Women for women 1
« Dans la plupart des cas, les agresseurs surveillent les appareils électroniques de leurs victimes. Par conséquent, atteindre les femmes dans des espaces où elles peuvent se retrouver tous les jours sans la présence de leur agresseur est un élément clé de notre stratégie. » Sarah McGrath. Campagne d'affichage de Women for women © Women for women

Women for women : le por­tail d'infos qui man­quait aux femmes étran­gères vic­times de vio­lences conju­gales en France

Australienne ins­tal­lée en France, Sarah McGrath a lan­cé un site web d'information autour des droits des femmes vic­times de vio­lences conju­gales, tra­duit pour l'heure en seize langues, pour com­bler l'absence de res­sources à l'adresse des étrangères.

SarahMc
Sarah McGrath, 37 ans, direc­trice de Women for Women © DR

Causette : Comment est née la pla­te­forme Women for women France ?
Sarah McGrath :
En quit­tant l'Australie pour des rai­sons fami­liales, j'ai empor­té avec moi mon enga­ge­ment auprès des femmes vic­times de vio­lences conju­gales – je fai­sais du béné­vo­lat dans une asso­cia­tion dans mon pays. En tant qu'étrangère ne mai­tri­sant pas par­fai­te­ment la langue, je me suis ren­du compte de la vio­lence admi­nis­tra­tive de la France, où on vous rac­croche au nez parce qu'on ne com­prend pas votre accent. J'ai aus­si très vite réa­li­sé qu'en France, les infor­ma­tions sur la loi et les droits aux­quels on peut pré­tendre ne sont pas dis­po­nibles en anglais qui est, qu'on le veuille ou non, la langue la plus uni­ver­selle. Or, on estime à 3,5 mil­lions le nombre de femmes immi­grées en France, soit 10% de la popu­la­tion fémi­nine.
Ces dif­fé­rents constats m'ont fait prendre la mesure du gouffre dans lequel peut tom­ber une femme étran­gère vic­time de vio­lences de genre en France. J'ai donc eu l'idée de lan­cer l'association Women for women France en 2018, dont la mis­sion est de rendre acces­sibles ces infor­ma­tions au plus grand nombre de femmes. Nous avons com­men­cé notre tra­vail en menant une grande enquête auprès des sur­vi­vantes sur leurs besoins.

Quelles ont été les conclu­sions de cette enquête ?
S.M. :
Premièrement, que les femmes étran­gères vic­times de vio­lences conju­gales sont issues d'origines très dif­fé­rentes et ont des situa­tions éco­no­miques très dif­fé­rentes aus­si. On le sait, le patriar­cat est un trait com­mun à toutes les cultures. On peut voir aus­si que ces femmes sont d'autant plus iso­lées et sans auto­no­mie, parce que la bar­rière de la langue les empêche trop sou­vent de trou­ver un emploi.
Cette vul­né­ra­bi­li­té peut s'accentuer lorsque leur conjoint est lui-​même Français. Il a alors à sa dis­po­si­tion encore plus de leviers pour éta­blir son contrôle coer­ci­tif sur sa vic­time. Il peut dire "tu auras beau por­ter plainte, la police ne te croi­ra pas", faire du chan­tage aux papiers, ter­ro­ri­ser la femme en lui disant qu'elle sera expul­sée ou encore, lui dire qu'elle ne peut pas fuir dans son pays sous peine de perdre la garde des enfants.

Et en ce qui concerne l'accès aux droits des vic­times ?
S.M. :
En fait, si vous consi­dé­rez qu'il est encore très dif­fi­cile pour les Françaises d'obtenir pro­tec­tion et jus­tice, il faut pen­ser que pour les immi­grées, cela relève presque de l'impossible.
Notre enquête a cor­ro­bo­ré mon res­sen­ti : l'urgence est à l'information sur les droits et les démarches à entre­prendre pour en béné­fi­cier. On a consta­té un manque de ser­vices, puisque les ins­ti­tu­tions hos­pi­ta­lières, poli­cières ou judi­ciaires ne fonc­tionnent qu'en fran­çais. Par ailleurs, les poli­ciers et les magis­trats ont sou­vent des pré­ju­gés tels que "elle ment pour obte­nir un titre de séjour". Pour ces femmes, c'est la double peine, les dis­cri­mi­na­tions ins­ti­tu­tion­nelles sont ter­ribles.
Quant aux asso­cia­tions, elles peinent à aider les étran­gères par manque de moyen pour pou­voir payer des inter­prètes. Avec ma pers­pec­tive aus­tra­lienne, je suis à vrai dire cho­quée du fait que la France laisse repo­ser autant de poids sur les asso­cia­tions d'aide aux vic­times sans four­nir le finan­ce­ment nécessaire. 

Par ailleurs, pour les sur­vi­vantes, l'état de trau­ma­tisme s'ajoute à la bar­rière de la langue…
S.M. :
A titre per­son­nel, en tant qu’étrangère, on me rac­croche encore par­fois au nez à cause de mon accent et je ne suis pas en état de trau­ma­tisme. Imaginez le cou­rage des vic­times qui disent "j’ai besoin de sou­tien" et, au télé­phone, on leur crie des­sus parce qu’on ne les com­prend pas. J'ai ren­con­tré une direc­trice d'association d'aide aux vic­times à qui j'ai posé la ques­tion : "Comment faites-​vous lorsqu'une femme qui ne parle pas fran­çais vous contacte ?" Elle m'a répon­du : "Mais Madame, elles vivent en France, elles doivent par­ler fran­çais !" C'est glaçant.

Quelles infor­ma­tions trouve-​t-​on sur Womenforwomenfrance.org ?
S.M. :
Avec notre équipe d'expertes très qua­li­fiées et des sur­vi­vantes qui ont expri­mé leurs besoins, nous avons essayé de cen­tra­li­ser la somme d'informations la plus com­plète en matière de res­sources et de connais­sance des droits et des démarches à effec­tuer, qu'il s'agisse d'accès au loge­ment, de pro­cé­dure de divorce ou encore d'ordonnances de pro­tec­tion. De fait, ce site peut, je crois, aider beau­coup de Françaises éga­le­ment.
Notre but est d'être le plus concrètes pos­sible et de ne pas enjo­li­ver la réa­li­té, en fai­sant part des dys­fonc­tion­ne­ments struc­tu­rels des ser­vices de police et jus­tice français.

Comment avez-​vous tra­vaillé pour les tra­duc­tions ?
S.M. :
Avec des pro­fes­sion­nels rému­né­rés, car c'est une somme colos­sale d'informations. Le site est actuel­le­ment acces­sible en anglais, arabe, espa­gnol, japo­nais, khmer, mal­gache, man­da­rin, polo­nais, por­tu­gais, rou­main, russe, serbe, tamil, turc et viet­na­mien, et nous espé­rons l'enrichir de nou­velles langues au fur et à mesure.
En ce qui concerne d'éventuelles mises à jour de la loi ou des pro­cé­dures, c'est rela­ti­ve­ment facile à faire parce que nous rédi­geons en anglais et la mise à jour est auto­ma­ti­que­ment envoyée aux pres­ta­taires qui traduisent.

Comment cela est finan­cé et com­bien de per­sonnes sont der­rière Women for women ?
S.M. :
Le pro­jet est pen­sé depuis 2020 mais le plus long a été de trou­ver des finan­ce­ments. Nous avons obte­nu le sou­tien de dona­teurs et dona­trices pri­vés, du minis­tère de l'Intérieur qui a salué la qua­li­té de notre tra­vail et de la fon­da­tion L'Oréal.
En ce qui concerne notre équipe, nous fonc­tion­nons avec une ving­taine de membres et soixante béné­voles. Mon but est de sala­rier le plus pos­sible car il nous faut du per­son­nel très for­mé, l'aide aux vic­times est un vrai métier. 

Depuis le lan­ce­ment du site il y a deux semaines, savez-​vous si des femmes ont pu être aidées ou c’est trop tôt ?
S.M. :
Des primo-​arrivantes ont pu tes­ter le conte­nu et leurs retours sont bons. Nous avons mené une grande cam­pagne d'affichage pour le faire connaitre et allons pour­suivre nos efforts en ce sens.
Je suis per­son­nel­le­ment très tou­chée de voir que déjà, dans les forums com­mu­nau­taires dans les­quels nous sommes pré­sentes sur inter­net, des femmes s'échangent des infor­ma­tions issues du site. Au sujet des ordon­nances de pro­tec­tion, par exemple. L'impact de ter­rain est déjà visible.

Accompagnez-​vous les démarches judi­ciaires ?
S.M. :
Un des points faibles de notre démarche, c'est que nous diri­geons les sur­vi­vantes vers des ser­vices publics où il faut par­ler fran­çais. Nous sommes donc en train de déve­lop­per, avec des asso­cia­tions par­te­naires spé­cia­li­sées telles que la Cimade, un ser­vice natio­nal d'accompagnement pour épau­ler les femmes vic­times dans leurs démarches admi­nis­tra­tives et judi­ciaires.
On est en train de lever des fonds pour cette grande étape, que nous espé­rons lan­cer en 2023. L'idée est de rému­né­rer les per­sonnes qui vont réa­li­ser ce tra­vail d'accompagnement. D'ailleurs, il faut que vous sachiez que les dons faits à Women for women france sont défiscalisés.

Women for women France

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