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© Capture d'écran France 24

Syrie : l’impasse du rapa­trie­ment des femmes et enfants français·es

Mise à jour, 8 octobre 2021 : L'Allemagne et le Danemark se sont posi­tion­nés en faveur du rapa­trie­ment des femmes et des enfants détenu·es dans le camp de Roj, au nord-​est de la Syrie. Onze femmes et trente-​sept enfants ont ain­si pu quit­ter le camp dans la nuit du mer­cre­di 6 au jeu­di 7 octobre. Alors que le ministre alle­mand des Affaires étran­gères, Heiko Maas, a fait savoir dans un com­mu­ni­qué que « les mères devront répondre de leurs actes devant la jus­tice pénale », en France, un pos­sible retour des femmes et de leurs enfants semble tou­jours au point mort. Dans une tri­bune du Monde publiée le 4 octobre der­nier, 175 par­le­men­taires appellent d'ailleurs à un rapa­trie­ment « immé­diat » des quelque 200 enfants fran­çais et de leurs mères. La Cour euro­péenne des droits de l’homme a, elle, exa­mi­né fin sep­tembre les requêtes de deux couples de Français·es qui réclament le retour de leurs filles et de leurs petits-​enfants, détenu·es par les forces kurdes à Roj.

Pascale Descamps entame, ce 2 mars, son vingt-​neuvième jour de grève de la faim pour deman­der le rapa­trie­ment de sa fille, atteinte d’un can­cer du côlon, ain­si que de ses quatre petits-​enfants, coincé·es dans un camp syrien. Devant le refus de la France de rapa­trier les femmes déte­nues en Syrie, une dizaine de Françaises ont éga­le­ment enta­mé une grève de la faim sur place, le 21 février dernier. 

« Ça fait un petit moment que je suis malade, mais je vou­lais pas t’en par­ler, je ne savais pas que ce que j’avais. En fait, j’ai une tumeur dans le côlon […] Ici, on me pro­pose de faire une opé­ra­tion chère et très ris­quée, à la Syrienne. Je ne veux pas du tout, on m’a dit que je ris­quais ma vie. » Après des mois sans nou­velles, Pascale Descamps reçoit cet enre­gis­tre­ment audio de sa fille, entre­cou­pée de san­glots, le 17 novembre 2020. Si la jeune femme de 32 ans craint d’être opé­rée dans de mau­vaises condi­tions, c’est qu’elle est déte­nue avec ses quatre enfants de 2 à 11 ans dans l’un des camps où sont déte­nues des familles fran­çaises par­ties faire le dji­had, celui de Roj, au nord-​est de la Syrie, depuis 2019, pour avoir rejoint l’État isla­mique en 2015. Aujourd’hui, la fille de Pascale Descamps demande, par la voix de sa mère, un « rapa­trie­ment sani­taire pour pou­voir [se] faire opé­rer et rame­ner [ses] enfants. » Un sou­hait for­mu­lé éga­le­ment par Pascale Descamps : « La lais­ser se faire opé­rer dans ces condi­tions, ce serait la condam­ner à mort sans juge­ment : les méde­cins l’ont dit, elle a une chance sur deux de mou­rir. Elle perd beau­coup de sang, fait de nom­breux malaises et n’a accès à aucun médicament. » 

En novembre der­nier, une fois le choc de l’annonce pas­sé, la mère avait immé­dia­te­ment aler­té le Quai d’Orsay. Mais mal­gré la mul­ti­pli­ca­tion des lettres et des appels, la fille de Pascale Descamps et ses enfants ont enta­mé leur troi­sième hiver sur les terres du Rojava. Devant l’inaction des auto­ri­tés fran­çaises et la dégra­da­tion de l’état de san­té de sa fille, Pascale a alors enta­mé, le 1er février, une grève de la faim. « C’est une conti­nui­té dans les actions que je mène parce que je ne sais plus quoi faire. Et comme ça, ma fille ne souf­fri­ra plus toute seule, on sera deux », confie cette fonc­tion­naire de 55 ans à Causette. Épuisée phy­si­que­ment, mora­le­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment, Pascale, qui se nour­rit d’eau sucrée, de tisane, de thé ou de café, songe par­fois à arrê­ter. « C’est très dif­fi­cile, je me sens constam­ment fati­guée, je souffre de migraines, de baisses de ten­sion, d’anémie et de pro­blèmes hépa­tiques. Mais tant que je tien­drai sur mes jambes, je conti­nue­rai. » L’initiative de Pascale a depuis été reprise par une dizaine de femmes fran­çaises rete­nues comme sa fille au camp de Roj. Ces mères – pour la plu­part veuves – ont com­men­cé une grève de la faim dimanche 21 février. La pre­mière depuis le début de leur déten­tion, dans le but d’interpeller le gou­ver­ne­ment fran­çais sur leur sort, mais sur­tout, sur celui de leurs enfants, qui gran­dissent au milieu des tentes de for­tune. Une situa­tion insou­te­nable pour les avocat·es Ludovic Rivière et Marie Dosé, membres d’Avocats sans fron­tières (ASF), qui repré­sentent plu­sieurs d’entre elles. Dans un com­mu­ni­qué dif­fu­sé le 21 février, il et elle dénoncent par ailleurs « une déten­tion arbi­traire qui se décline à l’infini et sans but ». Au moment où nous écri­vons ces lignes, ni les avocat·es ni les Françaises n’ont reçu, à ce jour, de réponse du gouvernement. 

« Mes quatre petits-​enfants tombent malades les uns après les autres : diar­rhées à répé­ti­tion à cause de l’eau crou­pie, mycoses, cys­tites, œdèmes. Il n’y a pas d’hygiène, pas de couches pour les petits. Pas de médi­ca­ments non plus »

Pascale Descamps
Des condi­tions de vie alarmantes 

Les quelques images qui nous par­viennent témoignent toutes des condi­tions de vie déplo­rables à l’intérieur de ces véri­tables pri­sons à ciel ouvert, entou­rées de bar­be­lés. Dans le camp de Roj, des cen­taines de tentes – four­nies par des ONG – s’étendent sur les plaines ven­teuses du Kurdistan syrien où s’entassent 2 000 femmes et enfants, dont envi­ron 80 Françaises et leurs 250 enfants, selon une esti­ma­tion d’ASF. L’hiver, le froid, la pluie et le vent s’invitent sous les toiles, tan­dis que l’été l’air y est irres­pi­rable. Et toute l’année, ce sont la faim et les mala­dies qui affai­blissent les orga­nismes déjà dimi­nués par cinq années de guerre. « Ma fille m’a dit que tous les enfants ont déve­lop­pé des mala­dies res­pi­ra­toires chro­niques en rai­son de la proxi­mi­té des puits de pétrole, déplore Pascale Descamps. Mes quatre petits-​enfants tombent malades les uns après les autres : diar­rhées à répé­ti­tion à cause de l’eau crou­pie, mycoses, cys­tites, œdèmes. Il n’y a pas d’hygiène, pas de couches pour les petits. Pas de médi­ca­ments non plus, ou alors, quand il y en a, ils ne sont pas adap­tés : mon petit-​fils a eu 40 °C de fièvre et on l’a soi­gné avec des anti­bio­tiques pour des pro­blèmes gyné­co­lo­giques. » Les femmes et les enfants sur­vivent grâce aux colis d’aide ali­men­taire dis­tri­bués par les auto­ri­tés kurdes, un kilo de riz et un kilo de len­tilles par famille pour un mois. Si, juri­di­que­ment, le camp n’est pas une pri­son, les femmes et les enfants ont inter­dic­tion d’en sor­tir et d’y rece­voir leur avo­cat ou leur famille. Interdiction éga­le­ment de pos­sé­der un télé­phone por­table. Le seul moyen de com­mu­ni­ca­tion reste l’unique télé­phone d’une res­pon­sable du camp qu’elles peuvent uti­li­ser une fois par semaine pour envoyer un audio ou un SMS. C’est désor­mais le seul moyen pour Pascale Descamps d’entretenir un lien avec sa fille. « Je n’ai jamais pu l’avoir au télé­phone depuis bien­tôt deux ans qu’elle est à Roj, mais au moins, j’ai des nou­velles, car sinon, je m’imagine des hor­reurs. » Et au-​delà des condi­tions de vie déplo­rables, les trau­ma­tismes de ces années de guerre et d’enfermement se creusent de plus en plus. « C’est un cli­mat anxio­gène, mes petits-​enfants ont peur, ils font constam­ment des cau­che­mars », déplore Pascale Descamps. 

La fille unique de Pascale est par­tie en Syrie cou­rant 2015, peu de temps après sa conver­sion à l’islam radi­cal. Elle rejoint l’État isla­mique avec son com­pa­gnon et leurs trois enfants, dont le plus jeune a 7 mois, sans don­ner d’explication à sa mère. « Ils étaient en vacances chez moi, dans le Nord, une semaine avant leur départ, se sou­vient Pascale. Je pen­sais les revoir. Aujourd’hui, je ne com­prends tou­jours pas. » Le com­pa­gnon de la jeune femme meurt au com­bat en 2017. Elle se retrouve alors dans une mada­fa (mai­son de femmes sous Daech, dans les­quelles étaient enfer­mées les femmes en attente d’un époux, les veuves ou les divor­cées) avant d’être rema­riée, puis d’accoucher de son qua­trième enfant sous les bombes, en 2018. Arrêtée par les Kurdes en 2019, la fille de Pascale sur­vit désor­mais dans le camp de Roj, comme tant d’autres Françaises depuis la chute de l’État isla­mique. Une grande majo­ri­té d’entre elles affirment aujourd’hui avoir rom­pu avec l’idéologie dji­ha­diste et n’avoir com­mis aucune exac­tion sur place. « C’est très dif­fi­cile de savoir qui dit la véri­té, qui fait sem­blant ou non, sou­ligne Géraldine Casutt, spé­cia­liste du dji­ha­disme fémi­nin et cher­cheuse au Centre Islam et socié­té de l’université de Fribourg (Suisse). Une chose est cer­taine : les femmes sont par­ties en Syrie pour les mêmes rai­sons que les hommes, elles étaient d’ailleurs tota­le­ment empreintes de l’idéologie au même titre qu’eux. Mais n’étant pas auto­ri­sées à com­battre, elles ont sur­tout eu un rôle pas­sif d’épouse et de mère au sein de l’État isla­mique. Aujourd’hui, dans les camps, il y a évi­dem­ment des femmes tou­jours convain­cues par l’idéologie, mais aus­si des femmes qui ne pou­vaient pas s’échapper et pour qui la chute du cali­fat fut un véri­table sou­la­ge­ment. » 

Repenties ou pas, toutes sont sous le coup d’un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal émis par la France pour avoir déli­bé­ré­ment choi­si de rejoindre les rangs de Daech, dès 2012 pour les pion­nières. Une inco­hé­rence pour Maître Emmanuel Daoud, avo­cat de trois familles dont Pascale Descamps depuis deux ans. « Un man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal sert à trou­ver une per­sonne, l’arrêter et la juger. C’est stu­pé­fiant que la jus­tice fran­çaise ne cherche pas à faire appli­quer un man­dat d’arrêt qu’elle a déli­vré. » Pour asso­cia­tion de mal­fai­teurs en rela­tion avec une entre­prise ter­ro­riste, elles encourent jusqu’à trente ans de réclu­sion cri­mi­nelle et 450 000 euros d’amende. « Je ne sais pas ce qu’on leur reproche, je n’ai pas accès au dos­sier tant qu’elles ne sont pas mises en exa­men, mais elles n’ont pas toutes la même tra­jec­toire, affirme Me Emmanuel Daoud. Elles ne s’attendent pas à ren­trer et retrou­ver leur vie d’avant. Toutes veulent s’expliquer sur les rai­sons de leur départ. Elles ne veulent pas fuir leur res­pon­sa­bi­li­té, loin de là. » 

La stra­té­gie du cas par cas 

Familles et avo­cats peinent donc à com­prendre la stra­té­gie du gou­ver­ne­ment fran­çais. Après la chute de Baghouz, le der­nier bas­tion de l’État isla­mique, puis le retrait des troupes amé­ri­caines du nord-​est de la Syrie en 2019, l’État fran­çais avait pour­tant pré­pa­ré un plan mas­sif de rapa­trie­ments de l’ensemble des Français·es, y com­pris les hommes empri­son­nés. « La situa­tion nou­velle, qui est liée notam­ment au retrait des forces amé­ri­caines [de la région], a bou­le­ver­sé la donne et, évi­dem­ment, nous nous pré­pa­rons à un éven­tuel retour des Français qui sont actuel­le­ment au nord de la Syrie. », décla­rait, en jan­vier 2019, la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet. « Les struc­tures pour accueillir les enfants existent déjà, sou­tient Maître Emmanuel Daoud à Causette. Un accom­pa­gne­ment spé­ci­fique a été conçu avec des pédo­psy­chiatres, des psy­cho­logues et des familles d’accueil for­mées pour ces trau­ma­tismes. » Quant aux parents, ils sont sys­té­ma­ti­que­ment enten­dus par la jus­tice et pla­cés en déten­tion pro­vi­soire, selon la gra­vi­té de ce qui leur est reproché. 

« Le gou­ver­ne­ment fran­çais a recu­lé pour des rai­sons poli­tiques. Ils ne veulent pas se mettre à dos une par­tie de l’opinion à quelques mois de la cam­pagne présidentielle » 

Maître Emmanuel Daoud

Le gou­ver­ne­ment avait donc tout pré­vu pour gérer le retour des parents comme des enfants, avant de faire volte-​face quelques semaines plus tard, peu après la publi­ca­tion d’un son­dage mon­trant l’hostilité de l’opinion envers cette mesure. Ce son­dage Odoxa pour France info et Le Figaro, publié en février 2019, révé­lait en effet que 67 % des Français·es sou­hai­taient que les enfants de dji­ha­distes français·es res­tent en Syrie et que 82 % approu­vaient la déci­sion d’Emmanuel Macron de lais­ser l’Irak juger les femmes et les hommes parti·es faire le dji­had. Car, en ce qui concerne les adultes, la France a un temps sou­hai­té sous-​traiter la jus­tice fran­çaise à la jus­tice ira­kienne. En visite à Bagdad en octobre 2019, le ministre des Affaires étran­gères, Jean-​Yves Le Drian, avait d’ailleurs dis­cu­té avec le gou­ver­ne­ment ira­kien de « la manière de mettre en œuvre un méca­nisme juri­dic­tion­nel adap­té » pour les juger « dans les meilleures condi­tions ». Une option qui revien­drait à réta­blir la peine de mort pour nos ressortissant·es, puisque la loi ira­kienne pré­voit que l’appartenance à une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste est punie de pen­dai­son. Devant l’impasse, l’Irak avait fina­le­ment refu­sé toute sous-​traitance. Quant à l’administration kurde, qui gère les camps où sont détenu·es les femmes et les hommes présumé·es membres de Daech, elle n’est pas recon­nue inter­na­tio­na­le­ment et ne peut donc pas les juger. « Le gou­ver­ne­ment fran­çais a recu­lé pour des rai­sons poli­tiques, estime Maître Daoud. Ils ne veulent pas se mettre à dos une par­tie de l’opinion à quelques mois de la cam­pagne présidentielle. » 

Depuis, c’est le blo­cage. Le dis­cours est intran­si­geant du côté du minis­tère des Affaires étran­gères. Contacté par Causette, le Quai d’Orsay déclare effec­ti­ve­ment que « ces hommes et ces femmes ont pris la déci­sion de rejoindre Daech et doivent donc être pour­sui­vis au plus près du lieu où ils ont com­mis leurs crimes », sans pré­ci­ser pour autant le lieu et la nature de ces pour­suites. Concernant les enfants des dji­ha­distes français·es, le retour est pos­sible, mais selon la doc­trine du cas par cas. « À la dif­fé­rence de leurs parents, les enfants n’ont pas choi­si de rejoindre l’Irak et la Syrie. Ils n’ont pas choi­si de rejoindre une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste. Et c’est la rai­son pour laquelle le gou­ver­ne­ment a consi­dé­ré que les mineurs devaient être rapa­triés chaque fois que les condi­tions le per­met­taient », affirme une source diplo­ma­tique. Dans les faits, les rapa­trie­ments sont spo­ra­diques : depuis 2019, seuls trente-​cinq enfants, la plu­part orphe­lins ou très malades, ont été rapa­triés de Syrie. Les sept der­niers l’ont été en jan­vier 2021. Les mères doivent se sépa­rer de leurs enfants dans la pré­ci­pi­ta­tion, sans espoir d’avoir des nou­velles ensuite ou de les rejoindre plus tard. « Ma fille me raconte les scènes de sépa­ra­tion entre les mères et les enfants : ils s’accrochent à leurs mères, c’est insou­te­nable », décrit Pascale Descamps. Dans ce contexte instable se pose alors la ques­tion du main­tien des liens pour les rares Françaises qui ont accep­té de lais­ser par­tir leurs enfants. « Cela fait des années qu’ils sont col­lés à leur mère, inter­rompre le lien d’un coup est néfaste pour leur propre recons­truc­tion », sou­tient Maître Emmanuel Daoud. 

L’urgence de la ques­tion sécuritaire 

À la ques­tion de la menace que repré­sentent ces enfants, par­ler de « bombe à retar­de­ment » est, pour l’avocat, « un fan­tasme de bas étage ». « Les deux tiers sont nés dans le camp ou y sont arri­vés très jeunes. Pour beau­coup, le camp est leur seul sou­ve­nir de la Syrie, explique-​t-​il. Ces enfants n’ont d’ailleurs rien deman­dé, sur­tout pas même de naître en Syrie. Aujourd’hui, on est en train de les punir pour le choix de leurs parents. » Pour Géraldine Casutt, de l’université de Fribourg, « rien n’est figé pour les enfants, ils ont une faci­li­té d’adaptation remar­quable et l’environnement compte beau­coup, c’est pour­quoi il faut les faire reve­nir ». Une posi­tion par­ta­gée par de nom­breuses orga­ni­sa­tions, dont le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, mais aus­si par le dépu­té UDI Pierre Morel-À‑L’Huissier et par le séna­teur com­mu­niste Pierre Laurent, qui ont adres­sé une lettre à leurs col­lègues par­le­men­taires, le 17 février der­nier, pour deman­der le rapa­trie­ment des enfants.

Sur place, les auto­ri­tés kurdes syriennes du Rojava exhortent la France à rapa­trier femmes et enfants depuis des années. « La prio­ri­té des Kurdes n’est plus de gar­der nos res­sor­tis­sants, mais de sécu­ri­ser la région », affirme Maître Emmanuel Daoud. Car l’heure n’est effec­ti­ve­ment plus aux impé­ra­tifs huma­ni­taires. La situa­tion sécu­ri­taire dans la région se dégrade de mois en mois et les auto­ri­tés kurdes ne sont plus en mesure de sur­veiller les ressortissant·es étrangèr·es. « Le cali­fat est tom­bé phy­si­que­ment en 2019, mais l’État isla­mique existe tou­jours au tra­vers de mul­tiples cel­lules dor­mantes, notam­ment dans la pro­vince d’Idlib, au nord-​ouest de la Syrie », sou­ligne Géraldine Casutt. Une menace idéo­lo­gique jusque dans l’enceinte même des camps, où des luttes de pou­voir se des­sinent. Dans le camp d’al-Hol, dans le nord-​est syrien, vingt per­sonnes, dont au moins cinq femmes, ont été assas­si­nées cou­rant jan­vier. « Certaines femmes sont mises sous pres­sion par d’autres qui ne sont jamais sor­ties de l’idéologie, assure Géraldine Casutt. Ces camps servent aus­si les dis­cours des dji­ha­distes actuels : “Regardez dans quel état sont vos femmes et vos enfants, tout ça à cause des pou­voirs occi­den­taux qui les ont aban­don­nés. Ils ne viennent pas vous cher­cher, c’est bien la preuve que vous n’êtes pas inté­grés dans la socié­té occi­den­tale.” Tout ça vient nour­rir la résur­gence de l’État isla­mique. » Un avis émis jusque dans la lutte anti­ter­ro­riste. David De Pas, coor­di­na­teur du pôle anti­ter­ro­riste du tri­bu­nal de Paris, esti­mait ain­si en octobre 2019, lors d’un entre­tien à l’AFP, qu’il est dan­ge­reux pour la sécu­ri­té de la France de lais­ser ces femmes sur place. « Si ces femmes s’évadent du camp, c’est là qu’est le dan­ger », assure Ludovic Rivière, avo­cat d’ASF. Des fuites fré­quentes, à l’image d’Hayat Boumeddiene, fin 2019. Selon l’audition d’une reve­nante en mars 2020, la veuve d’Amedy Coulibaly, auteur de la tue­rie de l’Hyper Cacher en jan­vier 2015, se serait en effet échap­pée du camp d’al-Hol grâce à un sou­tien exté­rieur. Elle vivrait désor­mais dans la pro­vince d’Idlib, zone sous contrôle de divers groupes rebelles et dji­ha­distes. Comme Hayat Boumeddiene, une dizaine d’autres Françaises se seraient elles aus­si éva­dées des camps depuis 2019. 


Avocats sans fron­tière pré­pare une mis­sion d’observation des camps

Missionnés par l’organisation inter­na­tio­nale Avocats sans fron­tières (ASF), les avocat·es Maîtres Ludovic Rivière et Maître Marie Dosé s’étaient rendu·es sur place en décembre 2020 afin de consta­ter les condi­tions de vie dans le camp de Roj. « On n’a pas pu ren­trer en Syrie, car la situa­tion mili­taire est trop instable, regrette Ludovic Rivière. Mais on pré­pare actuel­le­ment la deuxième mis­sion. » Une délé­ga­tion par­le­men­taire fran­çaise devrait elle aus­si prendre part au voyage. L’avocat ne peut rien dire sur cette deuxième délé­ga­tion, mais une chose est sûre, cette fois, « [ils] ren­tre­ront dans les camps ».

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