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© Louie Média

« Ou peut-​être une nuit » : le pod­cast qui libère la parole sur l’inceste

Avec Ou peut-​être une nuit, pod­cast intime et poli­tique, Charlotte Pudlowski signe un docu­ment sur l’inceste de la plus haute impor­tance, aus­si bou­le­ver­sant qu’indispensable pour com­prendre la fabrique du silence et son carac­tère systémique. 

Prenez une classe de CM2. Visualisez bien toutes ces ado­rables petites têtes blondes. Eh bien là, par­mi eux, il y en a deux ou peut-​être même trois qui souffrent en silence. Sans doute celui ou celle qui dort en classe. Qui n’écoute pas. Qui est un peu bizarre avec les autres. Celui ou celle qui n’a jamais les bonnes réac­tions. Voilà. 7 à 10 % de la popu­la­tion a subi des viols intra­fa­mi­liaux, 4 mil­lions de vic­times en France. Soit deux à trois enfants par classe. Et ces vio­lences com­mencent en moyenne à l’âge de 9 ans. En CM2 donc. C’est aus­si insou­te­nable que com­mun. Mais on ne l’entend pas. Ou plu­tôt : on ne veut pas l’entendre. Tant ça dérange. Tant c’est tabou. 

Pourtant, les voix qui se sont éle­vées pour les dénon­cer sont nom­breuses. Très nom­breuses. Camille Laurens le raconte dans son livre Fille, sor­ti ce mois-​ci. Mais avant elle, il y a eu Christine Angot, l’auteur pour enfants Claude Ponti, Delphine de Vigan à pro­pos de sa mère. Et encore avant elles la chan­teuse Barbara, l’artiste Louise Bourgeois et Niki de Saint Phalle. On pour­rait mal­heu­reu­se­ment conti­nuer cette liste un bon moment. Mais pour quelques dizaines ou peut-​être cen­taines de voix publiques, com­bien de paroles pri­vées ? Et sur­tout, com­bien de paroles empêchées ?

Stratégie de silen­cia­tion de la famiile

C’est pour ten­ter de com­prendre cette fabrique du silence très bien orga­ni­sée qui fait le lit de la domi­na­tion mas­cu­line que Charlotte Pudlowski – cofon­da­trice de Louie Media et elle-​même tou­chée inti­me­ment par ce sujet rava­geur puisque sa mère, abu­sée par son père, a mis vingt-​six ans à pou­voir le dire à sa fille – a déci­dé de réa­li­ser ce pod­cast d’une grande puis­sance, qui mêle témoi­gnages bou­le­ver­sants et ana­lyses d’expert·es. Comment, elle, si proche de sa mère, et toute sa famille, ont-​ils pu « jouer ain­si la comé­die du silence » et « gran­dir sur une béance », se demande la jour­na­liste avant de don­ner la parole aux autres. À Julie, attou­chée, comme sa sœur et sa mère avant elle, par son grand-​père. À Daniela, abu­sée par son père. Mais aus­si à Laure, qui décrit la stra­té­gie de silen­cia­tion mise en place par sa famille. Car oui, on « enseigne aux vic­times d’inceste à se taire par cercles concentriques ».

Ce sont toutes des femmes qui témoignent. Abusées par des oncles, des frères, des pères ou des grands-​pères. De fait, 98 % des agres­seurs sont des hommes. La psy­chiatre Muriel Salmona décrypte au micro de Charlotte Pudlowski les phé­no­mènes de mémoire trau­ma­tique et de dis­tan­cia­tion qui per­mettent d’expliquer com­ment, au moment de l’agression, la mémoire peut s’interrompre au point que par­fois elle ne revient aux per­sonnes vic­times d’incestes que trente ans plus tard. L’anthropologue Dorothée Dussy, autrice du Berceau des domi­na­tions, ou encore Alice Debauche, socio­logue et sta­tis­ti­cienne, com­plètent cette ana­lyse en expo­sant leurs tra­vaux et les résul­tats de leurs recherches. Notamment, pour la seconde, sur l’aveuglement de la socié­té et le silence des vic­times. Car si l’ampleur du pro­blème est mas­sive, c’est aus­si parce que le secret est bien gar­dé. Le patriar­cat, semblerait-​il, a beau­coup à y gagner. 

À quand un #MeToo de l'enfance abusée ?

Car, fina­le­ment, ce que démontre Charlotte Pudlowski, c’est qu’en défi­ni­tive, aujourd’hui encore, « le vrai tabou de l’inceste, c’est celui d’en par­ler, pas de le com­mettre ». Or pour « sor­tir du silence, il faut prendre conscience qu’il y a quelque chose à dire. Il faut déjà avoir des mots pour nom­mer l’inceste ». C’est ce que per­met ce pod­cast d’utilité publique. Espérons qu’il per­mette que la honte change de camp et que les vic­times cessent de pen­ser que ce sont elles les monstres. Espérons enfin, qu’un jour, sur­gisse un #MeToo de l’enfance abu­sée. Et ce jour-​là, la vague sera mas­sive. Et vio­lente. Mais peut-​être freinera-​t-​elle enfin ce fléau dont les pou­voirs publics semblent tout de même prendre conscience puisque Adrien Taquet, secré­taire d’État char­gé de l’Enfance et des Familles auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, a annon­cé la tenue, pour l’automne, d’une com­mis­sion indé­pen­dante sur les vio­lences sexuelles faites aux enfants. 

Ou peut-​être une nuit, dans la série de pod­casts Injustices, de Charlotte Pudlowski, sur toutes les pla­te­formes de pod­cast, deux épi­sodes chaque semaine. 

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