6 août 1942, Janusz Korczak est dépor­té avec "ses" orphelins

Il consacra sa vie entière aux orphelins juifs jusqu’à ce jour d’août 1942 où il accompagna deux cents enfants vers les camps de la mort. L’œuvre de ce médecin juif polonais, éducateur et écrivain inspira la Convention internationale des droits de l’enfant dont on a célébré, le 20 novembre, le trentième anniversaire.

D7FJKC A
© Alamy stock photo

Au petit matin du 6 août 1942, le docteur Janusz Korczak marche lentement, tenant par la main deux jeunes enfants. Derrière lui, les autres petits, bien en rang, lui emboîtent le pas, dans le silence et leurs plus beaux habits, encerclés par les soldats SS qui les emmènent vers les camps de la mort. La scène se passe dans le ghetto de Varsovie (Pologne). Deux ans auparavant, l’armée allemande y a transféré l’orphelinat créé trente ans plus tôt dans cette même ville par cet incroyable éducateur et figure de la pédagogie de l’enfance que fut Janusz Korczak. Tous ces bambins réveillés à l’aube sont orphelins, mineurs et juifs. 

À la tête de ce funeste cortège, leur éducateur arbore son uniforme d’officier polonais et refuse de porter l’étoile jaune. Il a refusé le chantage de ses bourreaux : la vie sauve à la condition d’abandonner ses pupilles. Impensable pour cet homme dont l’orphelinat était la raison de vivre. Janusz Korczak aurait pu s’évader des dizaines de fois durant ces longs mois de captivité, mais il a préféré, tous les deux jours, passer de l’autre côté du mur du ghetto d’où il rapporte un bout de pain et de l’eau à « ses » petits. Jusqu’à ce funeste matin d’août 1942, qui sera leur dernier jour à tous. Le médecin (accompagné d’une dizaine de soignants dont Stefania Wilczynska) embarque alors avec les orphelins dans le train de la mort qui va les conduire aux chambres à gaz du camp ­d’exter­mination nazi de Treblinka. 

« Avant d’entrer en guerre, une nation devrait prendre le temps de penser aux enfants innocents qui vont être blessés, tués ou se retrouver orphelins. »

Janusz Korczak

Né à Varsovie en 1878 dans la Pologne occupée par la Russie, au sein d’une famille de l’intelligentsia juive aisée et laïque, Henryk Goldszmit (de son vrai nom) suit une scolarité à l’école russe « stricte, assommante et sévère », comme il l’écrit dans son autobiographie Journal du ghetto, à une époque où les professeurs avaient le droit de fouetter les élèves. Il a 12 ans quand son père, avocat, est interné dans un asile d’aliénés où il se suicide. À peine majeur, Henryk commence à écrire des romans, mais surtout à travailler comme précepteur pour faire vivre sa mère et sa sœur. Il choisit la médecine comme son grand-père, estimant que « l’écriture ce sont des mots, la médecine des actes ». Finalement, il fera les deux. 

Toujours du côté des parias

En 1905, il est mobilisé comme médecin militaire dans l’armée russe, en guerre avec le Japon. « La guerre est une abomination. Avant d’entrer en guerre, une nation devrait prendre le temps de penser aux enfants innocents qui vont être blessés, tués ou se retrouver orphelins. Il faut penser aux enfants avant de faire la révolution », peut-on lire dans son livre traduit en français et publié en 1918 sous le titre Comment aimer un enfant. À son retour, il soigne gratuitement les familles pauvres dans les hôpitaux de Varsovie et réclame de gros honoraires à ses clients fortunés. Il y a chez Korczak un côté Robin des Bois, toujours du côté des parias. 

En 1912, à 34 ans, le pédiatre quitte son cabinet pour ouvrir Dom Sierot (La Maison des orphelins), à Varsovie, pour les enfants juifs. À l’époque, il est inconcevable d’élever ensemble les petits juifs et des Polonais d’éducation catholique. Là-bas, où il vit sept jours sur sept, faisant le choix de ne pas fonder de famille, il crée une émission de radio pour les enfants : Les Causeries du vieux docteur, qui vont le rendre célèbre. Mais, surtout, il invente un orphelinat d’avant-garde, fonctionnant sur le modèle d’une véritable république autogérée par les enfants, avec sa constitution, son journal et son tribunal. Korczak lui-même doit rendre des comptes et peut lui aussi être jugé par les gamins pour abus d’autorité ! À l’issue des procès, les sanctions consistent à présenter ses excuses et à demander pardon. Jamais il n’y a de punition. Le pédagogue porte un regard novateur sur les marmots, considérant que « l’enfant ne devient pas un homme, il en est déjà un »

Le contrat social

Cet homme visionnaire, reconnu comme l’un des précurseurs de l’autogestion pédagogique de l’École nouvelle parle, déjà à l’époque, d’auto­éducation des enfants. Chacun a une mission à tour de rôle, l’un réveille la chambrée le matin quand l’autre débarrasse la table. Et Korczak n’est pas le dernier à faire la vaisselle pour montrer l’exemple ! Le culte du travail ne passe pas par la compétition, mais par la coopération entre tous. Il est convaincu avant tout le monde qu’enfants et adultes sont égaux et doivent établir, un peu à la manière de Jean-Jacques Rousseau, un contrat social reposant sur le droit au bonheur et au respect des mineurs.

En 1924, quand la Société des nations adopte la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant, Korczak est furieux contre ce texte qu’il ne juge pas assez contraignant. Lui revendique des sanctions envers ces adultes qui violent les droits des enfants.

Mais il y a trente ans, justice lui est rendue quand les Nations unies adoptent la Convention internationale des droits de l’enfant, inspirée, elle, du manifeste de Korczak, Le Droit de l’enfant au respect, rédigé en 1928. Une victoire posthume pour ce « vieux docteur » qui, ayant connu l’occupation de son pays et deux guerres, était convaincu que seule une éducation juste et bienveillante pouvait éviter les répétitions tragiques de l’Histoire. Une belle utopie… Dans le monde d’aujourd’hui, un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes.
-

22 juillet 1878

Naissance à Varsovie

22 juillet 1878
1912

Inauguration de la Maison des orphelins à Varsovie

1912
6 août 1942

Déportation avec 200 orphelins juifs vers le camp de Treblinka

6 août 1942
20 novembre 1989

Adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant par les Nations unies

20 novembre 1989

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.