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De gauche à droite : la commissaire Virginie Perrey, l'actrice Sandrine Bonnaire, une policière du commissariat de Colmar et la procureure Catherine Sarita-Minard. ©AT

Colmar : la ville met le paquet pour lut­ter contre les vio­lences conjugales

Le com­mis­sa­riat et le tri­bu­nal de Colmar, dans le Haut-​Rhin, ont reçu, le 15 juin, l’actrice Sandrine Bonnaire, pré­si­dente de l’association La Maison des âmes, qui vient en aide aux vic­times de vio­lence. Causette a pu assis­ter à cette ren­contre dont l’objectif était de pré­sen­ter les récents dis­po­si­tifs mis en place conjoin­te­ment par les forces de l’ordre et le par­quet pour lut­ter contre les vio­lences conjugales. 

Journée par­ti­cu­lière pour le com­mis­sa­riat et le par­quet de la pré­fec­ture du Haut-​Rhin qui accueillent, ce 15 juin, l’actrice Sandrine Bonnaire. Celle qui est aus­si la pré­si­dente de La Maison des âmes, créée il y a un an, est venue avec quatre des cofon­da­trices de l’association décou­vrir leurs dis­po­si­tifs de lutte contre les vio­lences conju­gales. Encore sous le choc, quelques jours après qu’un homme a défe­nes­tré du 8e étage son ex-​compagne dans un quar­tier de la ville – signant ain­si le 49e fémi­ni­cide de l’année –, les forces de l’ordre et la magis­tra­ture ont en effet tenu à pré­sen­ter leurs mesures de coor­di­na­tion pour faire de ce fléau leur che­val de bataille. 

Pour les vic­times, tout com­mence par une prise en charge per­son­na­li­sée au sein du com­mis­sa­riat de police de Colmar. Le pro­ces­sus mis en place depuis jan­vier est simple. Une affiche col­lée sur la porte vitrée à l’entrée de la struc­ture en indique d’ailleurs la marche à suivre : pour por­ter plainte, les vic­times d’infractions à carac­tère sexuel, vio­lences conju­gales, har­cè­le­ment et vio­lences fami­liales n’ont qu’à dési­gner du doigt la pas­tille jaune col­lée sur le bureau de l’agent·e d’accueil. Parce que les femmes vic­times de vio­lences conju­gales redoutent, très sou­vent, d’exposer leur cal­vaire avant même le dépôt de plainte, ce modèle évite d’ajouter du trau­ma­tisme au trau­ma­tisme. Sans un mot ni un échange, la vic­time est, dès cet ins­tant, sys­té­ma­ti­que­ment et auto­ma­ti­que­ment, prise en charge par un·e policier·ère. 

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Céline (à droite), la bri­ga­diere à l'origine du dis­po­si­tif, pré­sente à Sandrine Bonnaire
l'affiche col­lée sur la porte d'entrée pour mieux rece­voir les vic­times. © A. T.
Discrétion et confidentialité 

« Cette pro­cé­dure spé­ci­fique garan­tit la dis­cré­tion, la confi­den­tia­li­té et la pro­tec­tion de la femme vic­time de vio­lences conju­gales. Elle n’a pas à répé­ter son his­toire plu­sieurs fois à plu­sieurs per­sonnes », confirme la bri­ga­dière Céline, à l’origine du dis­po­si­tif ins­pi­ré du modèle qui fait ses preuves depuis 2020 au com­mis­sa­riat du Mans (Sarthe). C’est ensuite au tour de Marie, poli­cière for­mée aux vio­lences conju­gales, d’écouter et de prendre la plainte de la vic­time dans une pièce iso­lée et fer­mée. Nadia est pré­sente éga­le­ment. Intervenante sociale, elle assiste au dépôt de plainte afin de répondre aux nom­breuses ques­tions que se posent les femmes vic­times de vio­lences. « Elles sont très angois­sées quand elles arrivent, je dois par­fois prendre le rôle de psy », confie Nadia. Pour apai­ser leurs appré­hen­sions, le com­mis­sa­riat de Colmar a deman­dé le ren­fort d’un·e psy­cho­logue. Une aide qui se fait encore attendre. « On attend le feu vert de la pré­fec­ture », souffle Virginie Perrey, la commissaire. 

Après avoir dépo­sé plainte, ces femmes peuvent reprendre leur souffle dans la salle « Petits pas » spé­cia­le­ment créée et mise à leur dis­po­si­tion. Un cana­pé, des plantes et des jouets pour les enfants. « Ici, on prend le temps de les écou­ter, de les ras­su­rer, de leur expli­quer ce qu’il va se pas­ser, sou­ligne Céline. On sort du cadre froid d’une salle d’audition. » Parallèlement, les forces de l’ordre contactent l’association d’aide aux vic­times Espoir, qui aide­ra le·la procureur·e à déter­mi­ner les besoins de pro­tec­tion adap­tés à la femme, c’est à dire le bra­ce­let anti-​rapprochement, le télé­phone grave dan­ger ou l’éviction du conjoint. 

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La salle « Petits pas ». © A. T.

« C’est un pro­jet for­mi­dable qui donne de l’espoir et dont devraient s’inspirer tous les com­mis­sa­riats de France, a décla­ré la pré­si­dente de la Maison des âmes, Sandrine Bonnaire, au terme de la pré­sen­ta­tion du dis­po­si­tif. Les vic­times peuvent se sen­tir sou­te­nues et écou­tées, c’est impor­tant. » Plus impor­tant encore, cette pro­cé­dure spé­ci­fique semble por­ter ses fruits depuis son ins­tal­la­tion au début de l’année. « Rien que la semaine der­nière, on a reçu quatre plaintes en six jours », indique la pro­cu­reure, Catherine Sorita-​Minard, à la tête du par­quet de Colmar. « On a remar­qué que les femmes sont davan­tage ras­su­rées et en confiance lorsqu’elles res­sortent de la salle Petits pas », pré­cise Marie. Une réus­site, donc, même si, Céline et Marie ont dû batailler avec quelques col­lègues récal­ci­trants au début du pro­jet. « Certains, en ser­vice depuis vingt ou trente ans, n’étaient pas for­cé­ment ravis qu’on vienne bous­cu­ler leurs habi­tudes, confie Marie. Mais fina­le­ment, aujourd’hui, ils viennent nous voir pour nous remercier. » 

Les poli­cières de Colmar espèrent, avec cette meilleure prise en charge, convaincre davan­tage de femmes de dépo­ser plainte. Mélanie, vic­time de vio­lences conju­gales, est pré­sente lors du déjeu­ner orga­ni­sé par le com­mis­sa­riat en marge de la pré­sen­ta­tion. Pendant des années, cette jeune femme de 35 ans a subi les insultes, les humi­lia­tions, les coups et les noyades de son com­pa­gnon et aujourd’hui, des années après la fin du cal­vaire, elle ne sou­haite tou­jours pas por­ter plainte mal­gré les encou­ra­ge­ments des poli­cières. « J’ai encore peur des repré­sailles, je n’ai plus confiance en per­sonne », confie Mélanie à Sandrine Bonnaire, qui a elle-​même subi des vio­lences conju­gales il y a vingt ans. Elle témoigne à Mélanie : « Il m’a stran­gu­lée, je suis tom­bée dans les pommes. Je me suis réveillée avec huit dents cas­sées, les os de la mâchoire bri­sés, témoigne l’actrice. J’ai réus­si à por­ter plainte car j’estime que la honte doit chan­ger de camp. »

Manque de moyens

Autre volet du pro­jet mis en œuvre à Colmar, le com­mis­sa­riat orga­nise éga­le­ment depuis décembre 2020 une for­ma­tion des policier·ères sur les vio­lences conju­gales avec Véronique Laouer, direc­trice de Solidarité Femmes 68 (Causette a pu assis­ter à la for­ma­tion qui fera l’objet d’un repor­tage pro­chai­ne­ment sur Causette.fr). Pour aller plus loin, le com­mis­sa­riat sou­haite en effet consti­tuer une bri­gade entiè­re­ment dédiée au trai­te­ment des vio­lences conju­gales. « On aime­rait s’investir davan­tage mais pour l’instant, on manque de moyens, on aurait besoin d’au moins trois ou quatre enquê­teurs sup­plé­men­taires », constate la com­mis­saire Virginie Perrey.

À l’instar de la com­mis­saire, la pro­cu­reure de Colmar pointe éga­le­ment le manque de moyens dont dis­pose le par­quet. « On a les bons réflexes à Colmar, mais ça ne veut pas dire que tout est par­fait, nuance Catherine Sorita-​Minard. On ne pour­ra jamais empê­cher tous les fémi­ni­cides, mais on y tra­vaille conjoin­te­ment avec les forces de l’ordre. Cela dit, nous avons besoin, par exemple, de magis­trats spé­cia­li­sés à l’image de ce qui se fait en Espagne. »

Un dis­po­si­tif expé­ri­men­tal pour pré­ve­nir les violences 

Dans le cadre de cette chaîne coor­don­née entre les forces de l’ordre et la jus­tice, la pro­cu­reure a don­né des ins­truc­tions fermes au début de l’année 2021 : toutes les plaintes doivent être auto­ma­ti­que­ment remon­tées au par­quet. « Une fois que la vic­time est dans la boucle, on ne la lâche plus, sou­ligne Catherine Sorita-​Minard. J’ai deman­dé que toutes les plaintes soient envoyées sur une boîte mail dédiée pour qu’elles soient ensuite saisies. »

Une volon­té et une poli­tique com­mune de la plainte au juge­ment. Tel est l’objectif de ces mesures. « Accompagner les vic­times est indis­pen­sable, mais il faut aus­si prendre en charge les auteurs de ces vio­lences, appuie la vice-​procureure en charge des vic­times de vio­lences intra­fa­mi­liales, Nathalie Kielwasser. Ce n’est plus à la femme de quit­ter le domi­cile conju­gal, et puis c’est impor­tant de pré­ve­nir la réci­dive, car un homme violent fait en moyenne quatre vic­times dans sa vie en réité­rant son com­por­te­ment sur toutes ses com­pagnes successives. »

Ce constat a inci­té le par­quet de Colmar à conce­voir un pro­jet de prise en charge glo­bale dans l’éviction des auteurs de ce type de vio­lences. Baptisé « Équilibre », le dis­po­si­tif expé­ri­men­tal, pen­sé depuis jan­vier 2019 par la jus­tice, les asso­cia­tions Espoir et Argile (Centre de soins, d’accompagnement et de pré­ven­tion en addic­to­lo­gie) ain­si que le Spip (Service péni­ten­tiaire d’insertion et de pro­ba­tion) a débu­té en jan­vier 2021, grâce au finan­ce­ment de la Direction de l’administration péni­ten­tiaire (DAP). Concrètement, ce sont quatre appar­te­ments accueillant cha­cun trois hommes en colo­ca­tion, pla­cés dans la fou­lée de leur défè­re­ment au par­quet. Actuellement, le plus jeune a 25 ans, le plus âgé, 81 ans. Ils y résident soit jusqu’à leur juge­ment dans le cadre d’un contrôle judi­ciaire, soit dans le cadre d’un amé­na­ge­ment de peine. « Équilibre » ne concerne cepen­dant pas tous les auteurs de vio­lences. « Ce sont des per­sonnes ayant déjà com­mis des vio­lences conju­gales récur­rentes avec un risque éle­vé de réci­dive, une absence de recon­nais­sance des faits et un besoin de soin », pré­cise Nathalie Kielwasser. 

Apprendre à gérer les frus­tra­tion du quotidien
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Causette a pu visi­ter l’un de ces appar­te­ments. Situé au 15e étage d’un bâti­ment HLM de la rue Saint Niklas, le loge­ment paraît tout à fait ordi­naire de prime abord. Ce n’est qu’en péné­trant à l’intérieur qu’on en com­prend le dis­po­si­tif. Derrière la porte d’entrée, un ruban adhé­sif orange au sol et une camé­ra dans l’angle du pla­fond. « Les hommes sont obli­gés d’être pré­sents dans l’appartement de 19 heures à 7 heures, explique la vice-​procureure. La camé­ra filme en direct les allées et venues et trans­met auto­ma­ti­que­ment une pho­to par mail à l’agent d’astreinte. » Car, si les auteurs ont pour voi­sins des familles sans his­toires, ils ne sont pas pour autant en colo­nie de vacances. Ils ne peuvent rece­voir per­sonne ni appor­ter de l’alcool. Les auteurs doivent aus­si suivre un pro­gramme de soin psy­cho­lo­gique. « En plus du rap­port envoyé aux magis­trats chaque mois, le Spip relaie immé­dia­te­ment au par­quet le moindre écart au règle­ment, pré­cise Nathalie Kielwasser. Un des hommes a été récem­ment incar­cé­ré car il s’est absen­té tout un week-​end et s’est pré­sen­té alcoo­li­sé à son rendez-​vous avec la psychologue. »

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L'une des trois chambres de l'appartement. © A. T.

L’objectif d’« Équilibre » est de mettre ces auteurs face à leurs méca­nismes de vio­lences qui sur­viennent sou­vent à la suite de dif­fi­cul­tés banales du quo­ti­dien. « Ici, ils apprennent à gérer leurs sautes d’humeur et leurs frus­tra­tions. » Pour l’heure, la coha­bi­ta­tion se passe bien et semble même por­ter ses fruits. À l’instar du récent juge­ment de l’homme de 81 ans qui a fait vivre un demi-​siècle de vio­lences à sa com­pagne. « Quand il est arri­vé, il niait com­plè­te­ment les faits, se rap­pelle la vice-​procureure. À l’audience, il était méta­mor­pho­sé : il a recon­nu avoir vio­len­té sa femme et que celle-​ci n’avait abso­lu­ment rien deman­dé. » Il effec­tue­ra ses quatre mois ferme au sein du dispositif. 

Toujours en phase d’expérimentation, le par­quet de Colmar espère main­te­nant que la Chancellerie péren­nise le pro­jet. « On devrait avoir la réponse très pro­chai­ne­ment, indique Nathalie Kielwasser. On sait bien qu’il y a une part d’hommes vio­lents qui ne chan­ge­ront jamais, mais ce dis­po­si­tif per­met tout de même de pré­ve­nir et ain­si de dimi­nuer les féminicides. » 


La Maison des âmes, une asso­cia­tion récente pour aider les femmes vic­times de violence 

C’est un pro­jet et un enga­ge­ment que Sandrine Bonnaire porte depuis long­temps déjà. Victime de vio­lences conju­gales, il y a vingt ans, l’actrice fran­çaise s’est don­né pour mot d’ordre de venir en aide à d’autres femmes dont la séré­ni­té et le quo­ti­dien ont volé en éclats. Mis en place en jan­vier 2020 avec sept cofon­da­trices, toutes béné­voles, la Maison des âmes pro­pose via une ligne d’écoute d’astreinte, un accom­pa­gne­ment médi­cal, psy­cho­lo­gique, admi­nis­tra­tif, social et juri­dique. Au total, quatre-​vingts béné­voles répar­tis dans toute la France viennent en aide aux femmes vic­times de vio­lences conju­gales et plus lar­ge­ment à toutes les per­sonnes vic­times de vio­lences intra­fa­mi­liales. Au-​delà d’une ligne télé­pho­nique, la Maison des âmes a l’ambition d’ouvrir une mai­son d’accueil dans le Nord-​est de Paris pour accueillir phy­si­que­ment les femmes et leurs enfants. 

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