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Philippe Meirieu : « Ce n’est pas la lon­gueur des vacances sco­laires qui est néfaste, c’est l’absence d’activité »

Alors que les vacances sco­laires débu­te­ront ce ven­dre­di 7 juillet pour deux mois, Emmanuel Macron a décla­ré fin juin son inten­tion de réduire leur durée dans le but de réduire les inéga­li­tés entre les élèves. Entre réor­ga­ni­sa­tion des exa­mens, repos, conso­li­da­tion des appren­tis­sages et inéga­li­tés sociales, on fait le point sur les vacances d’été avec Philippe Meirieu, cher­cheur en science de l'éducation et spé­cia­liste de la pédagogie.

Officiellement, les vacances sco­laires d’été com­mencent ce ven­dre­di soir. Officieusement, les élèves du col­lège et du lycée qui ne passent ni le bre­vet ni le bac­ca­lau­réat ont déser­té les bancs depuis plu­sieurs semaines déjà. Les épreuves des exa­mens mobi­li­sant toutes les équipes péda­go­giques, tant pour la sur­veillance des salles que pour la cor­rec­tion des copies, la fin de l’année sco­laire semble s’étirer comme un dimanche sans fin. Mais que tous·toutes en pro­fitent : les sacro-​saintes vacances d’été, atten­dues comme le mes­sie toute l’année, seront peut-​être écour­tées dans les années à venir. 

Le sujet, qui fait régu­liè­re­ment l’objet de vifs débats1, a de nou­veau été mis sur la table par Emmanuel Macron le 27 juin der­nier. Lors d’un dépla­ce­ment dans une école mar­seillaise, le chef de l’État a en effet annon­cé l’ouverture d’une concer­ta­tion sur l’organisation du calen­drier sco­laire avec en ligne de mire, notam­ment, la durée des congés d’été. Réduire les vacances d’été per­met­trait, selon le gou­ver­ne­ment, de réduire les inéga­li­tés entre les élèves tout en « conso­li­dant les acquis de l’enseignement ». Alors ces deux mois de vacances sont-​ils vrai­ment trop longs ? On démêle la pelote avec Philippe Meirieu, cher­cheur en science de l'éducation et spé­cia­liste de la pédagogie.

Causette : Lors de son dépla­ce­ment à Marseille, Emmanuel Macron a annon­cé vou­loir réduire la durée des vacances sco­laires d’été. Qu’en pensez-​vous ? 
P.M. :
Avant de pen­ser à réduire les vacances d’été, il fau­drait d’abord recon­qué­rir le mois de juin et faire en sorte que tous les élèves soient sco­la­ri­sés jusqu’à la fin de l’année sco­laire. À ce moment-​là, on aura beau­coup avan­cé et on pour­ra alors s’interroger sur la per­ti­nence de la durée des vacances esti­vales. C’est quand même un scan­dale, qu’en France, des élèves se retrouvent à la porte de leur éta­blis­se­ment dès le début du mois de juin. Les exa­mens des uns ne doivent pas inter­rompre les cours des autres. Cela deman­de­rait une réor­ga­ni­sa­tion colos­sale mais on pour­rait pre­miè­re­ment réor­ga­ni­ser les exa­mens, en bana­li­sant la pre­mière semaine de juillet, ou trou­ver des locaux pour accueillir les élèves qui passent ces exa­mens.
La loi, c'est 36 semaines de cours par an et elle n’est pas res­pec­tée. Une majo­ri­té d’élèves n’en aura fina­le­ment eu que 31 ou 32. D’ailleurs, le gou­ver­ne­ment nous parle des grandes vacances mais ce sont plu­tôt les vacances de la Toussaint qu’il fau­drait rééqui­li­brer. Sept semaines l’été me paraît bien, la France est d’ailleurs dans la moyenne euro­péenne. Mais deux semaines de vacances, deux mois après la ren­trée, c’est bien trop.
Il faut aus­si pen­ser aux ensei­gnants : réduire les vacances sco­laires, ce serait don­ner des heures sup­plé­men­taires à des profs qui subissent déjà des condi­tions de tra­vail déplo­rables toute l’année. Ce serait vécu comme une humi­lia­tion par la profession. 

Les vacances esti­vales sont-​elles néces­saires du point de vue du déve­lop­pe­ment de l’enfant ? 
P.M. :
Elles le sont à condi­tion qu’elles per­mettent de faire autre chose. Si elles se résument à pas­ser deux mois le nez sur un écran, elles seront nocives pour le déve­lop­pe­ment. Les grandes vacances doivent être l’occasion de pas­ser du temps en col­lec­tif, dans la nature, mais aus­si avec sa famille. C’est déter­mi­nant pour le déve­lop­pe­ment. Cette res­pi­ra­tion per­met aus­si de reve­nir au réel dans une socié­té domi­née par le vir­tuel. Il faut se ser­vir de ces deux mois pour entre­te­nir la curio­si­té et le désir d'apprendre. Il faut lire, il faut dis­cu­ter, il faut bri­co­ler. Il faut faire des tas de choses qui per­mettent d'avoir une acti­vi­té intel­lec­tuelle et une acti­vi­té cog­ni­tive. Une bonne arti­cu­la­tion entre le temps sco­laire, fami­lial et de loi­sir est fon­da­men­tale pour l’équilibre per­son­nel d’un enfant.

« Ce qui manque, c’est de ne plus avoir de tis­su asso­cia­tif pour por­ter un pro­jet édu­ca­tif sur le temps des vacances scolaires. »

Selon le pré­sident de la République, dimi­nuer le temps de vacances per­met­trait de réduire les inéga­li­tés entre les enfants.
P.M. :
Il y a effec­ti­ve­ment des inéga­li­tés entre les élèves mais elles ne sont pas dues à la durée des vacances. Plutôt à la qua­li­té de celles-​ci. Les grandes vacances sont trop longues si les gamins res­tent chez eux. Il y aura for­cé­ment un accrois­se­ment des inéga­li­tés sociales entre des élèves qui passent leur temps devant des écrans car ils n’ont pas d’autres dis­trac­tions et des élèves qui partent en vacances, qui découvrent des choses et qui ont accès à des acti­vi­tés cultu­relles. L’accès aux vacances est un droit et on a besoin d’un véri­table ser­vice public des loi­sirs et des vacances en France. Ce n'est pas encore le cas et le cli­mat social actuel le montre : l’État a aban­don­né de nom­breux quar­tiers en France. Dans ces quar­tiers dits popu­laires, on a des enfants qui vont pas­ser deux mois à traî­ner en bas des tours parce qu’ils n’ont pas d’autres alter­na­tives. L’État doit don­ner aux quar­tiers les moyens d’occuper ces gosses pen­dant les vacances. En ins­tau­rant par exemple un sys­tème qui per­met­trait à chaque enfant de pou­voir par­tir en vacances en colo­nie par exemple ou en déployant des acti­vi­tés gérées par des ani­ma­teurs payés par les muni­ci­pa­li­tés. Actuellement, on a plus assez d'animateurs parce qu'ils sont payés au lance-​pierre. Et ce qui manque, c’est de ne plus avoir de tis­su asso­cia­tif pour por­ter un pro­jet édu­ca­tif sur le temps des vacances scolaires. 

Certain·es estiment que la pause esti­vale aurait pour consé­quence la perte des connais­sances acquises pen­dant l’année. Est-​ce le cas ? 
P.M. :
Encore une fois, cela dépend de l’usage que l’on en fait. Cette période est cru­ciale car elle per­met aux enfants de se repo­ser après une année sco­laire intense mais elle per­met aus­si de réin­ves­tir les appren­tis­sages. Faire une recette de cui­sine per­met par exemple de révi­ser la pro­por­tion­na­li­té mais aus­si de conso­li­der la lec­ture. Si un élève passe sept semaines sans lire, là bien sûr, il y aura des pertes de connais­sances. Je le répète : ce n’est pas la lon­gueur des vacances sco­laires qui est néfaste, c’est l’absence d’activité.

En France, les jour­nées de cours sont denses, les élèves passent en moyenne six heures par jour en classe. Faudrait-​il allé­ger les emplois du temps, plu­tôt que réduire la durée des vacances ? 
P.M. :
On ne par­vien­dra jamais à repro­duire le modèle fin­lan­dais [la sor­tie de classe en Finlande se fait entre 14h et 15h, ndlr] car l’Éducation natio­nale fran­çaise fonc­tionne sur un modèle tech­no­cra­tique. Il y a peu de place pour les ini­tia­tives nou­velles.
Les jour­nées sont longues, certes, mais le pro­blème ne vient pas que de là. Emmanuel Macron veut écour­ter les vacances sco­laires mais il ne faut pas oublier que c’est sous son pre­mier man­dat qu’on a sup­pri­mé la semaine de 4 jours et demi à l’école pri­maire [depuis le décret du 28 juin 2017, les maires ont la pos­si­bi­li­té de choi­sir d’instituer ou non la semaine de 4 jours dans l’école de leur com­mune, ndlr]. Pour moi, il faut sur­tout reve­nir par­tout à la semaine de 4 jours et demi. La pause du mer­cre­di est nocive pour les élèves, ils se couchent tard le mar­di soir, ont du mal à se lever le jeu­di matin, la semaine est décou­pée et cela se res­sent sur le rythme sco­laire. On perd aus­si cent heures de maths et de fran­çais sur une année, c'est colos­sal du point de vue de l'apprentissage et cela induit for­cé­ment une baisse du niveau des élèves en école pri­maire. Ajouté à cela la perte du mois de juin dès qu'ils arrivent au collège.. 

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  1. Lors de la der­nière cam­pagne pré­si­den­tielle, le can­di­dat éco­lo­giste Yannick Jadot pro­po­sait éga­le­ment de les rac­cour­cir.[]
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