Pour étendre les horaires du numéro d’écoute dédié aux femmes victimes de violences, le gouvernement souhaite lancer un marché public. Une décision qui alarme la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), en charge de la ligne depuis sa création.
Cette fois-ci, la menace est à leur porte. Depuis plusieurs mois, la Fédération nationale solidarités femmes (FNSF) s’inquiète de la volonté du ministère en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes d’avoir recours à un marché public pour la gestion du 3919, le numéro d’écoute destiné aux femmes qui subissent des violences. A quelques jours de la publication du cahier des charges de ce marché public, prévue avant la fin de l’année, la fédération pousse un nouveau coup de gueule.
Un accueil 24 heures sur 24
Lundi 16 novembre, une tribune signée par une vingtaine de magistrates, anciennes élues ou militantes de terrain a été publiée dans le Monde afin d’alerter l’opinion publique sur le danger encouru par les professionnelles de ce numéro gratuit et anonyme, qui recueillent chaque mois la parole de milliers de femmes. “L’objectif de la tribune et de la pétition, explique Dominique Guillien-Isenmann, la présidente de la FNSF, c’est de remettre un coup de pression sur le gouvernement et pourquoi pas de le faire renoncer à ce projet.” La volonté de recourir à la mise en concurrence date de novembre 2019, lors de l’annonce des mesures du Grenelle contre les violences conjugales. “Nous avons souhaité, en lien avec les associations de terrain, étendre les horaires de la ligne 24 heures sur 24 et la rendre accessible aux personnes sourdes et aphasiques”, détaille le ministère d’Elisabeth Moreno. Pour le moment, la ligne est ouverte de 9 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 18 heures le week-end. Pendant le confinement, les horaires ont été quelque peu modifiés, passant de 9 heures à 21 heures tous les jours. Cette mission d’accueil 24/24, la FNSF estime pouvoir la mener – d’autant qu’elle assure réclamer une augmentation de ses plages horaires depuis des années – à condition que le gouvernement lui octroie des subventions supplémentaires en signant un nouveau contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.
"Le gouvernement utilise la notoriété du 3919 et tente de se l’approprier "
Jusqu’à présent, les choses se sont toujours déroulées ainsi. “Il faudrait que nous passions de 2,3 millions à 4 millions d’euros”, précise Dominique Guillien-Isenmann. Mais, pour le gouvernement, ce n’est plus possible. “En élargissant les horaires et l’accessibilité, on modifie l’activité et cela entraîne juridiquement la nécessité de recourir à un marché public. Sinon, d’autres associations pourraient nous attaquer”, justifie le ministère. Un argument répété en boucle depuis des mois, que la FNSF ne comprend pas et juge “sans fondement juridique”. “Franchement quelle association irait contester la procédure ?, commente Dominique Guillien-Isenmann. Le gouvernement assure aussi que s’il augmente notre subvention, il bouscule l’équilibre entre l’argent public (dont nous dépendons à 80%) et l’argent privé. Et il nous soutient qu’avec 100% de subventions publiques, il doit passer un marché public. Or, rien ne dit qu’on serait mécaniquement à 100% de fonds publics s’il augmentait notre subvention.” Tout en saluant le travail effectué par les équipes du 3919, le gouvernement ne cache pas sa volonté de faire de ce numéro un “service public”. Or, pour le moment, le 3919 reste la propriété de la FNSF. Bien sûr, la mission relève de l’intérêt public et, comme écrit plus haut, les financements sont majoritairement issus de l’Etat, mais la FNSF est indépendante. Le numéro a été déposé à l’institut national de la propriété intellectuelle (INPI) en 2007. “Il nous appartient à nous, pas à l’Etat”, défend Dominique Guillien-Isenmann. “On peut craindre que le gouvernement utilise la notoriété du 3919 et tente de se l’approprier comme gage de la réussite du quinquennat”, confie une actrice de terrain sous couvert d’anonymat, qui tente de comprendre les raisons de cette impasse. Parmi les spécialistes de la lutte contre les violences faites aux femmes, personne ne comprend ce gâchis annoncé.
"On bouscule un système qui fonctionne"
Du côté du ministère, on se défend de toute récupération et on assure que la FNSF pourra “tout à fait candidater à ce futur marché”. “Ah mais évidemment qu’on va candidater si on ne parvient pas à faire annuler la procédure, s’agace Dominique Guillien-Isenmann. Nous ne lâcherons rien et nous postulerons pour bien prouver notre savoir-faire. Mais, même si on est choisies, c’est inquiétant pour la suite car ça bouscule un système qui fonctionne bien.” Le respect du travail accompli, voilà l’enjeu central de leur combat. Les membres de la FNSF s'alarment des conséquences de cette mise en concurrence imminente. “Notre boulot ce n’est pas d’enchaîner les appels en disant “Bonjour Madame, c’est quoi le problème ? Pour un viol, tapez 1, pour des violences au sein de votre couple, tapez 2”, on fait un travail de fond, avec une écoute bienveillante et professionnelle, en orientant chaque appel vers l’une des 73 associations locales de notre réseau. Si, demain, la ligne tombe dans l’escarcelle d’une association généraliste ou pire d’un opérateur de plateforme d’appels qui ne connaît rien aux problématiques des violences, tout ce maillage territorial qui existe depuis trente ans risque d’être perdu. Et on peut craindre que la qualité de l’accueil téléphonique en pâtisse." L’argument ne semble pas émouvoir du côté du ministère. “Depuis la publication de la tribune, on a eu zéro réponse”, souligne Dominique Guillien-Isenmann. A croire que le sort du 3919 n’intéresse guère… Un comble en cette nouvelle période de confinement où les femmes victimes de violences en ont grandement besoin.