À l’occasion de la Coupe du monde 2019, Huma, collectif de photographes, rédacteurs et rédactrices, est parti à la rencontre de joueuses du monde entier. Pour montrer à quel point le foot, même dans les pays les plus difficiles, peut devenir un incroyable vecteur d’empowerment, d’égalité, de dépassement de soi et de libération. En Allemagne, une arbitre et une ancienne joueuse ont crevé le plafond de verre. Au Bénin, le projet Impact’elle permet aux adolescentes de la région de l’Atacora d’échapper au mariage et aux grossesses précoces. En Égypte, l’ancienne joueuse de l’équipe nationale, Rama Gewelli, donne tout pour faire vivre la One Football Academy. En France, les Dégommeuses jouent pour faire tomber les préjugés sexistes et homophobes. Au total, le collectif a couvert douze pays qui composent le projet What The Foot !?. Causette, elle, vous embarque en Côte d’Ivoire, en Argentine, en Belgique et en Cisjordanie à la rencontre de joueuses extraordinaires.
Côte d'Ivoire
Au complexe Olympafrica de Soubré, ville du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, les filles s’entraînent sur un terrain de sable. « Quand elles ne vont plus à l’école, elles sont obligées de se marier, de rester dans la rue, d’aller travailler », soupire Roger Seri, président fondateur du club féminin local qu’il a lancé en 2013, pour éviter ça. « Kone, quand je l’ai rencontrée dans la rue, elle avait 11 ans, elle fumait des cigarettes. Et après… ? Ça allait être quoi ? Aujourd’hui, elle est la capitaine de mon équipe et je pense qu’elle a un avenir. » S’il existe bien une équipe nationale féminine, Les Éléphantes, le foot reste un sport masculin par excellence dans le pays. « Je savais que ça les intéressait, elles jouaient déjà dans les quartiers à cinq ou six. »
Aujourd’hui, Roger Seri essaie de recruter de nouvelles pousses, il organise des tournois, approche les écoles. Orellienne (ci-contre, en chaussettes jaunes), 17 ans, ne vit que pour le football. « Je m’entraîne dur, je veux en faire mon métier. » Elle a décidé de tenter sa chance à Abidjan, dans un club de deuxième division. Un choix difficile. La jeune fille habite chez « une connaissance » et ne mange pas tous les jours à sa faim. Sa mère n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins…
Argentine
La Villa 31. Bidonville de Buenos Aires. Ici, on apprend très tôt aux gens que certains rêves ne sont pas faits pour eux. En particulier lorsqu’on est une femme. Depuis douze ans, l’association La Nuestra (« la nôtre ») tente d’enrayer ce déterminisme. Elle invite les filles du quartier à se rassembler autour d’ateliers et d’entraînements de « football féministe », selon l’expression de Maria José Figueroa, coach et éducatrice populaire. Au départ, le projet ne s’adressait qu’aux ados. Elles jouaient alors sur un terrain de terre, non clôturé, entre les voitures, les vélos et des animaux errants. Pas facile de trouver leur place au milieu des garçons. Mais, petit à petit, elles ont su s’imposer. Inspirées par leurs aînées, les plus jeunes ont, très vite, voulu jouer elles aussi. L’association a donc créé des activités pour trois groupes d’âge différents, à partir de 6 ans ! Les jeunes footballeuses ont surnommé leur groupe La Manada – « la meute » –, mot qui décrit bien, selon elles, l’atmosphère qui y règne. Le mot d’ordre : ne jamais laisser personne sur le bord du chemin, prendre soin les unes des autres et se serrer les coudes.
Belgique
Au sein du FC Gullegem, en Flandre occidentale, évolue une équipe de treize joueuses âgées de 15 à 42 ans, avec des déficiences mentales, visuelles ou motrices, légères ou modérées. Rassemblées par Recreas, une fédération multisports qui revendique le « sport pour tous », elles font partie de la seule équipe entièrement féminine de la Ligue G Voetbal, réservée aux personnes en situation de handicap mental. Les joueuses affrontent donc des hommes ou des équipes mixtes. Elles s’entraînent le mercredi durant une heure et demie. Et se sont déjà rendues en Pologne, en Chine, en France, en Espagne, en Grèce pour des tournois. Elles ont remporté la médaille d’or des Jeux européens d’été en Hongrie en 2007, lors des Special Olympics, réservés aux personnes handicapées mentales.
Cisjordanie
La pratique du football par les filles en Cisjordanie, comme dans la bande de Gaza, a longtemps été inconcevable. Mais les choses évoluent. Des tournois interscolaires sont régulièrement organisés. Comme c’est le cas sur ces photos réalisées en novembre2018. Ce jour-là, dans un hall sportif de Ramallah, une dizaine d’équipes de filles se sont affrontées. Claudie Salameh, coach de la Friends School et ancienne joueuse star de l’équipe nationale, explique : « Dans un pays où la vie quotidienne est marquée par les checkpoints et les entraves à la liberté de mouvement, le football est une échappatoire. » Et d’ajouter : « C’est aussi un moyen de tout lâcher » etde « faire exploser la colère ». Pour ces ados, qui, pour la plupart, n’ont jamais foulé un autre sol que celui de cette étroite bande de terre, le football permet de voyager, de « donner une image différente de la Palestine à l’étranger », disent Leila et Madjoleen (ci-contre, en noir, à droite), de l’équipe Al Bira de Ramallah. « Le football donne un sentiment de liberté, permet de prendre le contrôle de sa vie, de ses décisions, de ses mouvements. On est au pouvoir. On a des droits. On se sent normale », ajoute Raja Hamdan (ci-dessous, au centre), coach de Rabeha Thyab, une autre équipe qui participe au tournoi.