leclerc depuis le 13 novembre 2015. Rapidement, elle a vendu son commerce de fleurs où elle travaillait avec son fils. « C’était trop dur d’y aller et de pleurer devant les clients. » Puis, en décembre 2021, le mari de Nelly est décédé d’un cancer. C’est donc seule à la barre qu’en janvier, elle a lu sa déposition et celle de son époux. « Je vis dans l'irréel depuis sept ans, j’espère que petit à petit ce procès m’apportera une réalité mais je sais que je ne pourrais plus jamais reprendre ma vie d’avant. Je vis avec une épée dans le cœur. »

Dans la colossale salle d’audience, à l’allure de paquebot, se tenaient chaque jour aux côtés des victimes et des accusés, les centaines d’avocat·es des parties civiles et de la défense. Accoudé·es au même comptoir des Deux-Palais le soir du verdict, eux·elles aussi ont vu leur quotidien bousculé par la tempête du V13 comme iels nous le raconteront dans le chapitre 2 à paraître demain.

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