Régimes, compléments alimentaires, mais aussi cosmétiques et méthodes farfelues… la « détox » est partout. Très séduisant, le concept ne repose pourtant sur aucun rationnel scientifique. Petite détox intellectuelle.
À chaque fois que vous ne pouvez plus fermer votre jean et que vous voyez votre teint d’endive dans le miroir, vous en arrivez à la même désolante conclusion : vous ne menez pas une vie très saine. Voire, vous abusez. Et si une petite « cure détox » purificatrice était votre planche de salut ? Veinarde que vous êtes, les propositions de régimes détox sont légion, et les rayons des pharmacies et des magasins débordent de produits estampillés « détox » : des jus verdâtres, des gélules de plantes, des liquides brunâtres à mélanger à votre litre d’eau quotidien, des thés… il y en a pour tous les goûts. Et si vous voulez vous détoxifier le vagin, les pores de la peau, le côlon ou les oreilles, vous trouverez aussi votre bonheur. Il y en a pour tous les trous. Mais avant de faire une consommation inconsidérée d’eau citronnée ou de vous retrouver à pousser la porte d’une clinique de lavement du côlon, lisez la suite.
Déjà, qu’est-ce que la détox ? Posez la question à des scientifiques, vous obtiendrez nombre de soupirs perplexes. En médecine, la désintoxication existe : elle entre dans le champ de la toxicomanie ou de l’empoisonnement. Mais dans le monde du bien-être, la détoxification désigne bien autre chose. « Il s’agirait de débarrasser le corps d’une personne saine des sous-produits de son propre métabolisme, des toxines environnementales et surtout des toxines générées par ses propres excès », explique Ernst Edzard, professeur émérite de médecine complémentaire à l’université d’Exeter (Angleterre) et auteur d’une étude sur la « détox alternative », publiée en 2012 dans la revue scientifique British Medical Bulletin.
Un concept des plus obscurs
Une réponse qui amène une autre question, guère plus facile : mais qu’est-ce donc qu’une toxine ? A priori, donc, des substances nocives que l’on ingérerait ou que l’on inhalerait. Or, le plus grand flou entoure leur nature exacte. « C’est fait exprès, lâche Ernst Edzard, tout en flegme britannique. Si ces “poisons” étaient nommés, ils pourraient être dosés avant et après la cure et il serait possible de vérifier si ça marche. » En 2009, Sense about Science, un organisme indépendant britannique qui remet en question les fausses représentations scientifiques dans la vie publique, a contacté les fabricants de quinze produits qui prétendaient détoxifier – des compléments alimentaires, en passant par les smoothies et les shampooings. Aucun fabricant n’a pu définir ce qu’il entendait par le principe de détox et encore moins nommer les toxines. Mais reconnaissons-leur un certain génie. « Renvoyer à la notion de toxine est très malin, note Florian Gouthière, journaliste scientifique spécialisé dans les fausses informations en santé et auteur de Santé, science, doit-on tout gober ? Car le mot a un sens bien précis en médecine. Il désigne des substances toxiques produites par des micro-organismes, ce qui confère à la détox un vernis de sérieux et de respectabilité. Alors que c’est un concept vide de sens, une allégation à caractère médical pernicieuse qui ne renvoie à aucun processus biologique réel. »
Tout le concept de détox repose sur une vision erronée du fonctionnement de notre corps : les toxines l’encrasseraient, comme un moteur. « Elles stagneraient dans nos organes et empêcheraient leur bon fonctionnement. Mais ça ne marche pas comme cela », assure Florian Gouthière. Et cette première idée reçue va de pair avec une autre, très satisfaisante : il serait possible de déloger ces saletés que notre pauvre corps, dépassé par les événements, ne parviendrait pas à traiter lui-même. Sauf preuve scientifique du contraire (et si on laisse de côté les cas graves d’intoxication), cette idée relève du fantasme.
Superstation d’épuration
Mais consolons-nous : le corps n’a pas besoin, quand il n’est atteint d’aucune pathologie et fonctionne normalement, qu’on l’aide à faire son travail de nettoyage interne. Merci pour lui, il fait ça très bien tout seul. « Le foie, les pores de la peau, les reins, les poumons, les intestins… tous travaillent à traiter et excréter les déchets », explique Ernst Edzard. Le foie, grand manitou de l’épuration, est souvent invité à être détoxifié et « drainé ». « Le corps fabrique des déchets, comme une usine. Et le foie est là pour transformer ces déchets et les rendre non toxiques », rappelle le Pr Gabriel Perlemuter, chef du service d’hépato-gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP) à Clamart (Hauts-de-Seine) et auteur du livre Les Pouvoirs cachés du foie. Alors oui, c’est lui savonner la planche que de manger n’importe quoi et boire comme un trou. « Quand l’alimentation est trop riche en sucre, le foie va se gorger en graisse, ce qui va entraîner une inflammation et une destruction de ses cellules », explique le médecin. En ce sens, rééquilibrer son alimentation (sans verser dans la consommation exclusive de jus de céleri-brocoli), voire prendre, en cas de régime déséquilibré, des compléments alimentaires à base, par exemple, d’artichaut ou de radis noir, aux propriétés anti-inflammatoires supposées chez l’homme, a un intérêt pour protéger son foie. « Mais il ne s’agit pas là d’éliminer des toxines », tranche le médecin.
Malgré le néant scientifique sur lequel repose la détox, elle continue de cartonner. Notre époque, obsédée par la performance et les thérapies alternatives et « naturelles », s’y prête particulièrement. « Ça ne serait pas venu à l’idée de nos grands-parents de faire des cures détox, s’amuse Éric Birlouez, sociologue de l’alimentation. Certes, dans les religions, les jeûnes ont toujours existé, mais ils n’ont jamais eu pour but de débarrasser le corps de ses impuretés. » Au XXIe siècle, c’est dorénavant le corps qui est sacré. « Il est devenu un temple, poursuit le sociologue. Et le succès de la détox repose sur une croyance universelle et archaïque qui nous laisse penser que nous sommes ce que nous mangeons, y compris sur le plan symbolique. » Florian Gouthière y voit lui aussi une dimension quasi mystique. « Avec la détox, les gens ont l’illusion de pouvoir s’absoudre », estime-t-il. La détox, une nouvelle religion ? Après tout, il suffit d’y croire.
Détoxifiez-moi tout ça…
Guère tentée par les divers régimes alternatifs, les jus d’herbes et autres suppléments « naturels » ? On a plus original.
Avertissement : n’essayez pas chez vous, aucune utilité n’a jamais été démontrée pour ces méthodes et elles peuvent être dangereuses.
L’hydrothérapie du côlon
Cette pratique venue d’Allemagne et de Suisse repose sur l’idée reçue que la stagnation de selles dans le gros intestin favoriserait la formation de toxines qui « infuseraient » dans le corps. Dans les faits, un hydrothérapeute envoie de l’eau, par votre anus, vers votre côlon. Et pratique un massage abdominal censé « décoller les déchets ». Lesdits déchets, les restes de selles, sont évacués via un autre tuyau. Attention, risque de perforation.
Les bougies auriculaires
Pour évacuer le cérumen profond, lui aussi suspecté de contenir d’affreuses toxines, vous pouvez vous fourrer une chandelle dans l’oreille. Que vous allumez. Par sa lente combustion, elle produit une chaleur qui fait fondre le cérumen et, suite à une légère décompression (on parle d’effet cheminée), facilite son évacuation. Sans surprise, les ORL ne sautent pas de joie.
Des séances de transpiration dans un sauna ou un hammam
Un classique de la détox. Mais les déchets sont évacués en continu par les pores de la peau, nul besoin de vous liquéfier pour les déloger.
Les bains de pieds détox par électrolyse
Plongez‑y vos panards et laissez la magie opérer. L’eau s’assombrit en quelques minutes, preuve, selon les fabricants, que la méthode évacue les toxines. Sauf que sans pied dedans, ça marche aussi. La couleur est produite par l’appareil lui-même.
La détox et le sauna vaginaux
Vous pouvez vous fourrer de petits sachets en tissu remplis de mystérieuses herbes au fond du vagin. Ou bien vous la jouez comme Gwyneth Paltrow avec le sauna vaginal : assise sur une chaise percée, recevez un bain de vapeur chaud, une sorte d’inhalation purificatrice dans le vagin et l’utérus. Votre flore ne vous remerciera pas, car le milieu vaginal goûtant assez peu l’eau et les huiles essentielles, la flore risque d’être déséquilibrée, et vous de choper une mycose par prolifération de champignons indésirables.