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Le 3919, numéro d'aide aux femmes victimes de violences pourrait changer de gestionnaire avec l'ouverture d'un marché public fin 2020.

Violences faites aux femmes : le 3919 en danger ?

Pour étendre les horaires du numé­ro d’écoute dédié aux femmes vic­times de vio­lences, le gou­ver­ne­ment sou­haite lan­cer un mar­ché public. Une déci­sion qui alarme la Fédération natio­nale soli­da­ri­té femmes (FNSF), en charge de la ligne depuis sa création. 

Cette fois-​ci, la menace est à leur porte. Depuis plu­sieurs mois, la Fédération natio­nale soli­da­ri­tés femmes (FNSF) s’inquiète de la volon­té du minis­tère en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes d’avoir recours à un mar­ché public pour la ges­tion du 3919, le numé­ro d’écoute des­ti­né aux femmes qui subissent des vio­lences. A quelques jours de la publi­ca­tion du cahier des charges de ce mar­ché public, pré­vue avant la fin de l’année, la fédé­ra­tion pousse un nou­veau coup de gueule. 

Un accueil 24 heures sur 24 

Lundi 16 novembre, une tri­bune signée par une ving­taine de magis­trates, anciennes élues ou mili­tantes de ter­rain a été publiée dans le Monde afin d’alerter l’opinion publique sur le dan­ger encou­ru par les pro­fes­sion­nelles de ce numé­ro gra­tuit et ano­nyme, qui recueillent chaque mois la parole de mil­liers de femmes. “L’objectif de la tri­bune et de la péti­tion, explique Dominique Guillien-​Isenmann, la pré­si­dente de la FNSF, c’est de remettre un coup de pres­sion sur le gou­ver­ne­ment et pour­quoi pas de le faire renon­cer à ce pro­jet.” La volon­té de recou­rir à la mise en concur­rence date de novembre 2019, lors de l’annonce des mesures du Grenelle contre les vio­lences conju­gales. “Nous avons sou­hai­té, en lien avec les asso­cia­tions de ter­rain, étendre les horaires de la ligne 24 heures sur 24 et la rendre acces­sible aux per­sonnes sourdes et apha­siques”, détaille le minis­tère d’Elisabeth Moreno. Pour le moment, la ligne est ouverte de 9 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 18 heures le week-​end. Pendant le confi­ne­ment, les horaires ont été quelque peu modi­fiés, pas­sant de 9 heures à 21 heures tous les jours. Cette mis­sion d’accueil 24/​24, la FNSF estime pou­voir la mener – d’autant qu’elle assure récla­mer une aug­men­ta­tion de ses plages horaires depuis des années – à condi­tion que le gou­ver­ne­ment lui octroie des sub­ven­tions sup­plé­men­taires en signant un nou­veau contrat plu­ri­an­nuel d'objectifs et de moyens. 

"Le gou­ver­ne­ment uti­lise la noto­rié­té du 3919 et tente de se l’approprier "

Jusqu’à pré­sent, les choses se sont tou­jours dérou­lées ain­si. “Il fau­drait que nous pas­sions de 2,3 mil­lions à 4 mil­lions d’euros”, pré­cise Dominique Guillien-​Isenmann. Mais, pour le gou­ver­ne­ment, ce n’est plus pos­sible. “En élar­gis­sant les horaires et l’accessibilité, on modi­fie l’activité et cela entraîne juri­di­que­ment la néces­si­té de recou­rir à un mar­ché public. Sinon, d’autres asso­cia­tions pour­raient nous atta­quer”, jus­ti­fie le minis­tère.  Un argu­ment répé­té en boucle depuis des mois, que la FNSF ne com­prend pas et juge “sans fon­de­ment juri­dique”. “Franchement quelle asso­cia­tion irait contes­ter la pro­cé­dure ?, com­mente Dominique Guillien-​Isenmann. Le gou­ver­ne­ment assure aus­si que s’il aug­mente notre sub­ven­tion, il bous­cule l’équilibre entre l’argent public (dont nous dépen­dons à 80%) et l’argent pri­vé. Et il nous sou­tient qu’avec 100% de sub­ven­tions publiques, il doit pas­ser un mar­ché public. Or, rien ne dit qu’on serait méca­ni­que­ment à 100% de fonds publics s’il aug­men­tait notre sub­ven­tion.” Tout en saluant le tra­vail effec­tué par les équipes du 3919, le gou­ver­ne­ment ne cache pas sa volon­té de faire de ce numé­ro un “ser­vice public”. Or, pour le moment, le 3919 reste la pro­prié­té de la FNSF. Bien sûr, la mis­sion relève de l’intérêt public et, comme écrit plus haut, les finan­ce­ments sont majo­ri­tai­re­ment issus de l’Etat, mais la FNSF est indé­pen­dante. Le numé­ro a été dépo­sé à l’institut natio­nal de la pro­prié­té intel­lec­tuelle (INPI) en 2007. “Il nous appar­tient à nous, pas à l’Etat”, défend Dominique Guillien-​Isenmann. “On peut craindre que le gou­ver­ne­ment uti­lise la noto­rié­té du 3919 et tente de se l’approprier comme gage de la réus­site du quin­quen­nat”, confie une actrice de ter­rain sous cou­vert d’anonymat, qui tente de com­prendre les rai­sons de cette impasse. Parmi les spé­cia­listes de la lutte contre les vio­lences faites aux femmes, per­sonne ne com­prend ce gâchis annoncé. 

"On bous­cule un sys­tème qui fonctionne"

Du côté du minis­tère, on se défend de toute récu­pé­ra­tion et on assure que la FNSF pour­ra “tout à fait can­di­da­ter à ce futur mar­ché”. “Ah mais évi­dem­ment qu’on va can­di­da­ter si on ne par­vient pas à faire annu­ler la pro­cé­dure, s’agace Dominique Guillien-​Isenmann. Nous ne lâche­rons rien et nous pos­tu­le­rons pour bien prou­ver notre savoir-​faire. Mais, même si on est choi­sies, c’est inquié­tant pour la suite car ça bous­cule un sys­tème qui fonc­tionne bien. Le res­pect du tra­vail accom­pli, voi­là l’enjeu cen­tral de leur com­bat. Les membres de la FNSF s'alarment des consé­quences de cette mise en concur­rence immi­nente. “Notre bou­lot ce n’est pas d’enchaîner les appels en disant “Bonjour Madame, c’est quoi le pro­blème ? Pour un viol, tapez 1, pour des vio­lences au sein de votre couple, tapez 2”, on fait un tra­vail de fond, avec une écoute bien­veillante et pro­fes­sion­nelle, en orien­tant chaque appel vers l’une des 73 asso­cia­tions locales de notre réseau. Si, demain, la ligne tombe dans l’escarcelle d’une asso­cia­tion géné­ra­liste ou pire d’un opé­ra­teur de pla­te­forme d’appels qui ne connaît rien aux pro­blé­ma­tiques des vio­lences, tout ce maillage ter­ri­to­rial qui existe depuis trente ans risque d’être per­du. Et on peut craindre que la qua­li­té de l’accueil télé­pho­nique en pâtisse." L’argument ne semble pas émou­voir du côté du minis­tère. “Depuis la publi­ca­tion de la tri­bune, on a eu zéro réponse”, sou­ligne Dominique Guillien-​Isenmann. A croire que le sort du 3919 n’intéresse guère… Un comble en cette nou­velle période de confi­ne­ment où les femmes vic­times de vio­lences en ont gran­de­ment besoin. 

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