Pris à parti sur Twitter au sujet d’une série de Tweet misogynes, le journaliste pigiste et collaborateur de notre titre, Thomas Messias, a accepté, à la demande de Causette, de s’en justifier.

Depuis quelques jours, des Tweet misogynes datant de 2013 refont surface sur le réseau social. La personne qui en est l’auteur est un journaliste pigiste qui collabore, depuis 2019, avec Causette, Thomas Messias. Nous avons choisi de travailler avec lui parce que la qualité de son travail est indiscutable et les valeurs qu’il défend depuis plusieurs années sont les nôtres.
Les captures d’écran en question ont été diffusées par un compte sous pseudonymat, @Coeur_de_rocker, qui affirme être une ancienne membre de la Ligue du LOL, dont Thomas Messias dit, lui, en avoir été victime. L’enjeu pour @Coeur_de_rocker et ses camarades : démontrer que, alors que Thomas Messias a raconté le harcèlement qu’il a subi de la part de la bande, dans la presse en 2019, il n’était pas la « victime parfaite » ou la « blanche colombe » que les médias ont cru voir en lui.
C’est certain. À la nuance près que, jusqu’à preuve du contraire, Thomas Messias n’a harcelé quiconque, contrairement à ce qui était reproché à la Ligue du LOL. Cela ne l’excuse en rien, mais ses diatribes n’étaient pas ciblées contre des anonymes qu’il aurait acculées par répétition – et c’est la répétition qui constitue le harcèlement.
Messias s’en est pris – avec vulgarité, violence et mépris – à des actrices et à une Miss Tahiti, dont il jugeait les physiques pour les classer entre « baisables » et « non baisables » : il s’agit ni plus ni moins de culture du viol. Son objectif n’était, en revanche, pas d’atteindre Audrey Lamy ou Noémie Lvovsky, mais de briller sur Twitter avec ses invectives sexistes.
Thomas Messias n’avait jusqu’ici jamais eu à répondre publiquement de son passif – il l’a fait en privé, auprès d’amies féministes, par exemple. Il a été chanceux, a éventuellement bénéficié de manquements journalistiques lors des enquêtes autour de la Ligue du LOL. Mais ce facteur chance prend fin aujourd’hui, alors que ces Tweet sont révélés.
De fait, voilà Causette face à un choix crucial : peut-on, en tant que magazine engagé et féministe, continuer à travailler avec Thomas Messias comme si de rien n’était ? Certainement pas. C’est pourquoi nous lui avons demandé de produire ce texte, qui explique sans excuser un parcours. Du beauf sexiste de 2013 à l’allié engagé pour l’égalité et le féminisme de 2020 (son podcast Mansplaining, dans lequel il interroge le patriarcat, est un succès et une référence), quel coup de baguette magique s’est-il opéré ? La déconstruction via l’écoute de ce que les femmes ont à dire, répond Thomas Messias dans ces lignes.
Et cela est plutôt réjouissant. Car nous n’avons pas toutes et tous la chance d’être né·es dans un contexte favorable, un milieu où l’égalité, le respect des femmes et le combat du côté féministe du monde seraient une évidence et une nécessité. Et c’est, selon nous, tout l’enjeu de la lutte féministe : ramener à soi les ennemis d’hier. Si l’on ne croit pas en la capacité des gens d’évoluer, de s’instruire, de se remettre en question, de s’extraire de leur confortable domination masculine, alors, notre lutte est vaine.
C’est parce que nous croyons en la sincérité du changement de trajectoire de Thomas Messias, et à travers lui, de chacun·e d’entre nous, que nous publions aujourd’hui cette tribune.
Tribune, par Thomas Messias
Depuis que je parle de proféminisme et de masculinité, je ne cesse de répéter que tout cela n’est qu’un cheminement, qu’il n’y a pas de féminisme parfait (pour citer Roxane Gay) et que le travail consistant à devenir un allié des combats féministes ne se fait pas en un jour. Certaines fois, il m’arrive d’oublier que je pars de loin, mais le réel ne se prive jamais de me le rappeler.
Régulièrement reviennent à la surface certains Tweet que j’ai pu écrire entre février 2012 et février 2014, ce qui me semble à la fois être hier et il y a des siècles. La plupart de ces Tweet sont vulgaires, sexistes, gratuits. Ils datent d’une époque (lointaine, mais pas si lointaine, donc) au cours de laquelle je pensais que tout pouvait se dire, que l’humour excusait pas mal de choses, que raconter des horreurs permettait de dédramatiser et de prendre du recul par rapport aux mille horreurs de notre société. Ces Tweet ont été effacés il y a bien longtemps, de mon propre chef, parce que j’ai réalisé (trop tard, certes) qu’ils étaient immondes et indéfendables.
En retombant dessus (pas franchement par hasard, mais j’y reviendrai), j’ai eu l’impression qu’un étranger avait rédigé ces Tweet abominables… sauf que non. La personne qui a écrit tout ça, c’est bel et bien moi. Un moi pas conscient du tout de ce qu’il faisait, un moi sans recul, un moi sans conscience, qui tweetait les pieds sur la table pour faire rire les copains sans se soucier des conséquences.
Que s’est-il passé depuis ces années ? J’ai peu à peu utilisé les réseaux sociaux pour suivre des militantes et des journalistes qui m’ont ouvert les yeux sur ce que veut dire être une femme à notre époque. J’ai parlé plus explicitement de féminisme avec la femme qui partage ma vie, avec mes amies, avec les femmes croisées çà et là au cours de ma vie. J’ai beaucoup écouté, je me suis tu autant que possible. Je me suis remis à lire après des années de jachère dues à une certaine forme d’épuisement mental. Les essais féministes ont profondément modifié mon regard, ma façon de voir les choses, ma manière d’agir au quotidien, sur mille détails comme de façon globale. Tant d’épiphanies en si peu d’années.
Pour résumer, il n’y a rien de mieux que cette phrase de Rachel Miller : « Derrière chaque homme woke*, il y a une féministe épuisée qu’il faut remercier ». Ou plutôt des féministes, dans mon cas.
J’ai aussi milité dans l’ombre, j’ai œuvré en coulisses, j’ai tâché de faire amende honorable. J’ai trimé, pas pour faire disparaître mes écrits de l’époque (de toute façon, ils ne s’effaceront jamais vraiment), mais parce que ces causes, je les trouve infiniment justes et absolument fondamentales. J’ai usé l’espace médiatique dont j’avais la chance de bénéficier pour tenter de sensibiliser autant d’hommes que possible, proches ou inconnus, et à leur faire comprendre que le monde ne tourne pas rond, que nous avons notre responsabilité et que nous devons agir.
Parmi les mille choses que j’ai comprises, mais sur lesquelles je continue à me pencher de près, il y a le fait que le sexisme, même lorsqu’il s’exprime via l’humour ou sous des apparences bienveillantes, peut faire de nombreuses victimes, directes ou indirectes. S’en prendre de façon aussi gratuite et sexiste à quelques célébrités, comme j’ai pu le faire, ça ne tient pas juste du propos de comptoir : c’est une façon de véhiculer une vision du monde absolument nauséabonde. C’est ce que je combats désormais, depuis des années, en faisant preuve d’une morale tellement rigide qu’elle me vaut parfois des quolibets ou des moqueries de la part de ceux qui pensent que je suis désormais à la solde des vilaines féministes.
À ce stade, je suis obligé de vous repréciser un peu le contexte : c’est justement quand certains ont commencé à estimer que le féminisme m’avait vraiment trop dévirilisé et que ma façon de m’attaquer à mon propre camp (celui des hommes blancs cisgenres hétéros, privilégiés parmi les privilégiés) était plus qu’insupportable que les fameux Tweet ont refait surface, exhumés avec talent par des archéologues du Web pas franchement bien intentionnés. Objectif explicitement annoncé : expliquer que le harcèlement dont j’avais pu être victime (et qui se prolonge aujourd’hui sous d’autres formes) n’était rien par rapport aux monstruosités dont j’avais pu être l’auteur sur les réseaux sociaux.
Ces gens ont régulièrement exigé que je m’explique, mais, avec eux, j’ai toujours refusé : je ne dialogue ni avec les masculinistes aux dents longues, ni avec les personnes qui souhaitent me faire tomber, parce que j’ai dénoncé le harcèlement au long cours pratiqué par certains de leurs proches. En revanche, il est fréquemment arrivé que des amies, des militantes, des lectrices ou des auditrices de mon podcast me demandent de leur expliquer l’histoire autour de ces Tweet.
Parce qu’elles ont toute légitimité pour m’interroger, j’ai toujours accepté le dialogue avec ces personnes. C’est encore arrivé la semaine dernière, mais toujours en privé pour ne pas me donner en spectacle face à ceux qui continuent à rôder comme des vautours autour de mes sorties publiques. J’explique toujours à peu près la même chose, c’est-à-dire que je reconnais totalement être l’auteur de ces Tweet, que je les trouve à vomir, et que même si j’estime avoir fait beaucoup de chemin depuis (mais est-ce vraiment à moi de juger ?), je comprendrais qu’on puisse avoir envie de me tourner le dos en estimant qu’un allié féministe ne peut pas avoir tenu ce genre de propos.
La suite ne m’appartient jamais. Ce sont elles qui décident de prolonger la discussion ou non, de demander des détails ou non, de me faire la leçon ou non. Ça aussi, je l’ai appris au cours de mon cheminement : ce n’est pas à moi de décider quelles formes de sexisme sont excusables, quel est le délai de prescription, si mes excuses sont recevables. Cela fait partie de l’expérience que j’ai emmagasinée année après année, une expérience que j’aurais aimé acquérir sans avoir tweeté le moindre message misogyne. Mais parce que la machine à remonter dans le temps n’existe pas, je tente d’utiliser mes erreurs pour devenir une meilleure personne et pour donner envie à d’autres hommes de suivre ce chemin avec moi.
Thomas Messias
P.S. : Parce qu’il n’est pas question de dissimuler quoi que ce soit, voici un montage des Tweet en question, régulièrement publié sur Twitter. Je ne suis évidemment pas l’auteur de ce montage.
- *se dit d'une personne éveillée aux valeurs du féminisme