Depuis deux mois, des centaines de milliers d’Algérien·nes sont sorti·es manifester dans les rues pour dire non à un cinquième mandat du président Bouteflika, 82 ans, fortement diminué depuis un accident vasculaire cérébral survenu en 2013. Et ils ont fait reculer le régime. Le 26 mars, le chef d’État major de l’armée a demandé que le président Bouteflika soit déclaré inapte. Ce mouvement populaire (qu’on appelle ici « Hirak ») n’a cessé de prendre de l’ampleur. Et les Algériennes sont en première ligne de ce combat pour une Algérie moderne et démocratique. Elles marchent dans la rue aux côtés des hommes en réalisant déjà un exploit de taille : la réappropriation de l’espace public. Nous sommes allés à la rencontre de cinq féministes algériennes pour comprendre leurs révoltes, leurs rêves et leurs aspirations !
Milord Barzotti, 26 ans
Milord Barzotti (c’est son pseudo) est une légende dans les milieux féministes algériens. Personne ne sait qui se cache vraiment derrière les posts assassins de ce caméléon du numérique qui accumule les comptes Facebook, trolle les pages islamistes et multiplie les projets visant à « émanciper les femmes algériennes ».
« J’ai grandi dans une famille nombreuse de classe moyenne, très conservatrice comme la plupart des familles algériennes. Chaque vendredi, mes sœurs et moi devions rapporter de grosses quantités d’eau du puits voisin et laver nos vêtements à la main, car nous n’avions pas les moyens d’avoir une machine à laver. Les garçons ne faisaient rien à part manger, ils étaient “hommes”, donc au-dessus de ces basses besognes. C’est cette éducation d’antan qui crée le machisme d’aujourd’hui. »
Milord a étudié l’économie à l’université avant de poursuivre une brillante carrière dans le secteur privé. Son activité de militante lui vaut de nombreuses menaces de mort de la part d’islamistes sur les réseaux sociaux. « Ici, que vous soyez une femme de 13, 25 ou 60 ans, votre famille essaiera toujours de vous contrôler. Vous aurez toujours un horaire bien précis pour rentrer à la maison, porterez toujours la tenue que votre père/frère/fils/voisin trouvera convenable et si, par chance, ils vous laissent travailler, il faudra que ce soit un travail “bien comme il faut” avec le moins de contact possible avec la gent masculine.
Certaines, évidemment, tentent de se rebeller, d’échapper à cette pression constante, mais vivre seule en Algérie quand on est une femme célibataire est une notion presque inexistante. Les propriétaires refusent de louer un appart à une fille seule, même bardée de diplômes. »
Milord commence sa carrière de militante féministe en 2014 avec une page Facebook « Enough DZ » : « La grande majorité des contenus existant à l’époque étaient en français et s’adressaient à des femmes issues d’un milieu plus ou moins bourgeois, celles qui – paradoxalement – subissent peu le poids du patriarcat ambiant. J’ai donc décidé de créer Enough, avec un seul credo : no filter ! »
En 2018, elle lance une campagne choc contre le harcèlement sexuel avec plusieurs de ses amies militantes, mais les réactions des haters ne tardent pas : insultes, menaces, chantages, signalements en masse, la page qui comptait plus de 10 000 followers est fermée par Facebook.
« Le fait de souffrir pour obtenir nos droits à chaque étape de nos vies peut être très fatigant à la longue. C’est ce qui pousse certaines[…]