GiuliaEtienne

À Lyon, jour­na­lisme et théâtre fusionnent pour ques­tion­ner les vio­lences sexuelles

Faut-​il sépa­rer l'homme de l'artiste ? Le théâtre du Point du jour explore le débat dans une bouillon­nante per­for­mance mélan­geant théâtre et jour­na­lisme, avec Giulia Foïs dans le rôle de l'experte four­nis­seuse de concret.

Ce mar­di 18 jan­vier sur la scène du théâtre du Point du jour, une dizaine de per­sonnes sont réunies autour d'une grande table de tra­vail pour les der­niers ajus­te­ments de Grand ReporTERRE #5 : faut-​il sépa­rer l'homme de l'artiste ? Il y a là Etienne Gaudillère, le créa­teur du spec­tacle, les comédien·nes Marion Aeschlimann et Jean-​Philippe Salério, la direc­tion bicé­phale de ce théâtre contem­po­rain lyon­nais, Angélique Clairand et Eric Massé, et la jour­na­liste Giulia Foïs. Invitée par Etienne Gaudillère, la spé­cia­liste des ques­tions fémi­nistes et de genre a co-​conçu cette « mise en pièce de l'actualité » avec le comé­dien et met­teur en scène, à la croi­sée des genres. « Les for­mats Grands ReporTERRES se rap­prochent plus de la per­for­mance que de la pièce car rien n'est figé, les per­sonnes sur scène com­posent avec l'actualité », explique Eric Massé, qui a inven­té avec Angélique Clairand ce for­mat hybride pour répondre à l'ambition d'un théâtre aux prises avec le réel. 

Depuis 2019 se sont ain­si suc­cé­dés sur la scène du Point du jour quatre spec­tacles sur les enjeux envi­ron­ne­men­taux, le com­bat pour la démo­cra­tie au Burkina Faso ou encore le cyber­fé­mi­nisme, asso­ciant à chaque fois un·e metteur·euse en scène et un·e jour­na­liste. Pour ce cin­quième épi­sode de théâtre ins­tan­ta­né – mis en place avec très peu de jours de répé­ti­tion et une poi­gnée de repré­sen­ta­tions seule­ment – le sujet prend des allures phi­lo­so­phiques : à l'aune des récentes affaires de vio­lences sexuelles impli­quant des per­son­na­li­tés appré­ciées pour leur art, faut-​il sépa­rer l'homme de l'artiste ?

Interrogations per­son­nelles

« De toute façon, il faut rap­pe­ler que la ques­tion pre­mière, celle posée par Sainte-​Beuve est "faut-​il sépa­rer l'homme de l'œuvre ?" et a été trans­for­mée dans nos débats actuels », rap­pelle Giulia Foïs, dos à un décor réa­li­sé avec des col­lages de for­mats géants de publi­ca­tions ayant récem­ment ali­men­té le débat. Le Consentement de Vanessa Springora s'affiche à côté de la Une de Libé Pédophilie : le cas Matzneff, l'édito de Elle Au nom de Marie [Trintignant, ndlr] répond à l'article de cou­ver­ture des Inrockuptibles célé­brant le retour musi­cal de son meur­trier, Cantat, en son nom.

A l'origine du spec­tacle, les inter­ro­ga­tions per­son­nelles d'Etienne Gaudillère, comé­dien tren­te­naire qui s'est mis à réflé­chir à son posi­tion­ne­ment d'homme face à la mul­ti­pli­ci­té des affaires média­ti­sées et celles, res­tées dans l'ombre, des femmes de son entou­rage. « Quand Angélique et Eric m'ont pro­po­sé de tra­vailler dans cette série de Grands ReporTERRES, c'était au moment de la céré­mo­nie des César récom­pen­sant Roman Polanski pour J'accuse [en février 2020, ndlr], avec la viru­lente réac­tion d'Adèle Haenel, remet-​il. Je me suis ren­du compte que moi-​même, sur ces ques­tions, j'étais per­du, tout le monde, même entre amis, se tapait des­sus. Je ne savais plus si je vou­lais aller voir J'accuse ou pas, si en le voyant je sou­te­nais Polanski, s'il fal­lait le boy­cot­ter et je mélan­geais boy­cott et cen­sure… c'est donc par­ti de là et en tant qu'artistes, on a une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière à s'emparer de ces ques­tions. »

« Beaucoup de femmes »

Sur les planches, une suc­ces­sion de scé­nettes rendent compte du che­mi­ne­ment d'Etienne, dépas­sant le seul cadre des vio­lences sexuelles com­mises par des têtes d'affiches du monde de la culture. Comme ce moment, joué par Jean-​Philippe Salério et Marion Aeschlimann, dans lequel le nar­ra­teur réa­lise que même sa mère est concernée :

« Maman, je vou­drais te par­ler de quelque chose qu'un jour tu as évo­qué…
- Je sais de quoi tu veux par­ler.
- J'ai jamais osé te poser la ques­tion, je ne sais pas si c'était grave.
- Ça va. Ne t'inquiète pas, ça va. Tu sais, c'est arri­vé à beau­coup de femmes.
»

Ce « beau­coup de femmes » est étayé par la mise en scène de l'expertise jour­na­lis­tique de Giulia Foïs. Interprétant son propre rôle, la jour­na­liste est là pour gui­der les réflexions d'Etienne, lui don­ner en même temps qu'au public les impla­cables chiffres des vio­lences sexuelles dans notre socié­té. « En France, une femme sur deux aura subi dans sa vie au moins une forme de vio­lence sexuelle ». 

« Le simple fait de voir sur scène quelqu'un qui dit sim­ple­ment avoir été vio­lé, je pense que c'est fou­tument effi­cace pour faire avan­cer les choses. »

Giulia Foïs, jour­na­liste spé­cia­liste des ques­tions fémi­nistes et de genre

Je suis une sur deux, c'est d'ailleurs le titre de son essai auto­bio­gra­phique dans lequel elle raconte le viol qu'elle a subi à 20 ans et pour lequel son vio­leur sera acquit­té. Giulia Foïs est heu­reuse d'expérimenter la scène : « Je dis tou­jours oui quand on me pro­pose une nou­velle expé­rience, un nou­veau moyen d'expression, et le pro­jet d'Etienne était gal­va­ni­sant ! » Elle explique que sa double cas­quette de jour­na­liste enga­gée et de femme direc­te­ment concer­née par le sujet des vio­lences sexuelles est un atout. « Je pré­fè­re­rais par­ler de ma capa­ci­té à faire cre­ver les plantes sur mon bal­con, dit-​elle à Causette. Mais le simple fait de pou­voir dire sur scène, en une phrase, "j'ai été vio­lée", quand on sait que dans la salle, y en aura plein [dans le même cas, ndlr] et que par­mi elles, de nom­breuses ne l'auront jamais dit, le fait de voir sur scène quelqu'un qui le dit sim­ple­ment, ça je pense que c'est fou­tument effi­cace pour faire avan­cer les choses. »

Réagir à l'actualité

Faut-​il sépa­rer l'homme de l'artiste ? ins­crit donc dans le théâtre du réel, une expé­rience qui oblige ses créateur.rices à peau­fi­ner le texte jusqu'au der­nier moment, le modu­ler au gré de l'actualité. Les repré­sen­ta­tions, les 20, 21 et 23 jan­vier, s'annoncent aus­si bouillon­nantes que l'actualité en la matière – Eric Massé se deman­dait ain­si si la per­for­mance ferait une place à « l'affaire » Jean-​Jacques Bourdin – et les ques­tion­ne­ments politico-​intimes qu'elle sou­lève. Avec un final s'appuyant sur la réécri­ture de Basique d'Orelsan, à qui certain·es conti­nuent de repro­cher le mor­ceau Sale pute du début de sa car­rière, les artistes montrent ici l'enjeu d'apporter de la nuance. « Orelsan n'a jamais été accu­sé de mau­vais com­por­te­ment envers les femmes, on lui repro­chait des paroles de chan­son, sou­ligne Giulia Foïs, et en dix ans il a accom­pli une tra­jec­toire exem­plaire, de gars bien sexiste au départ, qui aujourd'hui , quand il pré­sente des pro­grammes court comme "Bloqués", sur le fémi­nisme, est super effi­cace. C'est assez rare pour qu'on puisse effec­ti­ve­ment appré­cier écou­ter ses autres mor­ceaux sereinement. »

Grand ReporTERRE #5 : faut-​il sépa­rer l'homme de l'artiste ?, au théâtre du Point du jour à Lyon. Représentations les 20 et 21 jan­vier à 20h et le 23 jan­vier à 15h30. Infos et réservations.

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